Des Canadiens et des « Canadiens »

Des Canadiens et des “Canadiens”

Par Marcel Rioux

Après la conquête de la Nouvelle-France par les Anglais, en 1763, le Canada devint une colonie anglaise, la quinzième en Amérique, qui s’ajoutait aux treize colonies américaines et à l’ancienne Acadie, devenue Nouvelle-Écosse. Bientôt, toutefois, les treize colonies américaines acquirent leur indépendance (1775-1783) et l’Amérique britannique du Nord ne comprit plus que les territoires situés au nord du 45e parallèle. Ce sont ces colonies, Canada-Uni (Québec et Ontario), Nouvelle-Écosse et Nouveau Brunswick qui furent assemblés par Londres, en 1867, en vertu d’une loi qui s’appelle l’Acte de l’Amérique britannique du Nord. C’était la naissance de la Confédération canadienne, du Dominion of Canada.

Les habitants de la Nouvelle-France continuèrent, après la cession du Canada à l’Angleterre, en 1763, à s’appeler Canadiens. Au nombre d’environ 65 000, ils sont les ancêtres directs des Québécois d’aujourd’hui.

Les Anglais et les Américains qui étaient venus s’établir là n’étaient pas considérés comme des Canadiens, mais comme des Anglais, des Bostonnais, des Américains. Comme ils parlaient tous anglais, ils avaient tendance à être appelés tout bonnement les Anglais, fussent-ils écossais, irlandais, anglais ou même américains. Encore aujourd’hui, pour certaines couches de population du Québec, il existe des Canadiens et des Anglais.

Toutefois, à mesure que l’ancienne Nouvelle-France s’ouvrait aux nouveaux venus de langue anglaise et qu’après 1791 il y eut deux Canadas, le Haut-Canada (l’Ontario d’aujourd’hui) et le Bas-Canada (le Québec contemporain), les anglophones commencèrent eux-mêmes à s’appeler Canadians. Les francophones du Bas-Canada se firent appeler French-Canadians par les anglophones. L’expression Canadiens-français, calque direct de l’anglais, commença d’apparaître dans la langue des journaux et des hommes politiques. Canadien-français est l’un des premiers anglicismes qui devaient apparaître dans la langue québécoise.

Canadien, Canadian et Canayen

La riposte populaire ne tarda pas à se manifester. Puisque les anglophones s’étaient approprié le nom de Canadien, qu’ils avaient traduit par Canadian, il fallait s’en différencier. Apparut le nom de Canayen. Plus de doute possible. Il s’agit d’une appellation distinctive, qu’on ne peut confondre avec aucune autre. Elle nomme une espèce particulière de Nord-Américain, bien individualisée et fière d’elle-même. Pour le moment, c’était la seule appellation non équivoque. Si l’on disait “Canadien”, on aurait pu l’entendre pour désigner, selon l’appellation qui remonte au XVIIe siècle, un habitant de la Nouvelle-France, au Québec, donc un francophone, mais le vocable pouvait désigner tout aussi bien un anglophone et n’être que la traduction de Canadian. Enfin, Canadien pouvait aussi bien ne désigner que le seul anglophone du Canada, qui, ayant pris ce terme pour se désigner lui-même, avait créé l’expression de Franch-Canadian pour désigner les Canadiens de langue française. Le mot de Canayen ne permet, lui, aucune de ces hésitations.

Une autre appellation surgit, celle de Canuck. Le petit Webster définit “Canuck comme une expression argotique qui, aux États-Unis, désigne souvent un Canadien, de quelque langue qu’il soit ; au Canada, ajoute Webster, “Canuck désigne un Canadien-français.”

Les Québécois et les autres

Jusqu’ici, toutes les désignantions utilisées dérivent de “Canada”. D’où viennent Québec et Québécois ? Que sont les Québécois par rapport aux Canadiens, aux Canadiens-français, aux Canayens, aux Canadians et aux English-Canadians ? Canada et Québec viennent tous deux de langues amérindiennes. Canada serait un terme de la famille linguistique huron-iroquois et signifierait “village”. Québec serait tiré de l’algonquin et désignerait un détroit, un passage, comme c’est le cas du fleuve Saint-Laurent, au pied du cap Diamant, sur lequel est bâtie la ville de Québec, la capitale de l’État du Québec. Ces deux termes ont toujours existé. Québec étant algonquin – et les Algonquins étant établis ici depuis plus longtemps que les Iroquois – est plus ancien que Canada.

Qubécois a d’abord désigné les habitants de la ville de Québec – premier établissement permanent des Français en Amérique du Nord – et plus tard les habitants du Bas-Canada, de l’ancienne Nouvelle-France. Bien que le terme existât depuis toujours, ce n’est que depuis une décennie à peu près que “Québécois” a été revalorisé, au point de devenir une espèce de symbole de l’affirmation de soi, d’auto-détermination et de libération nationale. Canadien-français, anglicisme à l’origine, appartient plutôt à l’autre exe, celui de la différenciation d’autrui.

Asse paradoxalement, le terme de Québécois exclut les minorités francophones du Canada mais inclut la minorité anglophone du Québec. On voit assez l’intention politique dont le terme de Québécois est aujourd’hui chargé. Il est bien évident, toutefois, que les habitants du Québec étant francophones dans une proportion d’environ 80%, le nom de Québécois désigne avant tout une population de langue française.

On n’a pas réglé grande-chose quand on a convenu d’un nom pour un peuple. À supposer qu’on appelle Québécois les habitants du Québec – ce qui ne semble pas une proposition particulièrement révolutionnaire – on ne sait pas grand-chose d’eux si ce n’est qu’on a du mal à les nommer et qu’eux-mêmes ne s’y retrouvent pas toujours. Ce qui pourrait bien être, toutefois, le premier indice d’une caractérisation plus poussée. Peut-être sait-on, dès l’abord, que les faits ne sont pas aussi simples qu’ils peuvent paraître à ce qui disent que les Québécois étaient tout simplement québécois – comme les Italiens sont italiens – les choses pourraient paraître plus simples, encore faudrait-il savoir pourquoi il y a tant de variations dans leur appellation.

A réalité nous commande donc de considérer les Québécois comme un groupe ethnique dont la personnalité collective s’est tissée au cours de l’histoire et dont la trame se compose de traits français, américains et canadiens. Il faut éviter de considérer que ces traits sont juxtaposés et conservent leurs caractères originaux. Au contraire. Pour en arriver à une plus juste représentation des choses, il faudrait penser à une mosaïque qui serait en mouvement et dont l’impression optique serait un fondu, comme dans ces jeux d’enfants où l’on obtient une couleur déterminée, à partir d’éléments diversement colorés que l’on met en mouvement.

Par Marcel Rioux, éditions du Seuil – Le Temps qui court, 1974. (Marcel Rioux a été un écrivain et un sociologue québécois, né à Amqui, le 22 janvier 1919 et décédé le 16 décembre 1992, à Montréal).

Voir aussi :

Je suis celui qui, au temps de la tempête, quand les plus nobles festoyent auprès du feu et que je puis avoir près d’eux leurs propres jeux, vais sur la neige, pieds nus et tête nue. (Peire Raimon de Tolosa). Photographie de Megan Jorgensen.
Je suis celui qui, au temps de la tempête, quand les plus nobles festoyent auprès du feu et que je puis avoir près d’eux leurs propres jeux, vais sur la neige, pieds nus et tête nue. (Peire Raimon de Tolosa). Photographie de Megan Jorgensen.

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