Histoire de Montréal

Chroniques de la Nouvelle-France – 1695

Chroniques de la Nouvelle-France – 1695

CHRONIQUES DE LA NOUVELLE-FRANCE – 1695 – LE FEUILLETON DE MONTRÉAL PAR JEAN-CLAUDE GERMAIN

Qu’est-ce qu’on lit en Nouvelle-France ? Difficile à répertorier ! Une chose cependant est certaine, on écrit. Tout le monde noircit du papier. Le Gouverneur aiguise sa plume pour la planter dans le dos de l’Évêque. Monseigneur trempe la sienne dans l’eau bénite pour provoquer le rappel du Gouverneur. Quant à l’Intendant, lorsqu’il n’écrit pas à Versailles pour réclamer des secours, il ragote sur l’Évêque ou poutine sur le Gouverneur.

Chez les Sulpiciens, l’échange de correspondance entre Montréak et la France est permanent. Le supérieur de Saint-Sulpice à Paris, Monsieur Tronson, est d’ailleurs de bon conseil. « Pour ce qui regarde les Jésuites », recommande-t-il aux Messieurs de Montréal cette année, « il faut vous résoudre, ou de ne point parler d’eau, non plus que de leur conduite, ou de n’en parler qu’avec estime. » Le jésuite Chauchetière, pour sa part, est plus belliqueux dans ses missives. « Monseigneur nous tourmente », affirme-t-il, « sous l’inspiration des Messieurs de Saint-Sulpice, lesquels ne voient pas d’un bon œil les religieux établis dans leur ville ». En s’embarquant pour la France, Monseigneur de Saint-Vallier a désigné Dollier de Casson, le supérieur du Séminaire à Montréal, comme Grand Vicaire. « Vous allez vous faire des ennemis! » soupire Tronson. Il n’a pas tort.

Montréal est née dans un livre. Avant d’être une ville, ce fut un succès de librairie, celui des Relations des Jésuites, qui a duré de 1632 à 1673. Qu’es0ce qui fascinait tant dans cette littérature missionnaire? À la relecture, on a l’impression que la Nouvelle-France était l’endroit sur Terre où il était possible de se faire scalper le plus sûrement et le plus rapidement. Dans l’esprit jésuite, le Nouveau Monde se présentait comme une invitation permanente au martyre.

Depuis Jacques Cartier, en 1534, la perception des Amérindiens s’est transformée. De convertis potentiels qu’ils étaient au tout début, ils sont devenus progressivement des barbares imperméables à toute européanisation. L’opinion la plus répandue en cette fin de siècle est qu’il faut faire avec. Ce qui choquait ne choque plus autant, on commence à apprécier les différences de culture et de civilisation et on s’est indianisé beaucoup plus que l’État colonial n’est prêt à l’admettre officiellement. En pratique, on ferme les yeux. La croissance de la colonie dépend de la capacité d’intégration des Canadiens à la vie, aux mœurs et à la culture du continent.

Si l’on en revient au point de vue qu’on trouve sur le Canada dans les livres, celui qui inspire les « Relations des Jésuites » est abstrait et idéologique. Les Jésuites sont des snobs. Lorsqu’ils rencontrent des civilisations anciennes comme la chinoise, l’indiennes des Indes ou la japonaise, ils s’empressent d’en endosser le costume et de se déguiser en mandarins, en brahman ou en princes.

Avec les Amérindiens, ils ne quitteront jamais leurs robes noires, se refusant toujours à adopter le costume, les mœurs ou même à partager la nourriture des nations et des tribus du pays. « Pour leur manger », écrit le père Paul Lejeune dans sa « Relation » de 1634, « il est à peine plus net que la mangeaille que l’on donne aux animaux, et encore pas toujours. Je ne dis rien par exagération », précise le jésuite, « « j’en ai goûté et vécu six mois durant. Un certain jour, des mocassins venant d’être quittés tombèrent dans notre boisson,. Ils s’y lavèrent à leur aise; on les retira sans autre cérémonie, puis on but comme si rien n’était arrivé. Je ne suis pas bien délicat », rappelle Lejeune, mais je n’eus point soif tant que dura cette malvoisie ». Intellectuels, lettrés, savants, douées par les langues, les Jésuites ne voient dans ce qui les entoure que la confirmation de leur supériorité ou de leurs préjugés.

Le point de vue des Récollets qui, eux, sont des Franciscains, est tout autre. Ils semblent avoir des yeux pour voir et surtout pour regarder. Publié en 1632, « Le Grand Voyage du pays des Hurons » n’a pas vieilli. Son auteur, le récollet Gabriel Sagard, s’y révèle toujours un observateur fin et perspicace. « tous les sauvages en général ont l’esprit et l’entendement assez bons, note-t-il, « ils ne sont point si grossiers et si lourdauds que nous imaginons en France. Ils sont d’une humeur assez joyeuse et contente; toutefois, ils sont un peu saturniens, ils parlent fort posément, comme si voulant bien faire entendre, et s’arrêtent aussitôt en songeant un grand espace de temps puis reprennent paroles. Cette modestie », comment un Sagard rusé, « est cause qu’ils appellent les Français femmes, lorsque trop précipités et bouillants en leur action, ils parlent tous à la fois et s’interrompent l’un l’autre. »

Presque 60 ans plus tard, le point de vue récollet est toujours aussi pertinent. Dans son « Premier Établissement de la foy en Nouvelle-France » et sa « Nouvelle Relation de la Gaspésie », publiées il y a trois ans, le père Chrestien Le Clercq pousse l’ouverture d’esprit jusqu’à accorder l’esprit critique à ses interlocuteurs amérindiens. « Nous croyons que vous êtes encore incomparablement plus pauvres que nous », lui fait remarquer un chef micmac dont il rapporte les paroles, « et que de plus vous n’êtes que des simples compagnons, des valets, des serviteurs et des esclaves, tous maîtres et tous grand capitaines que vous paraissiez ».

Pour Le Clercq, l’Indien n’est absolument pas dupe des Français et la duperie serait de faire croire qu’il l’est. « Nous voyons bien », souligne le Micmac, « que tous vos gens ne vivent ordinairement que de la morue que vous pêchez chez nous; pour vous, ce n’est continuellement que morue, morue au matin, morue à midi, morue au soir et toujours morue. En revanche », constate-t-il lucidement, « si vous souhaitez quelques bons morceaux, c’est à nos dépens, et vous êtes obligés d’avoir recours aux sauvages, que vous méprisez tant, pour les prier d’aller à la chasse afin de vous régaler. »

Le troisième récollet à porter son regard sur le Canada est le père Louis Hennepin. Il n’est toutefois pas de la même farine. « C’était un homme insupportable », a dit de lui Henri de Tonty, « et je ne sais comment il a eu la hardiesse de mentir si impudemment dans sa relation. » Publiée au Québec d’aujourd’hui, « La Description de la Louisiane nouvellement découverte au sud-ouest de la Nouvelle-France par ordre du Roi, avec la carte du pays, les mœurs et la manière de vivre des sauvages » a connu un succès de librairie sans précédent, trois éditions françaises en moins de dix ans, une italienne, une hollandaise et deux allemandes. L’ouvrage de Hennepin marque un tournant et une rupture de ton. Ce n’est pas encore le roman d’aventures du siècle qui s’annonce, mais ce n’est plus la relation descriptive, telle que l’ont pratiquée Pierre Boucher avec son Histoire véritable et naturelle des mœurs en 1664 ou Nicolas Denys avec sa « Description géographique et historique des côtes de l’Amérique septentrionale » en 1672.

« Avant de fumer », romance Hennepin dans son récit d’aventures, « les Sioux présentent leurs pipes avec ces paroles : Tchentiouba Louis!, c’est-ç-dire, Fume Soleil! » Et le courtisan jobard de conclure : « Ainsi le nom du Roi est à tous moments dan leurs bouches! Lois n’est-il pas le Soleil ?

(Le Feuilleton de Montréal. Par Jean-Claude Germain).

Pour en apprendre plus : 

Forêt québécois en octobre. Paysage triste. Photo de Megan Jorgensen.
Forêt québécois en octobre. Paysage triste. Photo de Megan Jorgensen.

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