
Vive concurrence des Européens pour les fourrures du Saint-Laurent, 1545-1598
S’il s’avère que les Basques sont les premiers à s’éloigner des bancs de Terre-Neuve et à chercher de nouvelles zones de chasse à la baleine moins fréquentées, leur secret sera bien vite éventé. D’autres aventuriers, appartenant à des nations ou à des groupes concurrents, ont vent de l’affaire et ne tardent pas à les suivre. Bretons et Normands ont eux aussi une réputation bien assise de pêcheurs et trafiquants qui sillonnent les mers à la recherche de profits divers. C’est aussi sans compter avec les armateurs et consortiums qui font appareiller, année après année, des flottilles de pêche ou de commerce. Des capitaines, pour leur compte ou profit personnel, ou pour celui de leurs commanditaires, se livrent à des explorations multiples, n’hésitant pas à remonter les cours d’eau jusqu’à l’intérieur des terres, à la recherche de trésors et de civilisations mystérieuses mais se contentant de profits plus limités et faciles. Jalouses de succès du Portugal et de l’Espagne, la France et l’Angleterre s’intéressent pendant un certain temps aux territoires du Nord-Est et lancent quelques vaines tentatives d’implantation de colonies en Floride, d’abord, puis plus au Nord sur la côte atlantique et sur les rives du Saint-Laurent.
Développement rapide de la traite des fourrures
Basques, Malouins, Rochelais, Bayonnais et autres ne sont pas des colonisateurs. Ils s’intéressent avant tout aux profits générés par les activités de pêche, de production d’huile et d’échanges commerciaux avec les indigènes.
Un nouveau trafic s’implante rapidement. À défaut d’épices, de métaux précieux ou de pierres précieuses, les pêcheurs et aventuriers européens découvrent les possibilités offertes par le trafic des fourrures et des cuirs qu’ils peuvent se procurer auprès des indigènes vivant sur les deux rives du fleuve Saint-Laurent. D’abord considérée comme une activité secondaire destinée à arrondir les profits générés par la pêche et la production d’huile de baleine et de loup-marin, la cueillette des fourrures prend rapidement de l’ampleur et devient vite une activité majeure.
Le fait est que les profits sont énormes. Pour quelques babioles, des armes et des ustensiles en métal, des perles de verre, des pièces de tissu coloré, un traiteur obtient en échange des fourrures et des peaux qu’il peut revendre fort cher sur les marchés européens. Ces produits ont la réputation d’être d’une grande qualité. Les Indiens, en échange, obtiennent des produits manufacturés qui représentent à leur yeux une grande valeur.
Au début, les échanges semblent s’effectuer de façon assez simpliste voire anarchique, au gré des rencontres entre Européens et Indiens. Il est tout à fait probable que certains lieux de la rive sud du fleuve, tel que l’embouchure de la rivière des Trois Pistoles, l’île aux Basques, l’île Verte, aient servi de points de rencontre. Des artefacts, trouvés plus spécifiquement à l’île aux Basques, attestent une telle pratique. Les Malécites y sont certainement partie prenante, bien qu’on puisse supposer qu’ils soient rejoints par d’autres groupes d’Amérindiens, en particulier des Montagnais, qui sent empêchés de se rendre à Tadoussac.
La convoitise des uns et des autres aidant, les activités d’échange tendent à se concentrer en des points précis, Tadoussac devenant l’un de ceux-là. Les Tadoussaciens, nom générique servant à désigner un groupe spécifique de Montagnais qui se sont approprié de l’exclusivité de la traite sur la rive nord du fleuve, troquent leurs pelleteries contre des marchandises européennes. Ils interdisent l’accès de Tadoussac aux autres groupes montagnais venant de l’intérieur des terres ou des régions situées en aval ou en amont le long de la rive nord du fleuve. Pendant qu’une partie du groupe occupe les lieux, d’avril à novembre, les autres vont commercer avec les groupes montagnais maintenus à distance.
Les traiteurs sont également invités à traiter uniquement à Tadoussac, ce qui au fond les avantage. Ils n’ont plus à courir à gauche et à droite pour obtenir les quantités de plus en plus grandes de fourrures dont ils ont besoin. Dès 1560, une vive concurrence oppose Basques, Bayonnais, Malouins, Rochealis et autres trafiquants, de tout acabit qui ont déjà pris l’habitude de se précipiter, malgré la débâcle des glaces dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent, pour profiter les premiers de la traite de Tadoussac.
Il semble bien que les Algonquins et les Malécites jouissent d’un statut particulier, à l’intérieur du réseau commercial dominé par les Tadoussaciens. En tant qu’alliés et partenaires disposant de leurs propres réseaux de troc de fourrures contre des marchandises européennes, ils participent aux activités annuelles de la traite de Tadoussac. Ce qui, selon toute vraisemblance, ne doit pas empêcher qu’une partie de la traite venant de la rive sud soit détournée au profit de quelques traiteurs plus astucieux, peut-être basques, déjà bien implantés auprès des Malécites.
Avec l’arrivée des Européens, le monopole tadoussacien, tout en se maintenant, perd graduellement de son importance. Très bientôt, les Amérindiens dépendront en grande mesure de la traite des fourrures, eux-aussi.
Source : Ghislain Michaud. Les gardiens des portages. L’histoire des Malécites du Québec. Les Éditions GID.

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