Histoire du Québec

Des chevelures enlevées

Des chevelures enlevées

Des chevelures enlevées

Tous les guerriers, lorsqu’ils sont assemblés en corps de l’armée, avant de donner un combat, ou d’attaquer une place, coupent la tête de ceux qu’ils ont tués et surpris à l’écart, et la portent dans leur camp où ils l’exposent au bout d’une espèce de pique ou d’un long bâton, à la vue des ennemis sur qui ils ont fait cette conquête. Mais en se retirant, ou dans les autres occasions, ils ne font qu’enlever la chevelure de tous ceux qui sont morts dans l’action, ou qu’ils ont laissés pour morts. Ils cernent pour cet effet la peau qui couvre le crâne, coupant au-dessus du front et des oreilles jusqu’au derrière de la tête.

Après l’avoir arrachée, ils la préparent et la ramollissent, comme ils ont coutume de faire à celles des bêtes qu’ils ont prises à la chasse. Ils étendent ensuite cette peau sur un cerce où ils l’attachent; ils la peignent des deux côtés de diverses couleurs, quelquefois ils tracent, du côté opposé aux cheveux, le portrait ou la peinture hiéroglyphique de celui à qui ils l’ont enlevée, et la suspendent au bout d’une perche et la portent ainsi en triomphe. Ce qu’il a de surprenant, c’est que tous ceux à qui l’on fait cette cruelle opération de leur enlever la chevelure, n’en meurent point, non plus que du coup de casse-tête, dont on a cru les avoir assommés à n’en plus revenir. Plusieurs en sont réchappé, et j’ai vu une femme dans notre mission, à qui après un semblable accident les Français avaient donné le nom de la Tête pelée, et qui se portait fort bien. Elle était mariée à un Français iroquisé, dont elle avait des enfants.

Les Scythes et d’autres peuples barbares de l’Asie et de l’Europe s’étaient rendus autrefois célèbres par ces terribles marques de leur férocité, que les auteurs anciens n’ont point ignorés. Voici comme Hérodote (IV, 64) s’explique au sujet des Scythes. « Un Scythe boit du sang du premier prisonnier qu’il fait, et il présente au roi les têtes de tous ceux qu’il a tués dans le combat; car, en portant une tête, il a part au butin, auquel il n’a nul droit sans cette condition. Il coupe cette tête de cette manière. Il la cerne autour des oreilles, et ayant séparé le test d’avec le reste il en arrache la peau, qu’il a soin de ramollir avec ses mains, et d’apprêter comme on apprêter une peau de bœuf. Il en fait ensuite un ornement, et l’attache au harnais de son cheval en guise de trophée. Plus un particulier a de ces sortes de dépouilles, plus il est considéré et estimé. Il s’en trouve qui cousent plusieurs de ces peaux ensemble, comme si c’étaient des peaux de bêtes, et s’en font des vêtements. Plusieurs écorchent les mains droites de leurs ennemis; ils enlèvent habilement cette peau avec les ongles qui y restent attachés, et ils s’en servent pour orner leur carquois, parce que la peau de l’homme est épaisse, et plus éclatante par sa blancheur que celle de tous les autres animaux. Il y en a encore un grand nombre qui écorchent les hommes entiers; ils en font sécher la peau sur des chevalets, et s’en servent ensuite de housse qu’ils mettent sur leurs chevaux. »

Ce sont là, dit cet auteur, des coutumes reçues chez ces peuples. Il explique ensuite de quelle manière ils font des tasses du crâne de leurs ennemies les plus considérables, et de leurs amis même les plus familiers qu’ils ont vaincus en combat singulier en présence du prince, quand les différends survenus entre eux les ont contraints de les appeler en duel.

Les Gaulois n’étaient pas moins barbares que les Scythes, et Diodore de Sicile (V. 29) en écrit à peu près dans ces termes : « Si quelqu’un, dit-il, s’avance pour les combattre, ils chantent les belles actions de leurs ancêtres, et les leurs propres. Ils affectent au contraire de témoigner un souverain mépris par leurs ennemis, n’oubliant rien de ce qui peut servir à leur faire perdre courage et les intimider. Ils pendent au cou de leurs chevaux les têtes qu’ils ont coupées. Ils font porter par leurs esclaves les dépouilles ensanglantées de ceux qu’ils ont vaincus, pendant que par leurs chants ils célèbrent eux-mêmes leur victoire. Ils attachent ces trophées aux vestibules de leurs maisons. Pour ce qui est des têtes de leurs ennemis les plus considérables, ils les conservent dans des caisses embaumées avec de la gomme de cèdre, et en les montrant aux étrangers qui passent chez eux; ils se font un mérite de ce que leurs ancêtres, ou bien eux-mêmes, ils ont refusé de recevoir de grosses sommes d’argent pour ces têtes, dont ils n’ont pas voulu se défaire. »

Les anciens Germains, qui étaient descendus des mêmes Scythes dont parle Hérodote, ainsi que le prétend Elie Skeed dans son livre de la religion ancienne des Germains, des Gaulois, des peuples de la Grande-Bretagne et des Vandales, en usaient de la même manière à l’égard des têtes de leurs ennemis; ce qui est confirmé pat Strabon, lequel assure que la plupart des peuples du Nord n’étaient point différents en cela des Gaulois. (EliasSchede, Diis Germanis, sive Veteri Germanorum, Gallorum Britannorum, Vandalorum religione, Amsterdam, 1648, p. 381. Strabon, VII, 3, 6-7.)

Elie Skeed prétend aussi que cet usage barbare était pratiqué de presque tous les Nrientaux; et c’est peut-être à cet usage que Dieu fait allusion dans ce passage du Deutéronome (XXXII, 42, 43) : « J’enivrerai mes flèches de leur sang, et mon épée se soûlera de leur chair. »

Quel est ce sang dont il veut enivrer ses flèches? « Le sang des morts qui seront tués sur le champ de bataille, et le sang des captifs jusqu’au crâne, qu’en l’expliquant avec les interprètes de la coutume d’ôter le casque aux prisonniers de guerre, et de les faire marcher tête nue.

Les Iroquois se contentent d’enlever ces chevelures de la manière dont je l’ai décrit. Il y a quelques nations de l’Amérique qui écorchent leurs ennemis morts, qui font parade de ces dépouilles, et qui se servent surtout des mains pour en faire des poches à mettre leur tabac, et qu’on appelle en Canada sacs à petun.

(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau).

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Nature canadienne. Image: Grandquebec.com.

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