La Chambre du commerce du Québec et le fédéralisme

La Chambre du commerce du Québec fait sienne un rapport d’un comité spécial disant que le fédéralisme demeure la meilleure option pour les Québécois

« C’est le fédéralisme qui offre, sur le plan économique, les meilleures chances possibles de progrès pour les citoyens du Québec parmi toutes les options qui s’offrent à eux présentement. »

Voilà la conclusion du rapport du comité de la Chambre de commerce de la province de Québec sur les problèmes constitutionnels du Québec, qu’ont adopté samedi presqu’à l’unanimité les délégués des Chambres de commerce de la province réunis en assemblée spéciale, conformément à la décision prise lors du congrès du 20 septembre 1968 où l’on avait déposé ce rapport pour étude.

Rejetant l’indépendance et la souveraineté association, le présent rapport, qui constitue la voix officielle de la Chambre de commerce de la province présente le fédéralisme comme la meilleure issue pour les Canadiens français, mais à la condition que le fédéralisme soit « renouvelé ».

Le rapport précise à cet effet que « la constitution du Canada (Acte de l’Amérique du nord britannique) devra être amendée ou refaite afin de définir clairement les responsabilités de chaque palier de gouvernement, permettre à chacun de prélever les impôts qui vont de pair avec les responsabilités et comporter un mécanisme empêchant d’une façon efficace les empiètements de juridiction ». Pour ce faire, les politiques monétaire et tarifaire du gouvernement fédéral de même que les politiques fiscales du gouvernement fédéral et des provinces ne devront être établies qu’après consultation entre les niveaux de gouvernement et cette consultation devra revêtir un caractère officiel et permanent. La Banque du Canada devrait, de son côté, prouver sa bonne volonté en facilitant le financement des provinces et, par ces dernières, celui des municipalités et des maisons d’enseignement.

Les groupes ethniques

Selon le rapport du comité, qui est maintenant celui de la Chambre de commerce, puisqu’elle l’a entièrement endossé moyennant de très légères modifications depuis sa présentation au congrès de septembre dernier, les Canadiens français doivent se convaincre que leur épanouissement dépend fondamentalement de leur dynamisme dans tous les domaines de la vie économique et sociale.

Les anglophones du Canada devront démontrer qu’ils acceptent pleinement les Canadiens français comme partenaires et n’opposent aucune entrave à leur accession aux postes de direction, tant dans le secteur public que dans le secteur privé de l’économie et de l’administration au pays.

L’aspect économique

Le rapport qu’a accepté la Chambre de commerce s’est limité à présenter l’aspect économique des options constitutionnelles majeures qui sont nées au Québec depuis que le fédéralisme est activement remis en cause.

Aussi s’est-il donné pour mission de répondre aux questions suivantes: Le Québec est-il défavorisé par rapport à l’ensemble des provinces dans la Confédération ? Le Québec pourrait-il faire mieux s’il était politiquement plus indépendant ?… s’il était séparé du reste du Canada ?

Partant de ces questions, le rapport s’est attardé à démontrer les conséquences des différentes options constitutionnelles sur le secteur public de l’économie, sur le secteur privé de l’économie et sur le niveau de vie des citoyens du Québec en laissant de côté les questions culturelles et sociales, les considérations d’ordre sociologique et historique venant du peu de considération apportée par les anglophones en général concernant les droits des francophones à participer à l’administration fédérale d’une manière plus concrète, à se sentir accepté en dehors du Québec, à s’administrer eux-mêmes dans les domaines de leur jonction (en ce qui concerne le Québec) et à se passer d’un colonialisme que s’est appliqué à faire régner la majorité anglophone rendant ainsi fort difficile l’identification des francophones au concept de l’unité canadienne.

Secteur public

Le fédéralisme, tel que conçu et expérimenté depuis un siècle, est une garantie de la stabilité de la monnaie canadienne, selon la Chambre de commerce, même si la constitution devrait être amendée; toutefois, précise le rapport, la Banque du Canada comme les politiques monétaires canadiennes. devront avoir un caractère plus consultatif où les provinces auront, sinon leur mot à dire, au moins l’avantage de pouvoir établir leur politique d’emprunts avec une bien meilleure connaissance de leurs effets et de leurs limites.

Dans une telle optique, il apparaît évident que les systèmes monétaires proposés par le RIN et le MSA, (Banque du Québec et monnaie commune) apparaissent pour la Chambre de commerce inacceptables à cause de l’absence de confiance qu’auraient ces dollars sur les affairés canadien et internationaux, que l’union monétaire se réalise ou pas, et à la dévaluation qui s’en suivrait, source de perte d’argent pour les épargnes déjà réalisées par les Québécois.

Comme re rapport a été rédigé à l’époque où existaient le MSA, le RIN et le RN. le comité a fait la mise au point au début d-e l’assemblée selon laquelle, ce document conserve toute son actualité parce que le Parti québécois, qui est né de l’amalgamation des trois formations, ne fait que reprendre les idées exprimées dans ces formations. Au sujet de la fiscalité, tout en établissant comme principe de départ que le manque de coordination entre le gouvernement fédéral et les provinces pour ce qui est de leurs politiques d’emprunts est une source considérable de frictions et amène sans doute des coûts additionnels qu’il serait possible d’éviter, la Chambre de commerce prétend qu’un réaménagement du régime fiscal s’impose. même si, affirme-t-elle, le Québec reçoit plus du gouvernement fédéral qu’il n’y contribue.

Après avoir rejeté la prétention des options indépendantistes visant à rapatrier toutes les taxes versées à Ottawa et à laisser tomber les paiements de péréquation et après avoir mis en doute la politique préconisée par René Lévesque visant à réduire les dépenses pour la défense de $350 millions à cause de ses conséquences sur le plan international et des pertes de contrats occasionnées pour les industries québécoises, la Chambre de commerce soutient que l’aventure que représente cette position « n’amènerait pas un bien-être supérieur ou équivalent à relui qu’on a présentement, ni qu’elles régleraient nos principaux problèmes économiques les plus aigus ».

Reconnaissant avec les experts qu’elle a consultés, que les distinctions établies dans l’Acte de 1867 entre les genres de taxation réservés respectivement aux provinces et au fédéral n’ont plus de signification pratique, la Chambre affirme que le Fédéral devra accepter le transfert de plus de ressources aux provinces pour qu’elles puissent mieux assumer leurs responsabilités.

Secteur privé

Pour évaluer les conséquences des différentes options constitutionnelles sur le secteur privé de l’économie québécoise, le comité de la Chambre de commerce a utilisé largement l’étude ei les conclusions de la Société Rotec Inc., une firme d’économistes et d’économètres-conseils de Montréal.

Ayant posé comme hypothèse à leur étude la brisure complète des relations commerciales entre le Québec et le reste du Canada (non pas avec l’étranger), le rapport de la firme Rotec Inc. conclut que la perte du marché du Canada et la cessation de l’influx de capitaux, inhérentes à cette hypothèse, obligeraient le Québec à convertir ses industries pour produire tout ce dont le Québec aurait besoin et partant seraient largement tributaires d’une baisse marquée du niveau de vie.

Prenant comme base de travail ce document et considérant le déficit de la balance commerciale du Québec avec le reste du Canada et avec les États-Unis la Chambre de commerce affirme dans son rapport que la souveraineté – association (le Parti québécois) aurait des effets négatifs sur le secteur privé de l’économie pour deux raisons: « Elle amènerait la perte de. centaines de millions de dollars en contrats alloués pour la défense nationale à des industries du Québec. «Elle créerait un climat d’incertitude à cause du genre d’arrangement à caractère intrinsèquement temporaire que constitue la souveraineté – association avec le reste du Canada sur le plan politique, monétaire et économique.

Ce climat pourrait facilement faire fuir les capitaux et les hommes dont le Québec aurait alors un besoin prioritaire ». Seule l’option fédéraliste est donc possible aux citoyens du Québec soucieux du progrès du secteur prive de l’économie, car « il possède l’avantage d’être le système en fonction depuis un siècle, d’où une beaucoup plus grande facilité d’en prévoir les conséquences futures ».

La Chambre de commerce, tout en acceptant le fédéralisme affirme que celui-ci se doit d’être rajusté sans délai à cause des discussions controversées qu’il soulève, à cause de certaines initiatives très coûteuses que le gouvernement fédéra! s’apprête à prendre en matière de programmes sociaux et à cause de la l’empathie qu’il montre à l’endroit de certaines recommandations du rapport Carter visant à éliminer des stimulants fiscaux.

Le niveau de vie

Reconnaissant que le fédéralisme n’a pas réussi à éliminer les disparités entre les provinces quant au niveau de vie qui leur est propre, que des disparités considérables existent aussi entre différentes régions à l’intérieur des provinces et surtout du Québec, que le niveau de vie es. dépendant en grande partie du niveau d’éducation et que ce dernier est de juridiction provinciale, la Chambre de commerce affirme ici que le fédéralisme ne pose aucun obstacle à la responsabilité des provinces de viser à atteindre le plus haut niveau de vie pour ses citoyens. Par contre, la souveraineté – association tout comme l’indépendance amèneraient une baisse certaine du niveau de vie de l’avis du rapport de la Chambre de commerce citant ici le professeur André Raynauld de L’Université de Montréal qui prévoit « une baisse minimum de 25 pour cent ».

Ce rapport de la Chambre de commerce a été rédigé par un comité ayant à sa présidence, M. Marcel Caron de Montréal. Sa rédaction a fait appel à de nombreux collaborateurs, dont M. Otto Thur, économiste de l’Université de Montréal, Me René Paré, président de la Société des Artisans, M, Paul Desmarais, président de la Corporation de Valeurs Trans – Canada,… etc. Des études spéciales ont également été faites par MM. Marcel Bélanger, Otto Thur, René Hurtubise et par la Société Rotec Inc.

Plusieurs délégués se sont prononcés en faveur du rapport, sans enthousiasme et à l’aveuglette

L’adoption quasi unanime du rapport du comité de la Chambre de commerce provinciale sur les problèmes constitutionnels se sera néanmoins faite sans grand enthousiasme parce que nombre de délégations n’étaient pas venues à l’assemblée générale pour adopter nécessairement ce rapport.

Les délégations de Sainte-Foy, Saint-Bruno, Val-d’Or, Rougemont, Duberger, Nicolet, Belœil et autres… se sont toutes affichées publiquement à un moment ou l’autre pour retarder l’adoption de certaines parties du rapport, pour atténuer certaines affirmations, pour en préciser d’autres ou pour prolonger le mandat du comité de façon à préciser ce que l’on entend par le fédéralisme renouvelé que l’on a accepté en remplacement des options indépendantistes rejetées.

Pris individuellement, des délégués confiaient que la Chambre comme organisme provincial. à la regarder siéger samedi après-midi, « semblait satisfaite du statu quo dans le domaine constitutionnel, contrairement à ce que beaucoup de membres pensent en eux-mêmes».

Une illustration de cette allégation est la rapidité avec laquelle ont été acceptées les différentes parties de ce rapport et les quelques amendements au texte initial soumis par le comité. à quoi servait la discussion?

Aucune proposition, et, aucun amendement venant de l’assemblée des délégués ne fut accepté, c’est-à-dire ne fut pris au séreux. La délégation de Ste-Foy, pour sa part, mordit la poussière à quatre reprises,

D’ailleurs ne fallait-il pas en finir au plus vite étant donné que maintes conclusions du rapport concernent des formations politiques qui n’existent plus, soit le MSA et le RIN ?

À en juger par la force que représentait le comité, qui s’é tait fait seconder sur la tribune par de nombreux consultants dont Me René Paré, MM. Otto Thur. Marcel Bélanger et André Larochelle de la firme Rotec Inc., sur les délégués au moment de leurs interventions et par l’absence de contestation, si l’on exclut !es délégués de Sainte-Foy, venant de la salle, il semble évident que fort peu de délégués avaient étudié le rapport.

Devant le comité comme devant une intervention d’un membre de la tribune, le délégué semblait d’avance vaincu pour ne pas dire ignoré tout simplement.

Les prétentions de la Chambre de Sainte-Foy

L’attitude de non-recevoir faite à la position de la Chambre de Sainte-Foy eut tôt fait de démontrer qu’il fallait que tout passe et surtout que tout passe je plus vite possible.

La proposition de la Chambre de Sainte-Foy de renvoyer à plus tard l’adoption du rapport parce que, d’après ses délégués et ses membres, ce document qu’il faudrait peut-être qualifier de « pamphlet» constitue un plaidoyer en faveur du fédéralisme doublé d une attaque virulente contre la thèse du MSA, ne réussit officiellement qu’à rallier la délégation de Nicolet.

D’autres délégués, qui n’étaient pourtant pas venus pour j adopter nécessairement le rapport, confirmaient-ils après l’assemblée, n’ont pourtant pas manifesté leur opinion publiquement derrière Sainte-Foy.

« Je sentais qu’il n’y avait rien à faire », a affirmé un délégué qui a d’ailleurs quitté l’assemblée au milieu de l’après- midi. «Au moins 80 pour cent des délégués, ajoutait-il, ne savent pas sur quoi ils votent; ils sont obnubilés par les dires des experts qui, s’étant prononcés, ont l’air de détenir le monopole de la vérité sur la question».

(C’est arrivé au Québec le 16 décembre 1968).

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