Développement économique du Canada entre 1760 et 1836

Développement économique du Canada entre 1760 et 1836 (d’après Camille Bertrand, « Histoire de Montréal »)

Commerce des pelleteries

Depuis la cession du Canada à la Grande Bretagne, Montréal avait subi l’invasion de 1775 et éprouvé la menace d’une seconde en 1813, en attendant de connaître les horreurs de la guerre civile en 1838. Aucun de ces incidents militaires n’a cependant arrêté son élan vers le progrès matériel et, au lendemain de chacun, la vie économique reprenait son essor avec une vigueur nouvelle.

Le plus grand facteur de son développement, sous le régime britannique comme au temps des Français, fût la traite des fourrures avec les pays d’en Haut.

Dans les premières années qui suivirent la cession, ce commerce fut cependant paralysé par suite de la séparation par décret royal des pays d’en Haut de la province de Québec. L’Angleterre, qui retirait de son commerce avec la Compagnie de la Baie d’Hudson plus de £200,000 par année, n’avait pas de raison de favoriser la traite des fourrures par voie de Montréal. Elle imposa même toutes sortes de restrictions au commerce de ses nouveaux sujets avec les pays des grandes chasses; mais les Anglais du pays ne tardèrent pas à reprendre pour leur propre avantage cette exploitation payante de la traite des pelleteries et forcèrent de fait, la métropole anglaise à lever l’interdit, arbitrairement jeté sur les territoires occidentaux du Canada français

Le premier qui osa reprendre le trafic des fourrures fut Alexander Henry, marchand de Montréal. En société avec Jean-Baptiste Cadotte, à partir de 1765, il exploita un privilège de traite avec les sauvages du lac Supérieur.

Les succès de Henry et Cadotte incitèrent, en 1775, Joseph et Thomas Frobisher et Peter Pond, tous de Montréal, à se joindre à ces traiteurs audacieux, dont l’organisation devait amener la création de la Compagnie du Nord-Ouest.

Jusqu’en 1784, d’autres marchands anglais de la ville montèrent des expéditions de traite, chacun pour son compte et allèrent se faire concurrence parmi les tribus sauvages des Grands Lacs.

Commerçants anglais, trappeurs canadiens

Mais ces entreprises commerciales individuelles donnèrent lieu à de fâcheuses rivalités parmi leurs représentants dans les différents postes, où la loi du plus fort était à peu près la seule reconnue, et la violence la plus efficace sanction. Pour obvier à ces graves inconvénients de la libre concurrence, les principaux intéressés unirent leurs intérêts dans une association commerciale commune qu’ils nommèrent la Compagnie du Nord-Ouest (1784).

Les membres fondateurs étaient Todd & McGill, Benjamin et Joseph Frobisher, McGill et Paterson, McTavish & Cie, Holmes & Grant, Wadden & Cie, McBeath & Cie, Ross & Cie, Oakes & Cie. D’autre part, des centaines de noms canadiens apparaissent sur les listes de ceux qui manient l’aviron sur les rivières et portent les paquets dans les portages.

On croit expliquer cette disproportion dans les situations, cette différence dans les emplois par le « manque de fortune » chez les nôtres. Dans le passé, dans le présent et dans l’avenir sans doute, l’on a chanté, l’on chante et l’on chantera, pour se consoler, ce même refrain de notre folklore. Sait on que ces audacieux Anglais manquaient eux aussi de cette fortune que l’on dénie aux nôtres, sans preuve d’ailleurs ? Nous avons là-dessus le témoignage formel d’un intéressé, Charles Grant, l’un des actionnaires de la Compagnie. « La traite avec les sauvages, dit-il, occasionne partout de grandes dépenses, beaucoup de travail et offre de grands dangers. Tous les ans on constate de nombreuses pertes de vie ou de marchandises. Il est donc difficile de croire que les commerçants soient riches.

Il y en a réellement bien peu qui peuvent acheter au comptant les marchandises nécessaires à leur commerce.

Jusqu’à ce qu’ils touchent le montant de la vente de leurs fourrures, ils restent endettés, d’année en année, envers les marchands de Québec ou de Montréal, leurs confrères, qui importent d’Angleterre les marchandises qu’il leur vendent à crédit. Le commerce des régions de l’Ouest est donc entre les mains d’hommes sans fortune et incapables de payer leurs dettes quand leur commerce faillit. (Archives Canadiennes, Série B. vol. 99, p. 110. — Rapport de Charles Grant au général Haldimand, sur le commerce des fourrures, 24 avril, 1780.)

Ceci dispose de la légende de « notre manque de fortune » et il faudra chercher ailleurs la cause réelle de notre subordination économique à nos concitoyens anglais.

Ne comptant que le quart de la population de la ville et à peine le vingtième de la population rurale, il est indéniable, qu’alors comme aujourd’hui, ils ont la direction du commerce, de l’industrie, de la finance. On les retrouve, dès cette époque, à la tête de presque toutes les entreprises importantes – Canaux, navigation, manufactures, banques, chemins de fer, et tous les services d’utilité publique sont entre leurs mains. Nous fournissons la clientèle, et la main-d’œuvre, les deux grandes sources productives du capital, dont ils restent les maîtres incontestés.

Voir aussi :

Nord du Québec. Photo de Natalya Vorobyova.

Laisser un commentaire