Cris de mort et de victoire des peuples amérindiennes
Cri de mort
Les guerriers approchant de leur village, ou d’un village de leurs alliés, détachent quelqu’un de leur troupe pour aller porter la nouvelle de leur retour, et cependant ils font halte en attendant qu’on vienne au-devant d’eux. Celui qui a cette commission, d’aussi loin qu’il aperçoit le village, ou dès qu’il peut présumer qu’il sera entendu, commence à faire le cri de mort, en criant kôhe, parole qu’il traîne autant qu’il peut, et qu’il répète un nombre de fois égal à celui des personnes de leur troupe qui sont mortes dans le combat ou pendant le voyage.
Ce cri est fort perçant et fort lugubre. Il s’étend de fort loin, surtout sur la rivière et pendant la nuit. Aussitôt on sort de toutes les cabanes du village, et on court du côté d’où vient le cri. Cependant, l’envoyé continue sa route, redoublant de temps en temps son cri de mort. Il ne s’arrête qu’au milieu du village, où il se forme un cercle autour de lui. Alors, ayant repris un peu ses esprits, il à voix basse à l’un des Anciens, commis pour l’écouter, le précis de leur voyage, le nom de ceux qu’ils ont perdus, et le genre de leur mort sans omettre aucune circonstance de ce qui les concerne. Cet Ancien, ayant ouï son rapport, répète à haute voix, en style de conseil, tout ce que celui-ci a raconté. Après ce récit, chacun se retire chez soi. Les intéressés dont les parents sont morts vont les pleurer dans leurs cabanes, où ils reçoivent les compliments ordinaires de condoléances. L’envoyé de son côté se retire dans la sienne, ou bien s’il est étranger, il entre dans quelque autre où il ait quelque alliance de parenté ou d’hospitalité. On lui donne là à manger, après quoi il raconte en détail tout ce qui s’est passé dans leur expédition, et reçoit les compliments de félicitation sur son heureux retour.
Ils ont ce respect les uns pour les autres, que quelque complète que soit leur victoire, et quelque avantage qu’ils aient remporté, le premier sentiment qu’ils font paraître, c’est celui de la douleur pour ceux qu’ils ont perdus par les leurs. Tout le village doit participer; la bonne nouvelle du succès ne se dit qu’après qu’on a donné aux morts les premiers regrets qui leur sont dus. Cela étant fait, on avertit de nouveau tout le monde par un second cri, on lui donne part de l’avantage qu’on a remporté, et on se livre à la joie qu’a méritée la victoire.
Les femmes font la même chose à l’égard des hommes qui sont allés à la chasse ou à la guerre. Car, au moment de leur retour, elles vont les attendre sur le rivage; et au lieu de leur témoigner d’abord la joie qu’elles doivent sentir de les voir arriver en bonne santé, elles commencent par pleurer ceux de leur parenté qui sont morts dans le village pendant leur absence, et leur annoncent la perte qu’ils ont faite par leurs nénies, et leurs chansons thrèniques.
Cri de victoire
S’il n’y avait eu personne de tué ou de mort du côté des vainqueurs, comme il arrive souvent dans les petits partis, qui vont plutôt à la picorée qu’à la guerre, alors l’envoyé, au lieu d’un cri de mort, fait un cri de triomphe en criant kôhe; mais prononçant ce mot d’une manière plus brève et plus coupée.
Il la réitère autant de fois qu’il a de prisonniers ou de chevelures, et tout le village, s’abandonnant au plaisir que cause un tel cri, court avec avidité pour apprendre la bonne nouvelle.
Il est surprenant qu’un coutume aussi singulière ne nous ait point été détaillée par les auteurs anciens. Elle est cependant passée d’Asie en Amérique, et se pratique encore aujourd’hui dans la Colchide (Père A. Lamberti, Relation de la Colchide, Thévenot, Relations de divers voyages curieux, 2 vol., Paris, 1663; I, 36). L’ohi, qui est le cri de mort des Mingréliens, est aussi celui des Hurons.
Les Anciens et les parents des guerriers, sachant leur arrivée, députent au-devant d’eux pour les féliciter sur leur heureux retour, pour leur porter des rafraîchissements, et pour se charger de conduire les esclaves.
(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau).
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