Le meurtrier John Dillon échappe à la potence
Son exécution est retardée de quinze jours, puis de huit jours par des sursis et, après avoir examiné le rapport des médecins aliénistes, le Gouverneur-Général décide de commuer la sentence en un emprisonnement à vie.
Le chef Carpenter hérité du fusil du meurtrier
John Dillon ne sera pas pendu. Le Gouverneur-Général en conseil en a décidé ainsi samedi après-midi. Cette décision de l’autorité suprême clôt une des causes criminelles les plus célèbres qui se soient encore plaidées dans notre ville. Elle jette aussi beaucoup de crédit sur Maitre A. Papineau Mathieu, le jeune avocat qui s’est fait le défendeur du meurtrier de la rue Mance, et qui n’a rien épargné de son temps ou de son argent pour sauver son malheureux client de la potence.
Le meurtrier, pour qui la population éprouvait beaucoup de sympathie — et dépit de l’atrocité de son crime — à cause de son grand âge d’abord et aussi â cause des doutes que l’on avait quant à sa responsabilité, ira probablement finir ses jours dans le quartier des fous au pénitencier de Kingston. Le rapport des médecins légistes qui ont fait de lui le dernier examen soumis au Gouverneur – Général, faisait certainement cette recommandation, car on ne voit aucune autre raison qui aurait pu déterminer le cabinet à commuer la sentence prononcée contre lui le 18 septembre dernier.
Ce n’est que la veille du jour de l’exécution qu’un premier sursis fut accordé au condamné. Il avait espéré jusqu’ à la dernière minute. Mais les dernières démarches tentés par son avocat ont eu le bon résultat que l’on connaît aujourd’hui, et il serait difficile de décrire la reconnaissance que Dillon a vouée à son défenseur. Le bourreau avait terminé ses préparatifs et le gibet était dressé quand Dillon fut appelé devant la Cour du Banc du Roi pour apprendre de la bouche du président de ce tribunal qu’on lui accordait encore quinze jours de grâce. On comprend tout l’espoir qui entra alors dans le cœur du condamné; on comprend aussi par quelles terribles anxiétés il a dû passer lorsque deux jours avant la fin de ce sursis il n’avait encore rien appris, si ce n’est que le gibet se dressait encore, menaçant, dans la cour de la prison où il était détenu. Heureusement, une nouvelle procédure des avocats réussit et des médecins furent nommes pour faire un examen de l’état mental du condamné. On connaît la nature du rapport qui a été fait sans en connaître tous les termes. Et ce n’est qu’aujourd’hui, après avoir enduré deux agonies, que le meurtrier apprend que les autorités de son pays d’adoption lui permettent de vivre.
Dillon est probablement le criminel qui a le plus fait parler de lui â Montréal depuis quinze ans. Il doit cela à sa nature excentrique d’abord, puis aux circonstances toutes particulières dans lesquelles il a commis son crime. On l’avait vu la veille encore se promenant dans les rues d’affaires de la ville avec son haut de forme bien luisant et son inséparable parapluie. Rien dans son apparence n’aurait porté ses clients à douter que le lendemain cet homme commettrait un des meurtres les plus sensationnels qui se soient perpétrés à Montréal.
Il paraissait heureux et l’était de fait, car, sans faire fortune, ses affaires marchaient d’une manière encourageante. Il logeait dans un bel endroit, où on le traitait en prince. C’est de là que vint la cause du malheur qui le conduit au bagne pour le restant de ses jours.
Habitué aux plus grands égards de la part de sa maîtresse de pension, son excentricité le porta à croire que ces mêmes égards lui étaient dus et refusa de payer quand elle lui réclama son terme ainsi que les termes précédents qu’il avait négligé de payer ou qu’il prétendait ne pas devoir. On lui demande alors de changer de chambre, mais il se choqua et déclara qu’il ne bougerait pas.
Il fallut avoir recours aux autorités. Alors, se croyant lésé dans ses droits, il fait feu sur le constable qui va exécuter le mandat émis contre lui. Le coup est fatal. Dillon le reconnaît et !e dit avec qui il conversait quelques minutes auparavant dans sa chambre. Loin de se repentir, cependant, il se barricade dans cette chambre d’où on voulait l’expulser; il répond aux sommations des autres officiers par d’autres coups de fusil et blesse grièvement le chef du service de la Sûreté et un constable. On met une partie du corps de police et de la brigade du feu sur pied pour le cerner dans sa forteresse improvisée et il est enfin blessé lui-même en se défendant contre toutes ces forces réunies. Il est conduit à l’hôpital d’où il soit pour se rendre à la prison qu’il a habitée pendant plus de dix-huit mois.
À trois termes différents il comparait en Cour du Banc du Roi et sa cause est remise. Deux commissions rogatoires sont nommées pour aller faire une enquête sur ses antécédents, en Irlande. Finalement, au mois de septembre dernier, il est traduit devant les douze jurés qui le trouvent coupable de meurtre. Le juge Cross prononce la sentence de mort inévitable en pareil cas et fixe la date de l’exécution â, deux mois plus tard, au 19 novembre. Avec tout le flegme qu’on lui connaît, Dillon attend en prison la date fatale. Il se confesse, communie et se prépare à mourir. Il n’en avait pins que pour douze heures à vivre, quand on vient lui apprendre que la Cour lui accorde un sursis. Il en a encore quinze jours lui dit le gouverneur de la prison.
Dillon paraît content, mais ne montre pas une joie exubérante en apprenant cette nouvelle. Il se reprend à espérer et ce n’est encore que la veille de son exécution qu’un nouveau suris est accordé. Il se passe quelques jours et les médecins qui l’ont examiné le déclarent fou. La sentence est commuée en un emprisonnement à vie.
Dillon a commis son crime le 7 avril 1908.
Le 18 septembre 1909 il est condamné à être pendu. L’exécution doit avoir lieu le 19 novembre. La veille, le 18 novembre, son avocat obtient un sursis de quinze jours. Le 2 décembre, un nouveau sursis est accordé. Le 4 décembre, sa sentence est commuée.
LES DERNIÈRES PROCÉDURES
À l’ouverture des Assises Criminelles, ce matin, Maitre Hubbard, substitut du procureur général, s’est adressé il l’hon. juge Trenholme pour lui demander un « reserve case » dans la cause de John Dillon. Il a allégué que les deux sursis accordés à Dillon étalent illégaux d’après lui. De plus, il est très important d’établir une jurisprudence en ce pays sur la nouvelle procédure suivie par Maitre A. Papineau Mathieu, dans cette cause. Le défenseur de Dillon a prouvé, de nouveau, qu’en vertu de l’article 1063 du code, le juge Trenholme avait parfaitement le droit d’accorder les sursis dans les circonstances. Il donne lecture d’un message télégraphique du ministère de la justice d’Ottawa annonçant que sur rapport des médecins experts, le cabinet fédéral a commué la sentence de mort prononcé contre Dillon on un emprisonnement à vie.
Le juge Trenholme a renvoyé la demande de la couronne, convaincu qu’il avait agit absolument légalement en accordant les sursis. Ainsi se termine l’émouvant drame de la rue Mance.
LE FUSIL DU MEURTRIER
Par faveur spéciale, le chef Carpenter, de la sûreté, est aujourd’hui en possession du fusil dont s’est servi Dillon lors de son crime.
AUPRÈS DU CONDAMNÉ
Il était 8 heures, samedi soir, quand Maitre A. Papineau Mathieu reçut du secrétaire du ministre de la Justice un télégramme lui apprenant que la sentence de son client était commuée. Il n’a pas encore eu le temps d’apprendre cette bonne nouvelle à Dillon, mais il doit cet après-midi le visiter dans sa cellule et lui annoncer qu’il vivra.
M. le député – shérif n’a encore lu aucune communication officielle de la décision du gouverneur – général en conseil, le gouverneur de la prison n’a donc pas pu prendre sur lui d’annoncer cette nouvelle au condamné qui espère toujours, mais ne connaît rien du sort que l’attend.
(La Presse, lundi, 6 décembre 1909).
