La Commission Fontanieu
Parallèlement à l’Affaire du Canada, l’État français charge une commission des opérations d’enregistrement et de paiement du papier du Canada.Cette commission est formée le 28 novembre 1761 et est composée de quatre personnes. La présidence est confiée à Gaspard-Moïse de Fontanieu, marquis de Fiennes, conseiller au Parlement de Paris. Alexandre-Robert Hillaire de La Rochette, agent des trésoriers généraux de la Marine à Québec de 1758 à 1763, est nommé trésorier. Les deux autres membres, nommés maîtres des requêtes, sont Louis-Guillaume de Villevault, responsable des affaires du ministère de la Marine de 1759 à 1761, et le sieur Daine (Frère de François Daine) » Villevault a été commissaire à la Commission du Châtelet avant de passer à la liquidation des papiers, où il vise les papiers à enregistrer et s’occupe des réclamations, dont celles des Anglais.
Fintanieu et La Rochette sont familiers des finances publiques canadiennes. Le premier analyse depuis octobre 1758 les dettes de la Marine et des Colonies (Çôté, Joseph-Michel Cadet, p. 266. Ce Daine, selon Shortt, aurait été attaché aux services de l’intendance au Canada) et le deuxième est témoin et chargé, dès la fin de 1761, d’opérations comptables sur les dépenses publiques du Canada de 1749 à 1760 puis au cours de 1762 pour la Commission du Châtelet. Au Canada, La Rochette effectuait les paiements de la Couronne par des instruments financiers et les convertissait, chaque année, en lettres de change tirées sur les fermiers généraux. Enfin, en 1764, un dernier membre entre en fonction, Jean-Baptiste Blot.
Le 11 octobre 1767, Claude-Henry Feudeau de Marville remplace Fontanieu, décédé cette année-là, dans ses fonctions. Le travail des commissaires prend fin le 20 février 1768 avec l’Arrêt qui annule tous les billets de monnaie, lettres de change et autres titres de créance du Canada qui n’ont pas été produits dans les délais fixés.
L’enregistrement
Deux vois se font entendre pour obtenir le paiement du papier, notamment dans un mémoire de marchands anglais adressé au comte d’Égremont en 1762 et une pétition de Montréalais présentée au roi d’Angleterre en 1763. À l’automne 1762, la France décide de procéder à un enregistrement afin d’entreprendre le rachat du papier du Canada et de contrer le mouvement de spéculation qui a commencé à poindre. Plus de deux ans ont passé depuis la suspension et, à Paris, certains vont jusqu’à s’en débarrasser avec 70% à 80 % de pertes. Un arrêt du conseil d’État ordonne aux porteurs de papiers ou à ceux qui les ont en dépôt de les déclarer avant le 24 décembre car « Sa Majesté voulant, immédiatement après le jugement des accusés, pourvoir sans délai, de la manière la plus équitable, à l’acquittement des différents papiers qui ont eu cours dans cette colonie… »
Un modèle inclus précise ce que doit contenir chaque déclaration : « des noms, qualités et domicile des propriétaires, et même du dépositaire au commissionnaire, on y donnera pour chaque nature de papiers… » On prend également des précautions pour éviter les doubles déclarations. L’article 3 de l’arrêt stipule : « Elles seront expédiées doubles, certifiées véritables, signées des porteurs desdits papiers et présentées, soit par les propriétaires, dépositaires volontaires ou judiciaires, ou commissionnaires, soit par leurs correspondants ou autres personnes qu’ils en voudront charger » Il est interdit de faire une déclaration sous d’autres noms et de prêter son nom.(Projet d’arrêt du Conseil d’État du roi qui ordonne de fournir des déclarations des papiers du Canada. Extrait des registres du Conseil d’État et Arrêt du Conseil d’État du roi, qui ordonne aux propriétaires et porteurs de papiers du Canada, d’en faire des déclarations, 24 décembre 1762).
L’État mandate la Commission Fontaineu d’enregistrer lesdits papiers et de les liquider. La Rochette reçoit et vérifie toutes les réclamations. Il conserve une copie de chaque déclaration et rend l’autre à la personne venue les lui présenter. Le tout est finalement visé par Fontenieu et Daine ou Villevault. Une difficulté supplémentaire surgit pour les Canadiens privés de leur argent : la distance. Tous les porteurs, que leurs papiers soient déjà en France ou au Canada, doivent se rendre à Paris pour les déclarer. Une partie d’entre eux font confiance à un tiers, qui devient dépositaire ou commissionnaire.
L’arrêt est diffusé en France par les intendants des provinces, à Londres, aux administrateurs britanniques du Canada, sans oublier aux accusés dans l’Affaire du Canada. C’est aussi le cas de la déclaration signée le même jour que le traité de Paris dans laquelle le roi s’engage à payer tous les billets et lettres de change pour les fournitures faites aux troupes françaises par les Canadiens. John Russel, duc de Bedford, écrivait à ce sujet le 10 février 1763 : «… les ministres français étaient déterminés à ne pas stipuler, expressément par un article dans le traité, sur le paiement de la monnaie due aux Canadiens ».
(Sous la direction de Sophie Imbeault, Denis Vaugeois et Laurent Veyssière. 1763. Le traité de Paris bouleverse l’Amérique. Septentrion, 2013.)
