Les cimetières juifs de Trois-Rivières
La disparition des cimetières juifs en 1909 a effacé les dernières traces tangibles de la présence juive à Trois-Rivières. Cette communauté, qui participe pourtant au dynamisme commercial trifluvien du XIXe siècle fut solidement ancrée dans la politique et la magistrature pendant plus de cent ans.
Une communauté impliquée
Les premiers Juifs canadiens sont Trifluviens. Aaron Hart (1724-1800) arrive de New York en 1760 en compagnie du général Jeffery Amherst, à titre de commissaire aux vivres, les Juifs ne pouvant obtenir de grade dans l’armée anglaise. Hart se trouve à Trois-Rivières en 1761. L’homme d’affaires, protégé par le gouverneur Frederick Haldimand, convertit une partie de sa fortune en propriétés foncières dans la ville. Trois de ses quatre fils, Ezekiel, Moses et Benjamin, demeurent à Trois-Rivières. Leur présence dans la petite cité de Laviolette se fait sentir grâce aux nombreuses alliances matrimoniales des familles Hart, Judah et David.
Le dernier repos dans la ville
La communauté juive grandissante se dote d’institutions pour la pratique du culte. Les familles juives de Trois-Rivières auraient disposé d’une synagogue et d’un cimetière dès le XVIIIe siècle. La synagogue a disparu dans un incendie vers 1860. Le premier cimetière, situé dans les jardins de la propriété d’Aaron Hart, aujourd’hui la rue Radisson, autrefois la rue Alexandre, est utilisé dès 1796 au décès de Julia, 7 mois, fille d’Ezekiel et Frances Hart. Aaron Hart y est aussi enterré en 1800. Il s’agit d’abord d’un site familial. En 1827, une entente intervient entre les différents membres de la famille pour dédier le cimetière de la rue Alexandre à l’ensemble des Juifs de la Province.
Le second cimetière, celui de la rue des Prisons, derrière l’Académie De La Salle, est un legs d’Ezekiel Hart, premier député juif de l’empire britannique. Il est ouvert à tous les Juifs lorsque le premier cimetière est plein vers 1860.
La désacralisation des cimetières
L’expansion urbaine et le déclin de la communauté juive ont raison de ces lieux sacrés au début du XXe siècle. En 1901, la ville de Trois-Rivières tente d’exproprier le cimetière de la rue Alexandre au profit d’un propriétaire adjacent. La communauté juive montréalaise fait alors prévaloir l’importance du cimetière trifluvien : d’une part, pour sa valeur patrimoniale plus que centenaire, d’autre part, le respect de la mémoire des pionniers juifs du Canada. Enfin, la reconnaissance envers les nombreux serviteurs juifs de l’armée britannique. Néanmoins, le site et les corps sont transférés temporairement au coteau Saint-Louis. En 1909, des mesures sont entreprises en vue d’exproprier également le cimetière de la rue des Prisons.
Les sépultures des deux cimetières juifs trifluviens sont finalement transportées à Montréal en octobre 1909, un cimetière en plein cœur d’une cour de récréation ayant souffert de nombreux actes de vandalisme et l’autre ayant été relocalisé temporairement. La petite-fille d’Ezekiel Hart, Miriam Hart-Hadley-Belasco, supervise le transfert des sépultures au cimetière des Juifs espagnols et portugais au Mount Royal Cemetery dans le respect de la tradition juive. L’événement, qui fait couler beaucoup d’encre dans les cercles juifs de la métropole, est considéré comme une catastrophe. C’est une lourde perte pour le patrimoine trifluvien qui ne trouve plus guère échos à l’époque. Même si la présence de la communauté juive de Trois-Rivières est évoquée dans le nom de la rue Hart, la disparition de ces cimetières la prive de toute sa résonance historique. Le berceau du judaïsme au Canada est désormais sans tombeau.