L’affichage unilingue contrevient à la charte québécoise des droits
L’affichage unilingue au Québec : Dans un jugement rendu public hier, le 2 janvier 1985, la Cour supérieure du Québec a invalidé les articles de la Loi 101 interdisant l’affichage dans des langues autres que le français.
Le juge Pierre Boudreault a ainsi donné raison à cinq marchands montréalais qui estimaient que l’interdiction d’afficher en anglais était discriminatoire.
Pour la première fois, un tribunal invoque la Charte québécoise des droits de la personne, et non la Charte canadienne, dans une cause linguistique.
Selon le jugement rendu public par le groupe de pression anglophone Alliance Québec, les dispositions contestées de la Loi 101 contreviennent à l’article 3 de la Charte des droits de la personne qui garantit la liberté d’expression.
Le gouvernement québécois a un mois pour en appeler de la décision du juge Boudreault rendue le 28 décembre 1984.
Alliance Québec, qui a financé la poursuite, espère qu’il n’en fera rien.
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Des sondages ont démontré que la majorité des Québécois favorisent l’affichage bilingue, a déclaré le président du groupe, M. Eric Maldoff.
« Nous espérons que dans le nouveau climat de réconciliation, le gouvernement acceptera ce jugement qui respecte autant les droits des francophones que ces des anglophones », a-t-il ajouté.
À la question de savoir s’il craignait que Québec n’aille en appel, Me Harvey Yarosky, avocat des marchands et d’Alliance Québec, a souri et répondu : « Non, nous n’avons pas peur, même s’ils le font ».
Le président du Mouvement national des Québécois, M. Gilles Rhéaume, a réservé tout commentaire pour le weekend. Il s’est contenté d’indiquer que les articles sur l’affichage constituent la vitrine de la Loi 101.
Plumes perdues
Depuis son adoption en 1977, un an après la prise du pouvoir par le Parti québécois, la Loi 101 a perdu beaucoup de plumes, si bien que ses différences d’avec la Loi 22 de l’ancien gouvernement libéral s’amenuisent d’année en année.
Ainsi, c’est la Loi 22 qui avait rendu l’affichage en français obligatoire.
Le jugement Boudreault maintient cette obligation. Mais tout comme en vertu de la Loi 22, il sera désormais possible d’afficher également dans toute autre langue que le français.
Les mêmes marchands qui ont contesté les articles sur l’affichage et qui ont plaidé leur cause en juin – les fleuristes McKenna, la marchande de laine Valerie Ford, du West Island, les magasins de chaussures Brown’s, le Nettoyeur et Tailleur Masson, de la rue du même nom dans l’est de la ville de Montréal, et la Compagnie de fromage Nationale – ont déjà obtenu en cour le droit de produire des brochures publicitaires bilingues.
L’année dernière, le gouvernement a apporté des amendements à la Loi 101, permettant aux marchands spécialisés dans la vente de produits étrangers ou ethniques d’apposer des affiches bilingues.
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Les mêmes amendements ont aboli les tests de connaissance du français pour les professionnels qui ont complété leur cours dans les écoles anglophones. Ils ont aussi permis à certaines compagnies d’embaucher des travailleurs qui ne parlent que l’anglais.
En juillet dernier, la Cour suprême a déclaré inconstitutionnelle la « clause Québec » de la Charte de la langue française, qui interdisait à tout parent canadien-anglais, même venant d’une autre province, d’envoyer ses enfants dans une école anglophone au Québec.
Un autre jugement de la Cour d’appel du Québec a permis aux employeurs et aux employés entre eux seulement en anglais, si tel est leur désir mutuel.
Alliance Québec a indiqué que les articles contestés sur l’affichage avaient essentiellement une valeur symbolique.
« En leur reconnaissant le droit d’afficher dans leur langue, le jugement reconnaît que les anglophones sont des Québécois à part entière ». Cela a dit M. Maldoff.
Il s’agissait là d’un des derniers articles de la Loi 101 qui irritait le groupe de pression. Mais il y en a d’autres.
Alliance Québec souhaite ainsi que le gouvernement acceptera désormais de communiquer en anglais avec les anglophones. Aussi d’offrir des services dans d’autres langues que le français.
Le groupe voudrait aussi que l’accès à l’enseignement soit élargi à des ressortissants des pays étrangers.
Singer
D’autre part, la papeterie Allan Singer, dans l’ouest de Montréal, plaide toujours devant la Cour d’appel son droit d’afficher en anglais seulement. Alliance Québec ne soutient pas cette cause.
Le groupe de pression défend cependant Mme Nancy Forget. Elle est une infirmière opposée aux examens de connaissance du français. Ces examens impose la Loi 101 aux membres de certaines corporations professionnelles. La Cour d’appel, ayant donné à Mme Forget, Québec a demandé à la Cour suprême la permission d’en appeler.
(Cette nouvelle a été publiée le 3 janvier 1985).
Voir aussi :
- Bill 22
- L’affichage unilingue : Québec en appelle
- Biographie de Camille Laurin
- Biographie de René Lévesque
- La loi 101 devient légale
- Loi 101 : dix années après