La Conqûete : Retournement de fortune

La guerre de la Conquête : Retournement de Fortune

Après 1757, l’Angleterre et ses colonies semblent prendre un nouveau départ vers la conquête de l’Amérique du Nord. À première vue, on est frappé par le contraste spectaculaire dans lequel s’opposent les années de revers que les Anglais ont connues depuis 1755 et l’époque triomphale qui s’ouvre pour en en 1758.

Pour peu toutefois que l’on aille plus loin que cette impression superficielle, on s’aperçoit que la situation de continuité est moins nette qu’il n’y paraît entre les deux phases de la guerre de la Conquête : ce n’est pas qu’il faille attacher beaucoup d’importance aux quelques réussites britanniques qui ont marqué la première étape du conflit non plus qu’aux quelques succès français qui vont s’insérer dans la seconde ; mais, d’une part, la nouvelle conception impérialiste qui donne à la conquête tout son sens a encore presque autant de peine à s’imposer en 1758 qu’au commencement des hostilités – on le verra bien à la violence du grand débat qu’elle déchaînera en 1760 – et, d’autre part, la série de victoires qui commence avec la chute de Louisbourg découle de causes profondes qui se sont mises à jouer bien avant que les forteresses américaines de la France aient cédé l’une après l’autre sous la poussée des vainqueurs. Ces causes ? Une supériorité navale qui, disputée durant trois ans, s’affirme soudain avec éclat ; une intense activité économique qui permet de financer une guerre extrêmement coûteuse ; une industrie lourde capable de fournir aux stratèges et aux combattants les instruments de la victoire. Conflit moderne, la guerre de la Conquête ne se sera pas gagnée uniquement sur les champs de bataille. La partie se sera jouée également dans les cabinets des manieurs d’argent et des percepteurs d’impôts, dans les comptoirs de navale, dans les forges et les fabriques d’armements, jusque dans les exploitations agricoles et les établissements de salaison. Parce qu’il aura produit et échangé, parce qu’il aura pu conduire en première ligne ses régiments bien nourris et sa formidable artillerie, l’empire britannique aura eu raison de l’empire naval.

Malgré tout, l’impression qu’une période est bien révolue et qu’un jour nouveau se lève en 1758 repose sur un fondement de réalité. Les contemporains en ont le sentiment. Cinq ans après, un écrivain politique évoque les heures sombres de 1757, alors que l’empire « se rétrécissait » et que les Anglais de tout rang, affolés par la crainte d’une conclure la paix à tout prix, heureux « de conserver la vie et la liberté ».

Qui eût dit, alors, que les territoires britanniques allaient s’élargir jusqu’aux dimensions qu’ils devaient prendre en 1763.

Dès le milieu de 1758, on éprouve la sensation d’un retournement de fortune. Quelqu’un, à Londres, demande avec hauteur « quand l’Angleterre est jamais apparue plus terrible à ses ennemis, plus digne du respect de toutes les nations. » Sa marine a un regain de puissance, la nation se révèle en mesure de défendre ses possessions dispersées sur tous les points de globe. « Nos hommes, notre argent, nos vaisseaux, sous la direction de chefs fidèles et sages pour qui l’intérêt de la Grande-Bretagne passe avant tout, pourraient défier le monde entier. » (Article daté de Londres, juillet 1758, The New York Gazette, 16 octobre 1758).

Aux yeux de cet observateur, on le notera, le grand facteur de ce changement et qui subordonne tout – c’est-à-dire toute la stratégie européenne – à l’intérêt de la Grande-Bretagne ; ou encore, comme Pitt le rappelle à Newcastle pendant les fêtes du temps de Noël, politique d’après laquelle c’est en Amérique qu’il faut « combattre pour l’Angleterre et l’Europe. » (Corbett, England in the Seven Years’ War, 1 : 305).

(Source : La Guerre de la Conquête, 1754-1760. Guu Frégault. Éditions Fides, 2009).

Bataille de Louisbourg

Vers 1758, dix ans après que Louisbourg ait été restituée à la France en vertu du Traité d’Aix-La-Chapelle (voir : Forteresse de Louisbourg), la garnison de la forteresse se compose de 3031 soldats et officiers de l’armée régulière et de la marine française. En outre, on compte 2606 marins répartis sur 10 navires, et au moins 400 miliciens.

Quand les 150 navires britanniques apparaissent au début du mois de juin 1758 devant les murs de la forteresse, la garnison de Louisbourg est à peu près sûre de pouvoir résister au siège, même si les Anglais disposent de 13 mille soldats et 2 mille canons, sans compter les 14 mille marins et membres d’équipage.

La flotte britannique est partie d’Halifax le 28 mai 1758. Elle arrive à Louisbourg le 3 juin et jette l’ancre dans la vaste baie de Gabarus, à sept kilomètres au sud-ouest de la ville. Le 8 juin, les troupes anglaises débarquent à l’Anse-de-la-Cormorandière, après avoir réussi à briser la résistance des unités françaises qui défendaient la côte.

Une fois débarqué, le major-général Jeffery Amherst, commandant des troupes anglaises, envoie à la femme d’Augustin de Boschenry de Drucour, gouverneur de l’Île-Royale, deux ananas qui lui ont été apportés des Caraïbes. Mme Marie-Anne de Drucour accepte le cadeau et offre en retour au général anglais une caisse de champagne français. Dans une note, elle exprime sa gratitude pour ce cadeau, peu commun sous ces latitudes. Alors Amherst lui envoie d’autres ananas, et Mme de Drucour répond avec une boîte de beurre frais acadien. Amherst est tellement impressionné par le goût du beurre qu’il commence le bombardement le matin suivant.

Les Français résistent. Mme Marie-Anne Aubert de Courserac, épouse de Drucour, sans doute à cours d’ananas, tire personnellement du canon au moins trois fois par jour vers le navire amiral britannique.

La première semaine s’écoule sans problèmes majeurs pour la garnison. Du fait du mauvais temps, les Anglais mettent sept jours pour hisser les canons sur les collines autour de Louisbourg et pour les installer. Si les Français ont une petite chance de gagner cette bataille, c’est lors de cette opération longue, pénible, délicate, mais ô combien lourde de menaces pour les assiégés! Mais le gouverneur se contente de répondre aux bombardements des navires.

Amherst partage ses troupes en trois divisions commandées par les trois «généraux brigadiers en Amérique», soit Charles Lawrence, James Wolfe et Edward Whitmore. Les trois divisions rivalisent de zèle pour venir à bout de la forteresse. Le 21 juillet 1758, le navire amiral français L’Entreprenant, de 74 canons, est touché. Il explose et coule. Deux autres navires prennent feu à cause des éclats.

Le 23 juillet, c’est au tour de la forteresse et de son Bastion du Roi, qui est alors le plus grand bâtiment de l’Amérique du Nord, d’être la proie des flammes. Ses murs s’écroulent au bout de quelques heures.

Le 25 juillet, profitant du brouillard, des hommes-grenouilles Anglais font exploser les deux derniers navires français. Le lendemain, le gouverneur Drucour signe la capitulation.

Les survivants de ce siège qui a duré près de deux mois sont renvoyés en France et Louisbourg est rasée. L’Île-Royale est rebaptisée Cap-Breton (Cape Breton), et l’île Saint-Jean, qui faisait partie de la colonie de l’Île-Royale, reçoit le nom de l’Île-du-Prince-Édouard.

On raconte que le sort des principaux participants de la bataille de Louisbourg a été déterminé par un vieil Amérindien qui servit le dîner le 3 août 1758, une semaine après la capitulation de la forteresse, mais c’est une autre histoire…

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Générak Wolfe
Le général Wolfe vu par le Musée Grévin. Photographie de GrandQuebec.com.

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