
Jacques Cartier ne fait pas de quartier
Admettons que lors de son premier voyage au Canada, le grand navigateur Jacques Cartier a réussi à établir de bonnes relations avec les Autochtones qui devraient mener à une coexistence pacifique. Néanmoins, la suite de l’histoire est plus complexe et Cartier agissait en bon Européen de son époque.
Le 3 mai 1536, Jacques Cartier quitte le Canada après un hiver difficile pendant lequel des dizaines de Français sont morts du scorbut. Sans l’aide des indigènes, toute l’expédition serait probablement anéantie par la maladie.
Taignoagny, l’un des deux fils de Donnacona qui étaient allés en France en 1534, suggère alors à Cartier d’emmener avec lui un autre chef iroquois pour qu’il connaisse lui aussi la terre des Blancs. Toutefois, le rusé navigateur se méfie de cette proposition et se renseigne. Il apprend ainsi que le chef en question, Agona, est le rival politique de Donnacona et que cette manœuvre vise en fait à éloigner un adversaire sans avoir recours à la violence.
Après réflexion, Jacques Cartier décide de prendre le partie d’Agona contre Donnacona.
Avant le départ, les Français invitent Donnacona, ses deux fils et cinq autres chefs partisans de Donnacona, à monter à bord pour la cérémonie d’adieu. … Et les bateaux lèvent l’ancre à la grande surprise de leurs invités de marque.
Cartier agissait-il en accord avec Agona? C’est probable, car il a ainsi kidnappé les plus dangereux ennemis de celui-ci. Et enlever ces otages n’avait aucun sens sans prévenir préalablement Agona de cet acte de guerre. De plus, avant le départ des Français, Agona offre à Cartier une fillette iroquoise de neuf ans donnée par Achelacy, allié d’Agona.
Le 16 juillet 1536, Cartier arrive à Saint-Malo. Donnacona et ses deux fils, Taignoagny et Domagaya, sont conduits à la cour de François 1er. Les Iroquois parlent d’or, de fourrures et de diamants en grandes quantités, et d’une «grande ville habitée par des gens vêtus de drap, chaussés comme des Européens, maîtres de mines d’or et d’argent…». Ils font ainsi miroiter devant le roi les immenses richesses canadiennes. Était-ce dans le but de rentrer au pays avec les futurs expéditionnaires? Personne ne le saura jamais.
Toujours est-il que le roi promet de financer une autre expédition. Les Indiens feront partie de cette expédition, du moins, est-ce la promesse de Cartier.
Mais la guerre fait rage en Europe et l’expédition est retardée. Les Iroquois vivent en Bretagne, au manoir de Limoilou, fief de Cartier. Ils se languissent, ils sont victimes de maladies encore inconnues en Amérique (mais pas pour longtemps !) et vers la fin de l’hiver 1539, Donnacona meurt. Quant aux sept autres Indiens, nul ne sait quelle fut leur destinée…
Cartier revient au Canada en 1541. À son arrivée, il annonce à son ami Agona qu’il lui doit la mort de Donnacona, mais le petit malin décrit aussi la vie de seigneurs que Domagaya et Taignoagy mènent à la cour royale avec leurs épouses et leurs enfants. On comprend facilement le message du Français: on peut te remplacer sans problème par les fils de l’ancien chef, à toi d’en tirer les conclusions…
Cependant, la lutte interne entre les Indiens continue et plusieurs décident de soutenir le retour des fils de Donnacona en kidnappant quelques Français et en exigeant un échange de prisonniers. C’est du moins ce qu’imagine Jacques Cartier, qui s’y connaît en matière de chantage et d’enlèvement…En tout cas, il donne l’ordre de se tenir prêts devant une éventuelle attaque des indiens, qui ne viendra jamais.
Cependant, ces derniers ne lui apportent plus d’aide au cours de l’hiver 1541-1542.
Cartier rentre finalement en France au printemps 1542, laissant derrière lui des Iroquois rendus méfiants pour avoir enfin compris les dangers d’une alliance avec ces perfides Français.
Rappelons qu’en 1551, le Congrès de Valladolid convoqué par l’église romaine a décidé, après une année de délibérations, que les Indiens ne devaient être torturés et mis à mort que lorsque la punition était justifiée par la notion de «Juste Droit». Notion, laissée à la libre interprétation et estimation des missionnaires…
À dos d’homme
Les immigrants de 1541-1543 accordèrent peu d’importance et d’attention aux Amérindiens rencontrés au cours de leur séjour sur les rives du Saint-Laurent. Même l’affirmation toute nouvelle proclamée par le pape qui faisait d’eux des hommes ne leur insuffla pas de talent de considérer leurs hôtes comme leur semblables. On raconte que des membres d’équipage se firent promener à dos d’homme, ce qui prouve qu’ils furent bien accueillis.
Les Amérindiens, d’un naturel généreux, les portaient ainsi à califourchon sur leur dos. Ils voudraient plaire et obtenir, en échange, des produits français. Un jour pourtant, un homme ayant trébuché en descendant une colline couverte de pierre et de neige, renversa ainsi son passager français. Outré, le personnage n’eu qu’une réaction: battre et battre encore celui qui venait de jouer pour lui le rôle de monture. L’Amérindiend, sous les coups de bâton, retrouva sa fierté, étrangla le Français et le jeta à l’eau. Un capitaine s’étant porté à sa défense connut le même sorté Cela « épouvanta grandement la compagnie » qui rentra en France aux premiers beaux jours.

Jacques Cartier au défilé de la Saint-Jean en 2011. Photo : © Serge Keln
Voir aussi :
- Voyages en Amérique du Nord avant Cartier
- Les Amérindiens au Canada
- Peuples autochtones
- Scorbut
- Guerres internes
- Troisième voyage de Cartier au Canada
- Expédition de Roberval
- Description des Indiens
- Découverte de l’Europe par les Indiens
- Communautés religieuses au Canada avant l’arrivée de Cartier ?
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