Le cas des enseignants retraités du Québec
(Janvier 1969). À tous les honorables, ministres et députés de la province de Québec. Permettez-nous, Honorables Membres du Gouvernement, de vous exposer, une fois de plus, la triste situation de plus de 2000 des retraités de l’Enseignement.
L’Association des Instituteurs et Institutrices catholiques retraités n’a aucune attache à un parti politique quelconque, tous les députés, du Gouvernement comme de ! Opposition, se doivent de mettre fin à une situation tragique qui dure depuis si longtemps. Dans chaque comté, il y a de ces malheureuses (il s’agit surtout, de femmes) qui doivent vivre de charité publique, mais on ne s’en occupe pas…
Avant 193S, les pensions étaient basées sur le calcul mathématique, de sorte qu’on trouvait des personnes qui recevaient moins de $50.00 par année ($26.80, $.35.60) Le minimum fut alors fixé à $240.00 par année, soit, $20.00 par mois, pour les institutrices retraitées malades qui avaient au moins 20 ans d’enseignement, les autres n’avaient aucun droit à la pension. Ces chères retraitées n’avaient même pas le droit de contracter mariage, le fait de se marier étant considéré comme présomption de bonne santé. Sauf dans certains cas de maladie chronique, on leur enlevait tout simplement leur pension…
En 1943, la Commission Administrative du Fonds de pension jugeait que le coût de la vie, dû à la guerre, avait augmenté suffisamment pour qu’un minimum de $600,00 soit versé à toute personne retraitée. À cette époque, sauf dans les grandes villes, il y avait peu d’enseignants retraités, peut-être une dizaine: cette recommandation de la Commission Administrative reste la lettre morte sous le prétexte avoué qu’elle n’était pas rentable du point de vue électoral.
L’Honorable Paul Sauvé, quand il arriva au pouvoir, fit fixer, 17 ans plus tard, soit à la fin de 1959, le minimum A $500,00. C’était une amélioration tardive qui ne répondait pas, loin de là, à l’augmentation du coût de la vie.
En 1961, l’Association des Instituteurs & Institutrices catholiques retraités du Québec voyait, le jour, et, de concert avec la Corporation se mit à ta tâche pour faire augmenter les pensions.
En 1965, le minimum fut porté à $900.00 mais avec une clause restrictive qui ramenait à $500.00 la pension de ceux et celles qui touchaient la Sécurité de la Vieillesse. Pourquoi cette restriction puisque même les millionnaires ont, un droit absolu à cette sécurité de vieillesse? … Québec fut la seule province à passer cette inhumaine législation.
Résultat: les vieilles personnes retraitées doivent ou se priver sur la nourriture pour se procurer les médicaments indispensables à leur état, ou, se priver des médicaments pour pouvoir se nourrir. Il y a aussi des hommes, pères de famille, dans cette catégorie.
La mort fauche impitoyablement dans leur rang. L’an dernier: 86 décès. Espère-t-on qu’elles meurent toutes pour éviter de les soulager?…
Les lettres que nous recevons de ces pauvres malheureuses seraient de nature à toucher les plus endurcis… si nous pouvions les publier!… Le coût de la vie a augmenté pour les retraités comme pour les autres, mais leur revenu est resté le même. Est-ce juste? Est-ce simplement humain?…
Nous ne sommes pas opposés, au contraire, à ce que le Gouvernement cherche à soulager la misère chez les peuples défavorisés (Biafra, Gabon, etc…) mais nous ne comprenons pas pourquoi, chez nous, on laisse presque mourir de faim des personnes qui ont consacré le meilleur de leur vie au service de la province. Nous ne sommes plus à l’époque quand le lait se vendait : .06c la pinte, les œufs, 15c la douzaine, le beurre, 25c la livre et le filet mignon, 33c la livre
Est-ce la faute des retraités s’il existe une tension entre le Gouvernement et la C.E.Q,? …Faut-il leur en faire porter la responsabilité, eux qui n’ont aucun moyen de pression?…D’ailleurs, en auraient-ils de ces moyens de coercition, qu’ils refuseraient de les employer. La seule grève qu’ils doivent faire est celle de la faim, car, souvent, ils n’ont rien à se mettre sous la dent.
Un mémoire a été présenté au Gouvernement par notre Association en décembre 1967; les mêmes arguments ont été repris par la C.E.Q. en mai 1968… le Sous-Ministre adjoint à l’Éducation a vaillamment plaidé notre cause, nous lui en témoignons toute notre reconnaissance. Chacune de nos demandes a été étudiée, approuvée et recommandée par le Conseil Consultatif qui a remplacé la Commission Administrative du Fonds de Pension. Au ministère des Finances on nous répondait : « Votre affaire va très bien ». Il ne restait qu’une étape à franchir: soumettre le tout aux Députés . Rien n’a été fait… Le sort en est je té ! La Session est terminée et les pauvres retraitées n’ont rien eu! Le lendemain du 18 décembre s’est levé et rien n’a été voté pour venir en aide à la classe la plus déshéritée, la plus oubliée! Pourquoi… Pourquoi… Comme les disciples d’Emmaus, nous espérions une amélioration… Le Noël des malheureuses retraitées a été aussi triste que les précédents. Démarches, appels téléphoniques, lettres et télégrammes, tout avait été mis en œuvres pour qu’une législation que l’on nous assurait préparée depuis le mois d’août, soit soumise aux représentants du peuple. Encore une fois, la dette de justice que la Province doit à ceux et celles qui ont tracé la vole aux éducateurs actuels, reste en suspens! Quand sera-t-elle payée ?
Il n’a fallu que quelques minutes à la Chambre pour octroyer une pension de $19,000.90 aux Conseillers Législatifs, c’est-à-dire, à des personnes jouissant, toutes, d’un fort revenu et, parmi lesquelles il y a des millionnaires. D’après la grosse logique du bon peuple, c’est donner de l’eau à la rivière. Nous ne sommes pas contre cette mesure, loin de là, puisqu’elle consacre le principe de la reconnaissance, cependant, on n’a pas trouvé le moyen de consacrer cinq minutes au règlement d’une situation inhumaine… N’a-t-on pas encore seulement, en vue, l’efficacité électorale ?… Les pionnières de l’éducation n’ont-elles pas aussi droit à la reconnaissance, elles qui se sont rendues impotentes à force de dévouement exercé dans des conditions hygiéniques auxquelles on ne peut penser sans frémir! 20 à 40 ans de leur vie à la formation des jeunes dans de misérables locaux… Sept divisions d’élèves, peu ou pas de chauffage, du bois vert qu’elles devaient souvent payer à même leur « gros salaire » de $100 par année. N’est-ce pas désolant et va-t-on enfin leur rendre justice ? Des Ministres et des Députés actuels ont profité de l’éducation dispensée par ces admirables personnes, mais on oublie vite.
Nous supplions nos gouvernants de régler le triste sort des retraités dès l’ouverture des Chambres et permettre ainsi à mettre un peu de beurre sur le pain sec de l’indifférence qui toujours été le partage des retraités.
Le soussigné, avec son Exécutif, est prêt à aller donner toutes les explications que l’on voudra, même en Chambre. Voici des chiffres qui vous aideront à rendre justice : 83 personnes reçoivent $499.94 de pension annuelle. 748 autres reçoivent entre $.500.00 et $900 00 par année. 1,549 autres ont moins de $2.000.00 de pension.
Et, ceci en 1969, malgré les recommandations du Rapport Parent qui, il v a trois (3) ans, fixait le minimum à $2,000 00 de pension. C’est la seule suggestion de ce rapport qui soit restée lettre morte.
Il y a donc 48 p.c. des retraités de l’Enseignement qui reçoivent moins de $2,000.00 annuellement.
Nous laissons à vos talents de législateurs le soin de réparer cet oubli impardonnable.
L’Association des instituteurs et institutrices catholiques retraités du Québec.
Par J. – Raoul Brochu, Président.
(Cette lettre a été publiée le 18 janvier 1969.)
Voir aussi :
- Système d’éducation au Québec, besoin de changement
- Enseignants, grève ou démission en bloc
- Demande de la retraite
