Connaissance de l’astronomie des Indiens

Connaissance de l’astronomie des Indiens

Les Indiens ont quelque connaissance de l’astronomie, qui sert à régler leur temps et à diriger leurs courses. Il leur reste encore quelque teinture de cette science, dont on rapporte les commencements à Prométhée, à Atlas et à Lycaon, qui s’appliquèrent les premiers à contempler le cours des astres, l’un sur le mont Caucase, le second dans la Mauritanie, et le troisième dans l’Acadie, ou sur les montagnes de Thrace.

Ils comptent ordinairement par les nuits à la façon des Numides, et de plusieurs autres peuples de l’Antiquité, plutôt que par les jours : par les mois lunaires, plutôt que par ceux du soleil, ainsi que le pratiquaient presque toutes les nations dans les premiers temps, et particulièrement les Juifs. Cependant cette manière de compter est subordonnée au cours du soleil, qui sert à régler leurs années, lesquelles sont partagées en quatre saisons comme les nôtres, et sous-divisées en douze mois. La manière de compter les lunes n’est pas même si universelle qu’ils ne comptent aussi par les années solaires. Je crois avoir remarqué que l’une et l’autre manière de compter est affectée à certaines choses, et qu’en d’autres occasions elles s’emploient indifféremment.

Les années héliaques ou solaires sont destinées à marquer l’âge des hommes. Pour savoir, par exemple, combien il y a de temps qu’un homme est né, la phrase huronne porte comme de fois a-t-il rattrapé le jour de sa naissance?

Et c’est la même dont ils se servent par rapport au soleil, de qui ils disent qu’il a rattrapé tant de fois le point où il recommence son cours. Ils expriment aussi les années héliaques par le nom d’une des saisons, et surtout de l’hiver; le nom d’une des saisons supposant dans cette occasion pour toutes les quatre ensemble et pour l’année solaire entière. Ils comptent de la même façon pour toutes les choses éloignées, qui renferment une période de temps assez longue, où le nombre et la supputation des mois lunaires les embarrasseraient. Ils comptent au contraire par les lunes, et par les nuits, quand il s’agit d’un terme assez court, de prendre leurs mesures pour leurs voyages de guerre, de chasse, ou de pêche, pour leur rendez-vous, et pour le temps de leur retour, etc. Dans ces occasions là même ils disent fort bien skarakouat, qui signifie un mois héliaque, comme s’ouennitat, qui signifie un mois lunaire; mais le premier est moins ordinaire que le second.

Il est très vraisemblable que tous les peuples de l’Antiquité avaient ainsi subordonné les années lunaires au cours du soleil. Cela paraît certain par l’Écriture sainte des Égyptiens et des Hébreux (Genèse, XLI, 29, 30). Joseph parlant à Pharaon des sept années d’abondance, et des sept autres de stérilité, parle manifestement des années qui dépendent absolument du cours du soleil, lequel sert à régler le temps des semences et des récoltes, en réglant celui des saisons.

Les années jubilaires des Juifs étaient aussi manifestement des années héliaques. Hérodote (II, 4) raconte des Égyptiens que les prêtres de cette nation se vantaient d’avoir été les premiers qui avaient divisé l’année en douze mois solaires de trente jours chacun, ajoutant cinq jours à la fin de chaque année. Les Égyptiens se donnaient =, peut-être par vanité, une gloire qui ne leur convenait pas. Il est probable que cette division est aussi ancienne que la division de étoiles en constellations, dont il y en a douze dans l’écliptique, qu’on appelle les douze maisons du soleil, parce qu’il séjourne un mois dans chacune; or l’honneur d’avoir donné des noms aux étoiles appartient, je crois, aux autres barbares, comme on pourra l’inférer de ce que je vais dire tout à l’heure. Ils diront, par exemple, il y a tant d’hivers que je suis au monde, pour dire il y a tant d’années; cette manière de parler est encore usitée dans la poésie ancienne et moderne.

Ce qui peut justifier ce que je viens de dire des années héliaques, c’est qu’outre les barbares les peuples policés de l’Amérique réglaient aussi leurs années par le cours du soleil (Joseph de Acosta, S.J. Histoire naturelle et morale des Indes tant orientales qu’occidentales, VI, 2,3, (Paris, 1598). Les habitants du Pérou comptaient autant de jours dans l’année et les partageaient en douze mois lunaires, qui avaient chacun leur nom, et sur lesquels ils répartissaient les onze jours solaires qui restent. L’année solaire des Mexicains était de trois cent soixante jours distribués en dix-huit mois de vingt jours chacun. Néanmoins, comme le cours du soleil emporte cinq jours davantage, ils en tenaient compte de la même manière que les Égyptiens; mais ils les regardaient comme des jours superflus, des jours vides, auxquels leurs prêtres ne faisaient point de sacrifices. Ces jours se passaient uniquement à se visiter et à se divertir. Après cette intercalations, ils commençaient leur nouvelle année avec le printemps et la naissance des feuilles; au lieu que les Péruviens la commençaient d’abord en janvier, et ensuite au mois de décembre, après que leur calendrier eut été réformé par un de leurs Incas.

Les Mexicains partageaient, outre cela, leur année, selon les saisons, en quatre parties égales, qui avaient chacune différents noms, et différents symboles pour les désigner. Leurs mois n’étant pas réglés comme les nôtres, leur semaines ne l’étaient pas non plus; elles étaient de treize jours. Ils avaient aussi des semaines d’années, dont quatre qui faisaient le nombre de cinquante-deux ans composaient leur siècle. La forme de ce calendrier séculaire était représentée par une roue ou par une croix à quatre branches égales. Le soleil était peint au centre. Chaque branche avait sa couleur particulier et était distinguée en treize parties pour marquer le nombre des années. Sur les bords ils marquaient les principaux événements par des hiéroglyphes.

Je n’oublierai point de dire ici, en passant, que comme ils avaient une tradition que le monde devait périr à la fin des siècles, semblable à celle qu’avaient les peuples du Pérou ainsi que nous l’avons déjà remarqué, lorsque leur année séculaire finissait, ils éteignaient les feux sacrés de leurs temples, celui de leurs maisons particulières, et brisaient tous les vases qui servaient pour leur nourriture, comme s’ils n’en eussent plus eu besoin que le monde eût dû réellement tomber cette nuit-là même dans le chaos ou rentrer dans le néant. Dans cette persuasion ils passaient toute cette nuit dans les ténèbres entre la crainte et l’espérance. Mais, dès qu’ils voyaient l’aurore revenir leur annoncer le retour du soleil, on entendait alors de toutes parts retenir mille soleil, on entendait alors de toutes parts retentir mille acclamations de joie, soutenues du bruit de divers instruments de leur musique; on allumait de tous côtés des feux nouveaux dans les temples et dans les maisons, et on célébrait une fête, où par des sacrifices et des processions solennelles ils rendaient grâce à leur dieu de ce que sa bonté leur avait rendu sa lumière et leur accordait un nouveau siècle.

Les noms des quatre saisons sont fixés chez les barbares. Les mois prennent les noms des lunes, ou des différents effets qui y répondent. Chez les nations sédentaires de la Nouvelle-France, ils les désignent par les semences, par les différents degrés de la hauteur des blés, les récoltes, etc. Les nations errantes ont d’autres circonstances particulières à chaque lune, qui déterminent le nom qu’elles lui donnent. Ils ne savent ce que c’est que la distinction des semaines, ni des jours en heures réglées; ils n’ont guère que quatre points fixes, le lever du soleil, le midi, le coucher et la minuit; mais ils suppléent au défaut des horloges par une attention, pratique si exacte qu’à quelque heure que ce soit du jour ils marquent à peu près du doigt le point où le soleil doit être.

Les Iroquois et les Hurons ont une manière de compter, laquelle est du style de conseil, où les nuits supposent pour des années. Il pourrait y avoir eu parmi les Égyptiens, les Chinois, et d’autres peuples anciens, des manières de compter à peu près semblables, qui auront donné lieu à cette supputation d’un grand nombre de siècles qui se trouvent dans leur chronologie, et qui n’ont d’existence que dans leur ignorance ou dans leur vanité. C’est ainsi qu’il y a eu chez les Juifs des semaines d’années, énoncées comme si c’était des semaines de jours.

Le baron de la Hontan (Mémoires de l’Amérique septentrionale, II, 105 – 106, La Haye, 1703, 2 vol.) dit que l’armée des Outaouacs, des Outagamis, des Hurons, des Sauteurs, des Illinois, des Oumamis, et de quelque autres Sauvages, est composée de douze mois lunaires synodiques, avec cette différence qu’au bout de trente lunes ils en laissent toujours passer une surnuméraire qu’ils appellent la lune perdue; ensuite ils continuent leur compte à l’ordinaire. « Par exemple, dit cet auteur, nous sommes à présent dans la lune de mars que je suppose être le trentième mois lunaire, et par conséquent le dernier de cette époque, sur ce pied là celle d’avril devrait la suivre immédiatement; cependant ce sera la trente unième. Ensuite celle d’avril entrera, et on commencera en même temps la période de ces trente mois lunaires synodiques, qui font environ deux ans et demi. » Tout cela me paraît être de la pure invention de cet auteur, ainsi que ses dialogues, et beaucoup d’autres choses dont ses mémoires sont farcis, et qui sont toutes fausses de notoriété publique.

Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils n’ont point une exactitude mathématique pour les intercalations, et pour accorder les années héliaques avec les années lunaires. Les peuples policés de l’Amérique ne l’avaient pas eux-mêmes, à combien plus forte raison les barbares. Acosta et l’Inca Garcilaso (Garcilaso de la Vega, Le Commentaire royal ou l’Histoire des Incas, rois du Pérou, II, 22, Paris, 1633, p. 239 et s.) sont obligés d’avoir que la science des Mexicains et des Péruviens était très bornée sur ce point. L’un et l’autre rapportent, quoique d’une manière un peu différente, comment les habitants du Pérou réglaient les erreurs, qui pouvaient naître de la différence qui se trouve entre les années lunaires et les années héliaques, en se réglant eux-mêmes, non pas sur le cours de la lune, mais sur le point fixe des solstices et des équinoxes. Ils avaient des tours pour observer les uns, et des colonnes pour les autres. Les auteurs que je viens de citer varient sur le nombre et la position de ces tours; mais ils conviennent dans l’essentiel, qui est qu’elles étaient tellement disposées qu’on pouvait y faire des observations mathématiques, lesquelles n’étaient pas sans doute de la justesse qu’on exigerait aujourd’hui, mais qui étaient suffisantes pour le besoin qu’ils en avaient. C’était un prince de la race des Incas qui était obligé de veiller à ces ennuyeuses observations.

Les annales des Sauvages n’étant pas beaucoup chargées par le défaut des lettres alphabétiques, leur chronologie ne se sent pas des erreurs qui pourraient se trouver dans leurs supputations, et suivre de la révolution de plusieurs siècles.

Ce n’est pas qu’ils n’aient des époques marquées, et une manière de conserver la mémoire des événements historiques et des choses qui méritent le plus d’être remarquées. Car, outre ce que j’ai dit des Iroquois, des Hurons, et de ceux qui traitent les affaires par les colliers de porcelaine, outre l’écriture hiéroglyphique des Mexicains, et les peintures dont nous avons parlé, tous les Sauvages ont encore une sorte d’annales marquées par certains nœuds; mais ces chroniques sont bien bornées et bien imparfaites chez tous les barbares.

Les Péruviens les avaient un peu plus perfectionnées ; car si nous nous en rapportons au père d’Acosta (Joseph de Acosta, S.J. Histoire naturelle & morale des Indes tant orientales qu’occidentales. VI, 8, (Paris, 15987, p. 285, recto)., ils suppléaient au défaut de l’alphabet par leurs quipos, c’est ainsi qu’ils appelaient certains mémoires ou registres faits de cordelettes, composées de divers nœuds et différentes couleurs. C’est une chose incroyable, dit-il combien de choses ils expriment de cette manière; car, avec cela, tout ce qu’on peut expliquer par l’écriture et par les livres, d’histoire, de lois, de cérémonies, de comptes de marchandise, ils l’exprimaient par différents cordeaux, où les nœuds et les couleurs étaient si variés qu’on pouvait connaître jusqu’aux moindres circonstances des choses qui y étaient signifiées.

soleil indien
Soleil couchant. Source: Grandquebec.com.

Il y avait des personnes publiques comme parmi nous les notaires royaux, qui en tenaient registre, et des maîtres préposés pour en enseigner la méthode à la jeunesse. Les Mexicains avaient encore plus perfectionné leurs hiéroglyphes chronologiques. Ils en avaient des histoires écrites sur des écorces reliées en livres à peu près semblables à ceux qui nous viennent de la Chine, et nous aurions sans doute une plus grande connaissance de l’Antiquité au temps de la conquête des Espagnols et si le zèle indiscret joint au peu de littérature de leurs premiers missionnaires n’eussent porté ces zélés ignorants à faire brûler tous ces recueils historiques, comme s’ils eussent été remplis de caractères magiques, et n’eussent eu d’autre but que d’apprendre la manière de faire des sortilèges (Ibid., VI, 7).

J’ajouterai ici au sujet de leurs époques, et de leur manière de compter, qu’on doit regarder aussi comme une chose digne d’admiration que les Sauvages aient la même manière de compter que nous est venue de l’Antiquité, et qui étant purement arbitraire doit être dérivée de la même source. Car le nombre de dix est chez eux, le nombre de perfection, comme il l’était chez les Chinois, comme on peut dire aussi qu’il est chez toutes les nations de l’Europe. Ils comptent d’abord les unités jusqu’au nombre de dix; les dizaines par dix jusqu’à cent; les centaines par dix jusqu’à mille, ainsi du reste.

(Tiré du Mœurs des Sauvages Américains, comparés aux mœurs des premiers temps, par Joseph-François Lafitau).

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