À coup de préjugés : Le Québec joue encore gagnant (Par Lysiane Gagnon, Ottawa. Texte paru dans La Presse, le 12 juin 1995)
C’est à coup de préjugés. — la campagne anti-femme du camp Charest contrebalançant la campagne anti-québécoise du camp Campbell. — Que l’on se bat maintenant, aux dernières heures de l’âpre course au leadership. Elle de livrent Kim Campbell et Jean Charest.
Les disciples de Kim Campbell ont renoncé, et pour cause, à défendre les qualités de leadership de leur candidate. Ils n’ont plus d’arguments à opposer aux sondages. Ceux-ci montrent que le PC a plus de chances de gagner les prochaines élections avec Jean Charest.
Ils en sont réduits à répéter partout, très ouvertement aussi bien qu’en coulisses, que le parti ne peut se donner un autre chef québécois. (Il est vrai que le Canada a vécu sous deux premiers ministres québécois presque sans interruption depuis 1968. Mais c’est dû au long règne de Pierre Trudeau, qui a été premier ministre deux fois plus longtemps que Brian Mulroney. Pour ce qui est du PC, on ne peut pas dire que le Québec ait abusé du pain béni! M. Mulroney a été le seul et unique chef du Parti conservateur depuis sa fondation en 1854… et le PC n’a pas eu à s’en plaindre puisque ce chef québécois est le seul, depuis John-A. Macdonald, qui l’ait mené à la victoire deux fois de suite !)
La campagne anti-femme est plus subtile. Il est tellement contraire à la rectitude politique de militer contre la candidature d’une femme qu’on procède à mots couverts et à voix basse.
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Il n’empêche que le fait d’être deux fois divorcée et sans enfant — frappant contraste par rapport à l’image idyllique du couple Charest — nuit à Kim Campbell, mais pas uniquement pour des raisons de pur sexisme. Cela renforce l’image d’instabilité que lui ont valu sa carrière de dilettante et ses imprudents babillages.
L’allusion indirecte d’un député pro-Charest au statut matrimonial de Mme Campbell a vite été exploitée par les partisans de cette dernière, mais à trop miser sur la cause féministe, ils risquent d’aller à contre-courant d’un parti qui reste foncièrement conservateur, et dont au surplus la majorité des délégués sont des hommes.
Il n’est pas évident que l’arrivée d’une femme — et d’une femme de surcroît assez anti-conformiste — au poste de premier ministre plairait aux électeurs des régions rurales de l’Ouest et des petites villes de l’Ontario du sud… Mais cela serait-il pire, à leurs yeux, qu’un autre chef du Québec ? Les conservateurs de droite se trouvent donc pris entre deux feux… Hélas pour eux, ils n’ont pas le choix, et leur dilemme est sans issue: une femme… ou un Québécois ! Lequel, laquelle, sera le moindre mal ?
C’est à coup de préjugés
Pour contrebalancer l’avalanche de nouveaux appuis que s’est attiré le camp Charest vers la fin de la campagne, le camp Campbell a fait grand état, jeudi soir, du ralliement de Mme Flora Macdonald, l’ancienne députée qui reste assez populaire chez les vétérans du parti. Mais cette association à la grande perdante de la course au leadership de 1976 est à double tranchant, car elle rappelle aux délégués le risque que Mme Campbell pourrait être victime de ce qu’on appelle «le syndrome de Flora», dont les appuis ont fondu comme neige au soleil une fois le congrès entamé: des centaines de délégués arboraient son macaron mais elle s’est retrouvée, au premier tour, avec 214 voix seulement.
Il va de soi que le facteur «femme» ne jouerait pas aussi fortement contre Mme Campbell si elle avait fait preuve, durant la campagne, d’autant d’habileté politique que son rival. Hélas, elle s’est acquis la réputation d’un «loose cannon » — quelqu’un dont les réactions sont imprévisibles et qui peut provoquer des remous inattendus par des propos à l’emporte-pièce.
Pour contrer le préjugé antiquébécois, le camp Charest peut toujours faire valoir que son candidat est dans la ligne du fédéralisme orthodoxe. Bien davantage que Mme Campbell. En fait sa position, pour ce qui est du Québec, se calque sur celle de ses mentors Marcel Masse et Gilles Loiselle. Ceux-ci ne sont pas précisément les ministres les plus populaires au Canada anglais parce qu’ils sont trop proches des nationalistes québécois.
En ce sens, le Québec se retrouve encore une fois au coeur d’une lutte de pouvoir au sein d’un parti fédéral. Mais dans ce cas-ci; quoi qu’il arrive, le Québec joue gagnant, puisque le prochain chef du PC sera soit un Québécois, soit une femme sympathique au nationalisme québécois.