Arrestation sensationnelle du comté de Bernononville
Arrestation sensationnelle de Bernonville : Ottawa. – C.E.S. Smith, commissaire de l’immigration, a confirmé hier soir, 3 septembre 1948, l’information de Montréal, selon laquelle le comte Jacques Dugé de Bernonville, condamné à mort par les tribunaux français pour collaboration avec le régime de Vichy, a été arrêté et sera déporté en France avant lundi.
M. Smith déclare : Cette information est exacte. Je n’ai rien d’autre à dire.
M. S.T. Wood, commissaire de la gendarmerie fédérale (R.C.M.P.), a dit « ne rien savoir de l’arrestation du comté de Bernonville. »
Jacques Dugé, comte de Bernonville, 50 ans, un héros français des deux guerres mondiales, ancien gouverneur de la ville de Lyon sous le régime de Vichy, a été arrêté à Montréal.
Cette nouvelle a été publiée par la British United Press à qui le maire de Montréal l’avait d’abord communiqué. M. Camillien Houde a tenu à compléter l’information en faisant la déclaration qui suit :
La déclaration Houde
Les autorités fédérales songeraient à déporter en fin de semaine l’ancien gouverneur militaire de Lyon, condamné à mort par contumace en France, à la suite des procès dits d’épuration de la IVe République. Il sera impossible à M. de Bernonville d’en appeler aux tribunaux, puisque ceux-ci ne siègent pas en fin de semaine. Cette injustice criante, nous dirions, cette infamie, ne peut et ne doit pas être passée sous silence.
« Si le comte de Bernonville qui s’est enfui de France, grâce au concours de religieux, condamnés eux-mêmes aux 20 ans de prison, et qui reçut l’hospitalité au Canada de la part d’âmes charitables, s’il est déporté, dis-je, il est à peu près sûr qu’il passera par le peloton d’exécution.
« Les membres de la famille du comte de Bernonville, qui eux-mêmes furent mis sous arrêt en France, réussirent à s’échapper un par un pour rejoindre celui-ci au Canada par des moyens de fortune, risquant chaque jour leur propre vie. »
« Un héros d’épopée et de légende »
« M. de Bernonville est de la race des grands militaires de France. On le cita 20 fois à l’Ordre du Jour et porte 32 blessures. Un héros d’épopée et de légende, dit une citation. C’est donc dire que l’on sacrifiera, pour des raisons politiques, un homme dont le seul tort fut, probablement, d’exécuter les ordres que l’on lui dictait et qui n’étaient pas au goût des gens qui dirigent aujourd’hui les destinées de la République française. »
« Vingt autres proscrits seraient dans la même situation tragique que le comte de Bernonville. Le Canada les déporterait, eux aussi, d’ici quelques jours, pour alimenter les pelotons d’exécution ou pour garnir les bagnes de France. Les personnages qui nous ont renseignés se sont déclarés indignes de cette manière d’agir des autorités fédérales. »
« Le comte de Bernonville était pendant la dernière guerre chef de bataillon de chasseurs alpins sous le régime de Vichy. Pendant la précédente guerre, il a été blessé à plusieurs reprises et a recueilli de nombreuses citations. C’est un glorieux héros militaire. Il est demeuré dur d’oreille et marqué d’éclats d’obus dans la figure. »
« Sa femme et ses trois filles étaient venues le rejoindre au Canada après son arrivée ici. Hier soir, à cinq heures, on a libéré Madame de Bernonville sur un cautionnement de $1,000, jusqu’à lundi soir afin qu’elle retrouve et ramène aux quartiers de l’immigration de la rue Saint-Antoine, la troisième fille, Chantal, présentement en vacances. Ce sont les filles qui, par leur travail, faisaient principalement vivre la famille. Les deux autres filles se nomment Catherine et Josianne.
Immigration au Canada avec faux passeport et faux nom
Selon une information sûre, le comte de Bernonville était en France lors de sa condamnation à mort, mais, comme nombre d’autres dans le même cas, il vivait caché et se déplaçait de ville en ville.
Il a réussi à prendre passage sur un bateau et à entrer aux États-Unis, grâce à un faux passeport. Plus tard, il est entré au Canada sous un faux nom. On l’inquiétait pas, mais un jour, il a voulu aller aux États-Unis par affaire et il a demandé un visa.
Sans le vouloir, Jacques de Bernonville se jete ainsi dans la gueule de loup.
(Note de GrandQuébec.com : en fait le tribunal de Touloise avait prononcé la sentence en novembre 1947, mais le comte se cachait au Québec depuis novembre 1946 sous un autre nom et c’est le hasard qui a voulu qu’un ancien résistant français s’heurte au criminel et l’identifie. Voir : L’Affaire Bernonville).
(Texte paru dans le quotidien La Presse, le 3 septembre 1948)
