Les colons et la guerre

La participation des colons à l’effort de guerre en Nouvelle-France

En temps normal, la faiblesse des troupes régulières obligea les autorités locales du Canada à constituer des milices. Comme le souligne Louise Dechêne, « alors qu’en France, à la même époque, la guerre se traduit surtout par l’augmentation des charges fiscales, c’est un prélèvement humain que le roi opère d’abord sur le Canada ». Dès 1663, on établit à Montréal un système de milice qui s’étendit, six ans plus tard, à toute la colonie : tous les hommes de seize à soixante ans état de porter les armes étaient enrôlés. Seuls étaient exemptés les clercs, ainsi que les officiers de plume. Les miliciens, en plus de défendre la colonie, aidaient à la poursuite des criminels et des déserteurs et s’occupaient aussi, en ville, de la prévention des incendies, de l’entretien de la voirie et même des recensements.

Dans les villes, la levée des miliciens était effectuée par le syndic, puis par l’intendant ou son subdélégué, secondé par les capitaines des milices urbaines. Ces derniers étaient recrutés parmi les gentils-hommes et les marchands, mais seuls les premiers allaient au combat et encadraient comme officiers les milices coloniales. En 1752, les marchands de Montréal formèrent une « compagnie de réserve » habillée d’un uniforme écarlate et blanc, les autres miliciens en étant dépourvus. Dans les campagnes, l’intendant nommait un habitant pour s’occuper du recrutement et de l’entraînement des miliciens. Ces commissaires étaient appelés « capitaines de côte » ou « capitaines de milice ». Cependant, ils participaient rarement aux opérations militaires et, le cas échéant, uniquement comme simple soldats.

Seuls les nobles étaient autorisés à commander les milices. Ces capitaines de côte acquièrent un rôle déterminant dans le fonctionnement administratif de la colonie. Chargés de la répartition des taxes, des corvées et des billets pour le logement des soldats, mais aussi de la levée des blés en temps de disette, ils servaient de courroie de transmission entre les autorités et les paysans. Nommés par l’intendant, ils assumaient ainsi individuellement les fonctions remplies par les assemblées villageoises en métropole.

Au Canada, tous les colons étaient armés (les miliciens devaient payer eux-mêmes les fusils qu’on leur distribuait) et constituaient de bons combattants, comme l’atteste le voyageur suédois Pehr Kalm en 1749 : « Il n’est pour ainsi dire aucun d’entre eux qui ne soit capable de tirer remarquablement ni qui ne possède un fusil. » Cette situation donnait un grand avantage à la Nouvelle-France en période de guerre avec les Britanniques. À la veille de la guerre de Sept Ans, les miliciens, au nombre de 15 mille, étaient la principale force militaire du pays. Les compagnies de milice de l’île Royale et celles de Basse-Louisiane, mises en place à partir des années 1720, ne jouèrent pas un rôle aussi essentiel. En revanche, les miliciens du Pays des Illinois participèrent de manière importante aux conflits contre les Amérindiens et contre les Anglais.

Selon les circonstances, un nombre plus ou moins élevé de miliciens canadiens étaient appelés pour participer aux opérations militaires. Des recrutements massifs eurent lieu en particulier durant la guerre de la Ligue d’Augsbourg et plus encore au cours de la guerre de Sept Ans. En 1787, un tiers de tous les Canadiens de plus de quinze ans se joignirent à l’expédition du gouverneur Denonville contre les Iroquois.

Entre 1745 et 1755, les levées de miliciens touchèrent uniquement les jeunes hommes. Comme c’étaient essentiellement ces fils d’habitants qui procédaient aux nouveaux défrichements, cette mobilisation conduisit néanmoins à une stagnation de la production agricole. Après 1755, tous les hommes furent appelés. L’année suivante, un prisonnier anglais témoigna qu’il ne restait plus que les femmes, les vieillards et les enfants dans les campagnes environnant Québec, d’où de graves problèmes de main d’œuvre pour les moissons. Jointes aux réquisitions, ces levées massives de miliciens expliquent la famine qui sévit alors dans la colonie.

Pourtant, même durant ce dernier conflit, les habitants ne refusèrent pas de partir à la guerre. De fait, durant tout le Régime français, ils acceptèrent sans trop rechigner de servir dans la milice. Pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg, les officiels firent bien part de la grogne des colons qui se plaignaient du départ des pères de famille, tandis que les jeunes hommes couraient les bois en toute quiétude, mais, selon le gouverneur, ils n’ont « point encore refusé de marcher ».

En mars 1752, l’incident qui opposa les jeunes gens du Pays des Illinois au commandant du poste fut ainsi exceptionnel. Après que certains refusèrent de partir à la poursuite de soldats déserteurs, le commandant Macary fit arrêter un jeune homme pour donner l’exemple, menaçant de l’envoyer à La Nouvelle-Orléans pour y être jugé. Les jeunes gens s’assemblèrent et prirent les armes durant la nuit, de crainte que le commandant ne profitât de l’obscurité pour mettre sa menace à l’exécution. Finalement, la crise fut résolue par l’intermédiaire d’habitants venus plaider la cause du jeune homme. Deux femmes d’officier, notamment, mirent en avant le fait qu’il était de bonne famille au Canada et Macarty le libéra afin d’apaiser les tensions. Ce petit conflit s’explique par un mécontentement général de la population contre l’obligation de livrer des fournitures pour les travaux de fortification.

(Tiré du livre Histoire de l’Amérique française, par Gilles Havard et Cécile Vidal).

Voir aussi :

Le retour de la guerre en Nouvelle-France

Marins de Guerre
La guerre n’est pas une aventure. La guerre est une maladie. Comme le typhus (Antoine de Saint-Exupéry). Photo de GrandQuebec.com.

Laisser un commentaire