Couturières : La pratique du métier
Que confectionnaient précisément les couturières en Nouvelle-France ? Habituellement, dans les grandes villes européennes où il existait des communautés de métiers, les femmes fabriquaient des vêtements de femmes ou d’enfants et les hommes produisaient les habits des gens de leur sexe. Des femmes pouvaient cependant assembler, sous supervision masculine, des vêtements taillés par des hommes pour leurs clients. Il semble qu’au Canada sous le Régime français, comme en Nouvelle-Angleterre, la loi du marché a pu parfois jouer en faveur des femmes et qu’elles desservaient directement la clientèle masculine. Pour pouvoir le faire, certaines ont appris la coupe de vêtements masculins. C’est le cas à Montréal de Françoise Alarie, l’épouse du docteur Vincent Mennesson, qui s’est faite « tailleuse en capots de traite. » (Livres de comptes de Monière, Journal #1, p.210, folio 112. Beaucoup d’autres entrées). D’autres couturières n’assemblaient que des vêtements aux formes simples (chemises de traite, mitasses et paires de manches). D’autres, en fin, réalisaient des vêtements complexes pour femmes et pour enfants des deux sexes. Il s’agissait de corps et de corsets baleinés, d’habits de femme, de robes, de compères, de mantelets, de casaquins, de camisoles et de capes (pour une définition de tous ces termes reliés aux vêtements, voir Suzanne Gousse et André Gousse, Lexique illustré du costume en Nouvelle-France, 1740-1760, Chambly, La Fleur de Lyse, 1995).
Le mythe du prêt-à-porter
Contrairement à une idée largement répandue, le prêt-à-porter n’existait pas sous le Régime français, exception faite du marché amérindien. En faisant des recherches pour une historienne économiste, Suzanne Gosse a eu l’occasion de lire et de coder plus de sept cents inventaires après décès (1700-1730) dont ceux de plusieurs marchands de Montréal, de Trois-Rivières et de Québec.
À l’exception de Louis Fafard dit Longval, marchand de Trois-Rivières qui fournissait les Amérindiens de la région, aucun n’avait de chemises ou de capots dans ses magasins (Greffe du notaire D. Normandin, inventaire de Louis Fafard, sieur Longval et Marie Lucas daté du 8 avril 1705). Des tissus aux noms variés étaient cependant présents en quantité dans tous ces inventaires. Selon Marla R. Miller, les textiles étaient facilement importés en Nouvelle-Angleterre, ce qui n’était pas le cas des vêtements. L’historienne situe l’avènement du prêt-à-porter pour les hommes américains au tournant du XIXe siècle et celui pour les femmes presque cent ans plus tard.
Les vêtements tout faits n’étaient disponibles dans les colonies au XVIIe et au XVIIIe siècle que sur le marché de l’usage. On pouvait se procurer par l’entremise de revendeuses publiques dans les villes ou lors de criées ou d’encans faits à la suite du décès d’un individu. C’était différent pour les accessoires vestimentaires et les parures de tête féminines qu’on retrouve dans les inventaires des marchands à toutes les époques. La revente donnait accès à des vêtements de meilleure qualité que ce qu’un individu pouvait ordinairement se payer. Il y a eu des revendeuses dans la colonie française, du moins à Montréal, comme en fait fois une ordonnance de Guiton de Montepos, en décembre 1759. Celui-ci défend « à tous particuliers, autres que revendeuses publiques ayant commission, de vendre des hardes, ustensiles de terre ou de Ménage, ni aucun effet sur le marché ou ailleurs. » (Arrêts, édits, mandements, ordonnances et règlements concernant Montréal, APC, Archives coloniales, cote MG8, C6). Ces marchands coloniales n’ont pas été étudiées (Le seul article sur la vente de marchandises, usagés ou neuves et consignées) concerne le cas de la veuve Gervais et de madame Vaudreuil, veuve Le Verrier, à La Nouvelle-Orléans. Sophie White, « A baser commerce : Retailing, Class, and Gender in French Colonial New Orleans », The William and Mary Quarterly, vol.63, #3, juillet 2006). Le magasin de la veuve Gervais contenait un inventaire de marchandises évaluées à 34000 livres.
Il y avait aussi le marché des vêtements volés et les dons que les plus riches faisaient à des domestiques ou aux pauvres. En France, certains vêtements et accessoires étaient disponibles tout faits « sans tailles ni mesures » dans les boutiques des grandes villes. Il s’agissait généralement de pièces couvrant les épaules ou la tête des femmes. Il existait également en Europe un énorme marché de « prêt-à-porter » produit sur commande pour les armées. Pour un exemple, voir des contrats accordés par les commandants aux marchands drapiers de Lorraine, voir Gilberte Vrignaud, Vêture et parure en France en France au dix-huitième siècle, Paris, Éditions Messene, 1995, p.49-55. Des auteurs ont présumé que les tailleurs de Montréal et de Québec, ainsi que les sœurs grises, confectionnaient les uniformes des troupes de la colonie à partir des tissus envoyés de France, mais aucune étude sérieuse n’a encore été menée à ce sujet.
(Suzanne Gousse. Les Couturières de Montréal au XVIIIe siècle. Les éditions de Septentrion, 1300, avenue Maguire, Québec G1T 1Z3, 2013.)
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