De Français à Canadiens

De Français à Canadiens

La signature du traité de Paris le 10 février 1763 soulève l’inévitable question du sort de cette population « canadienne » abandonnée par la France. Quelles seront les conséquences de la Conquête ? Ces 70 000 personnes qui passent sous la domination du roi d’Angleterre sont-elles simplement des sujets du roi de France ou étaient-elles déjà un peu plus que ça ?

Les historiens, et bien des non-historiens, ont longuement débattu de la pertinence même du mot « conquête ». On a tout dit ou presque à ce propos ; on a parlé autant de catastrophe que de bienfait providentiel. Dans les années 1960, le débat opposa principalement deux historiens, Jean Hamelin et Maurice Séguin, représentant respectivement deux écoles, celle de Québec et celle de Montréal.

Pour évaluer les conséquences sur la Nouvelle-France, on en vint à s’interroger sur l’existence même d’une bourgeoisie coloniale. Si cette bourgeoisie n’était en somme qu’un « être de raison », comme le suggérait Jean Hamelin en conclusion de son essai intitulé « Économie et Société en Nouvelle-France », on ne pouvait parler de « décadence ». Le jeune historie est en début de carrière ; il annonce ses couleurs. « L’absence d’une bourgeoisie riche, forte, soucieuse du bien commun, se traduit dans l’évolution de la colonie par la déficience de son développement économique, écrit-il. Les commerçants canadiens furent incapables de remplir le rôle dévolu à toute bourgeoisie. » En 1760, se certains négociants rentrent en France, c’est le grand commerce leur échappait déjà. Autrement, ils seraient restés, fait remarquer Hamelin. « L’habitant qui avait sa terre a-t-il émigré? La plupart de ceux qui ont émigré étaient des commis ou des associés de compagnies métropolitaines, des forains de passage, des fonctionnaires qui s’adonnaient au commerce, des Canadiens dont les activités étaient tributaires de celles des commerçants français et des fournitures militaires », soutient-il.

Il faudra revenir sur cette émigration qualifiée de « décapitation sociale. » Pour l’instant, il importe de noter ce qui était au cœur du débat, c’est-à-dire, l’importance de la Conquête britannique ressentie comme la fin de la protection d’une métropole, le sevrage prématuré d’une colonie, la cession par le roi d’un vaste empire peuplé de quelques milliers de ses sujets en voie de s’affirmer de plus en plus distinctement.

L’historien Maurice Séguin, principal penseur de l’École de Montréal, enseignait pour sa part qu’ »aussi longtemps que les Canadiens conservent dans l’Empire français leur autonomie coloniale sur un territoire réservé, protégé, il leur est possible de devenir une nation, un État français, à côté d’une ou plusieurs nations anglaises en Amérique du Nord, une nation présente au monde par elle-même. »

Cet aboutissement, soutenait-il, suppose que « la métropole française, se tient derrière lui (le Canada) pour le protéger militairement, pour le coloniser avec ses hommes, ses capitaux, ses techniques, ses institutions, etc. » En situation de faiblesse, fait remarquer Séguin, le Canada d’avant 1760 pouvait se tourner vers la source, sa mère patrie, pour exiger plus de colons, plus de capitaux et une meilleure protection. L’historien admet que le Canada de 1750 ne possède pas tout ce qu’il faut en hommes ou en capitaux, mais qu’il est « à la veille de devenir une nation moderne complètement équipée ». Avec le temps, s’il n’y a pas de rupture, « ce Canada est apte à devenir une nation normale. »

En fait, Hamelin et Séguin disent la même chose, en ce sens que le Canada, société coloniale, n’est pas assez mûr pour « voler de ses propres ailes ». Pour le premier, il s’agit là d’une question qu’il ne veut pas considérer, pour le second c’est ça façon d’affirmer que l’abandon de la France signifie l’arrêt d’une évolution devant mener à la naissance d’un nouvel État français. « La cession du Canada à l’Angleterre, conclut Séguin, met fin au processus qui a fait naître le Canada français, qui l’a développé, qui lui a valu tout ce qu’il est (même si c’est très peu). »

(Sous la direction de Sophie Imbeault, Denis Vaugeois et Laurent Veyssière. 1763. Le traité de Paris bouleverse l’Amérique. Septentrion, 2013).

Sur la migration des Canadiens (par Louis Hémon)

Là où j’étais en premier, dans l’État du Maine, il y avait plus de Canayens que d’Américains ou d’Irlandais ; tout le monde parlait français ; mais à la place où je reste maintenant, qui est dans l’État de Massachusetts, il y en a moins. Quelques familles, tout de même ; on va veiller le soir…

Lorsque les Canadiens français parlent d’eux-mêmes, ils disent toujours « Canadiens », sans plus ; et à toutes les autres races qui ont derrière eux peuplé le pays jusqu’au Pacifique ils ont gardé pour parler d’elles leurs appellations d’origine : Anglais, Irlandais, Polonais ou Russes, sans admettre un seul instant que leurs fils, même nés dans le pays, puissent prétendre aussi au nom de « Canadiens ». C’est là un titre qu’ils se réservent tout naturellement et sans intention d’offense, de par leur héroïque antériorité.

Pour compléter la lecture :

Maison, intérieure. Photo de Megan Jorgensen.
Maison ancienne, l’intérieur. Photo de Megan Jorgensen.

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