
Arts et littérature d’après-guerre au Québec
La Deuxième guerre mondiale a permis la libre circulation d’œuvres et d’idées nouvelles. Du côté des arts plastiques, les premières revendications se font entendre, sous forme de manifestes. Ainsi, Alfred Pellan et un groupe d’artistes signent Prisme d’yeux en 1948. Quelques mois plus tard, le Refus global est rédigé par Paul-Émile Borduas et endossé par une quinzaine d’intellectuels et d’artistes, dont Claude Gauvreau et Fernand Leduc.
Ces deux manifestes qui paraissent coup sur coup sont signés par des artistes et intellectuels qui revendiquent une plus grande liberté d’action. Le premier manifeste, signé par le groupe d’Alfred Pellan, privilégie une pratique personnelle en dehors de toute contrainte idéologique et esthétique. Quant au second document, signé par les disciples de Borduas, il défend plutôt un art assujetti aux dictées de l’inconscient.
Véritable brûlot, Refus global fait aussi le procès de la société québécoise et commande un nouveau contrat social libertaire inspiré du livre de Pierre Mabille (philosophe français dont la pensée rejoint celles des surréalistes en France et celle des adeptes de l’automatisme au Québec), Égrégores ou la Vie des civilisations.
Sous des dehors différents, les deux manifestes convergent vers des exigences semblables : le rejet de tout académisme, la primauté de la spontanéité et la valorisation de l’expérimentation.
La peinture emprunte les vois non-figuratives avec l’expressionnisme abstrait et, plus tard, avec le mouvement plasticien. Le portrait est évincé par la photographie et c’est le paysage qui domine largement la scène.
Par ailleurs, le retour de Pellan, parti étudier à Paris, ainsi que la fondation encore en 1939 de la Société d’art contemporain – qui présente annuellement des expositions dans le but de promouvoir les grandes tendances de l’art moderne – suscitent une certaine fébrilité quand commence à se manifester les premières tentatives d’art non-figuré.
La ville devient le cadre de plusieurs romans réalistes ; au théâtre, le burlesque jouit d’une popularité inégalée et puis viendront la recherche et l’expérimentation. Quant au roman de la ville, inauguré par Gabrielle Roy avec Bonheur d’occasion, il faudra attendre jusqu’aux années 1960 avant que les écrivains ne s’engagent à leur tour dans cette voie.
L’essai, qui n’est pas en reste, donne ses premières études sur la société canadienne-française avec Notre Société et son roman de Jean-Charles Falardeau (Science de l’homme et humanisme, Montréal, Hurtubise HMH, 1972).
En poésie, surréalisme et automatisme attirent les jeunes poètes. Quelques recueils sont écrits suivant les préceptes de l’écriture surréaliste. Mais les œuvres les plus marquantes sont Le Vierge incendié de Paul-Marie Lapointe et les premiers essais de la poésie et de théâtre de Claude Gauvreau qui obéissent aux règles de l’automatisme.
À l’époque, le cinéma connaît son âge d’or jusqu’à ce que la télévision devienne populaire dans les années 1960. Chaque ville possède au moins une salle de cinéma où l’on présente des films américains, anglais, italiens et français. Toutefois, le cinéma canadien prend également son essor au sein de l’Office national du film du Canada (ONF), avec le cinéma-vérité où l’on tourne en direct, sans texte, caméra à l’épaule.
La chanson québécoise est diffusée à la radio et fait l’objet d’un premier concours d’envergure à la fin des années 1950. Elle jouit d’une certaine reconnaissance grâce au succès en France de Félix Leclerc qui obtient le Grand prix de l’Académie du disque Charles Cros, et de Raymond Lévesque, qu’interprètent Eddie Constantine et Bourvil. À la même époque naissent les boîtes à chansons avec le groupe Les Bozos.
L’effervescence culturelle est placée sous le sceau de l’avant-garde et la modernité. Tous les grands courants artistiques ou littéraires, qu’ils soient américains ou européens, alimentent alors les pratiques canadiennes-françaises. Ainsi se met en place un système parallèle où circulent librement de nouveaux langages qui heurtent de plein fouet le conservatisme des élites politiques et cléricales.
Les forces de libération du Québec, en face du conservatisme religieux et politique, agissent principalement dans le domaine des arts visuels. Nul doute, c’est 1948 qui marque un tournant dans le processus d’émancipation de la culture québécoise, mais il faut tout de même reconnaître que le terrain a été préparé. La Deuxième guerre mondiale a amené plusieurs artistes et écrivains français à séjourner au Québec et à prendre contact avec leurs homologues québécois. La visite d’André Breton, le « pape » du surréalisme, d’André Malraux, de Jacques Maritain, d’Étienne Gilson –des intellectuels dont la pensée peu orthodoxe rend méfiant le clergé, celle du père Marie-Alain Couturier – dominicain dynamique dans le domaine de l’art moderne -, de Fernand Léger – artiste français qui bénéficie d’un grand prestige en France – sortent de sa torpeur le milieu intellectuel québécois.
Bref, la peinture, la poésie, le roman… tous les arts sont touchés par cette onde de choc moderniste et remettent en question les formes traditionnalistes. Les frontières intellectuelles jusque-là précieusement gardées par les factions les plus conservatrices de la société québécoise éclatent sous la pression des nouveaux courants de pensée qui circulent librement.
La mesure économique la plus importante de cette période est la création de Hydro-Québec en 1944, sous le gouvernement d’Adélard Godbout (mais déjà dans les années 1930, l’idée d’un tel projet avait germé. En fait, c’est Louis-Alexandre Taschereau, premier ministre du Québec de 1920 à 1936, qui crée la Régie provinciale de l’électricité – Montreal Light Heart and Power qui met en place des dispositions tarifaires. Maurice Duplessis, premier ministre du Québec de 1936 à 1939, déçoit ses partisans en refusant de procéder à la nationalisation de cette société. C’est Godbout qui l’entreprendra, en plus de réformer le code de travail).
Cette nationalisation s’inscrit dans le cadre des revendications du mouvement nationaliste, qui considère le contrôle des richesses naturelles comme la pierre angulaire du développement économique du Québec. La création de Hydro-Québec permettra une réduction des tarifs dans la région de Montréal, et favorisera l’expansion du secteur hydroélectrique, en offrant d’abord des débouches à une main-d’œuvre spécialisée.
Avec la Révolution tranquille, les changements s’accélèrent. Georges-Émile Lapalme, ministre des Affaires culturelles du Québec au début des années 1960, sera le grand inspirateur des réformes dans le domaine des arts.

L’art véritable, c’est de faire de son existence et de son être entier une œuvre d’art. (Omraam Mikhaël Aïvanhov, penseur français. Méditations quotidiennes). Illustration : © Meg Jorgensen.
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