Canada et États-Unis
Les Américains ne sont pas toujours en mesure de juger en connaissance de cause du sentiment des Canadiens-Français. Certaines divergences d’opinion que nous avons avec nos compatriotes anglo-canadiens paraissent à leurs yeux la marque d’un désaccord qui met en péril l’unité de la nation. Le sénateur Athanase David a eu raison, dans sa récente causerie à l’Académie américaine des sciences politiques et sociales, de signaler que des querelles de familles peuvent fort bien subsister à l’occasion sans compromettre cependant l’idéal commun.
Si les Canadiens-Français ont éprouvé une douleur profonde en apprenant la chute de la France, s’ils ont, dans leur immense majorité, estimé que le maréchal Pétain avait raison de tenter l’impossible pour éviter à son malheureux pays l’écrasement total, cela ne les empêche pas de souhaiter de toutes leurs forces la victoire britannique qui sera, au reste, la plus belle revanche de la France.
Certaines gens mal informées ont pu se méprendre sur nos sentiments. Mais les mois ont passé et ont révélé à quelle enseigne nous logeons. Tout nouveau malentendu à cet égard serait le fruit de la mauvaise foi.
Le sénateur David a beaucoup insisté sur la communauté d’idéal et d’intérêts qui unit le canada et les États-Unis. Nos deux pays demeurent le rempart en Amérique des libertés menacées ou vaincues en Europe. Notre but, des deux côtés de la frontière, est identique : résister pour que le Canada reste canadien et les États-Unis américains. Ce légitime souci d’indépendance explique nos préparatifs comme elle rend, compte du profond revirement d’opinion qui s’opère actuellement chez nos voisins ; ils s’ouvrent maintenant les yeux au danger et comprennent que l’avenir de leur civilisation est en jeu.
Un journaliste américain, qui a manifesté dans son livre, Canada, America’s Problem, une compréhension sympathique des réalités canadiennes, vient de déclarer que notre pays a plus de soldats bien entraînés que les États-Unis et qu’il est en passe de devenir la quatrième puissance aérienne du monde. M. MacCormac s’exprime avec franchise : « Le Dominion exécute avec une rapidité étonnante son vaste plan d’entraînement. Si l’Allemagne attaque la Grande Bretagne au mois de mai, 5,000 aviateurs canadiens la combattront. Si elle attaque en septembre prochain, elle aura à lutter contre 10,000 canadiens. Dans un an, le Canada aura 25 000 aviateurs. »
Voilà qui explique que le Canada soit le plus précieux allié des États-Unis. Les entretiens d’Ogdensburg n’ont pas été vains ; ils ont permis d’élaborer des projets de défense commune. Nous nous préparons à prendre une place éminente à l’avant-poste de l’Amérique.
Paix intérieure entre les différents éléments de la population, collaboration avec tous nos voisins américains, voilà la politique logique que poursuit le gouvernement King. De cette façon, elle s’appuie sur des bases solides qui ne lui feront pas défaut. Elle procède en effet d’une vue réaliste des hommes et des événements. À s’en écarter, nous nous ménagerions de cruelles déceptions.
(Texte paru dans le journal Le Canada, jeudi 6 février 1941).
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