Affaire Delorme : On ne juge pas un prêtre
Le 7 janvier 1922, le cadavre de Raoul Delorme est découvert sur un terrain vague dans la neige dans le quartier Snowdon à Montréal. Raoul Delorme, âgé de 24 ans, est étudiant en commerce et benjamin d’une famille aisée de la rue Saint-Hubert.
Le préambule de l’histoire se situe en 1916: le père de la victime lègue alors ses biens à parts très inégales à ses deux filles et deux fils. Raoul reçoit la quasi-totalité du legs, les filles Lilie et Florence (demi-sœurs de Raoul) partagent des miettes et Adélard, âgé de 37 ans, prêtre catholique, aumônier de l’Assistance Publique, est déshérité. C’est néanmoins Adélard (demi-frère de Raoul) qui est chargé d’administrer la fortune de son cadet.
Le sergent-détective Georges Farah-Lajoie, le plus célèbre des détectives du Québec, est chargé de l’enquête. C’est lui qui avait déjoué un complot terroriste en 1910, lors du Congrès eucharistique de Montréal, visant la destruction de l’autel du Mont-Royal.
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Après autopsie, il est établi que Raoul Delrme, de toute évidence déposé à cet endroit après sa mort, a été tué de six balles au cou et à la tête, dont au moins une tirée à bout portant.
Les enquêteurs se rendent dans la maison familiale des Delorme, au 190, rue Saint-Hubert. L’abbé Delorme, 31 ans, les accueille. Nerveux, il inonde les policiers de déclarations non sollicitées. Les experts étudient ces déclarations et les jugent fausses. Ces mensonges sont utilisés donc pour porter contre Adélard Delorme une accusation de meurtre prémédité.
Adélard Delorme ne sait rien, n’a rien vu. L’abbé célèbre la messe de Requiem pour son bien-aimé frère avec une ferveur d’autant plus surprenante qu’une semaine avant le décès de Raoul, l’abbé avait contracté une assurance sur la vie de celui-ci pour 25 000 $ au bénéfice de ses héritiers légaux …
L’Église fait alors clairement savoir qu’il n’est pas convenable de s’en prendre à un membre du clergé. En fait, dans la société québécoise catholique de l’époque, accuser un prêtre de fratricide est inimaginable.
La recherche scrupuleuse de preuves est menée. On apprend qu’Adélard venait de souscrire une assurance sur la vie de son frère et que la veille du meurtre, le prêtre avait rédigé un faux testament où Adélard était désigné comme seul héritier des biens de Raoul.
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Mais le suspect se défend. Il offre un récompense 10 000 $ (somme énorme dans les années 1920) à quiconque conduira à l’arrestation des assassins et, par la suite, il se dirige à Me Louis-Alexandre Taschereau, premier ministre de la province du Québec et ministre de la Justice. L’Honorable Taschereau pourtant porte l’affaire devant le conseil des ministres avant d’ordonner l’arrestation de Delorme.
Au mois de juin 1922, le jury admet la « dégénérescence mentale héréditaire » de Delorme. Le jury déclare donc l’accusé inapte à subir le procès. On l’interne à l’hôpital psychiatrique de Beauport. Cependant, il « guérit » après quelques mois de réclusion. Le docteur Brochu, surintendant médical de l’hôpital Saint-Michel-Archange où Delorme est interné, déclare que celui-ci ne présente aucun signe de démence.
Le dossier est donc réactivé et un deuxième procès contre l’abbé Delorme est tenté au début de 1923. Il se solde par un désaccord du jury, un troisième procès s’ensuit… encore un désaccord du jury.
Lors du second procès Delorme, l’analyse balistique a été utilisée comme preuve. Cette science en était à ses débuts, tant au Canada qu’aux États-Unis. Le docteur MacTaggart présente les résultats des comparaisons qu’il a effectuées entre les trous de balles sur le crâne de la victime et une balle retrouvée lors de l’autopsie. De son côté, l’armurier Haynes, qui a vendu le pistolet Bayard à l’abbé Delorme, examine des balles tirées par deux pistolets Bayard de calibre 25. Son témoignage révèle que les deux pistolets laissent des rayures similaires visibles à l’œil nu, mais que la balle tirée avec le Bayard de Delorme présente une strie distincte, causée par un défaut de l’intérieur du canon.
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Une autre nouveauté technologique. Lors du second procès, le détective Georges Farah-Lajoie utilise une maquette démontable reproduisant les pièces de la maison Delorme. Il fait cela afin de présenter les lieux présumés du crime aux jurés. À l’aide de la maquette, dont le démontage des parties permet d’observer les divisions intérieures de chacun des étages, Farah-Lajoie raconte sa première visite sur la rue Saint-Hubert. Il explique la disposition des lieux et relate sa conversation avec le prêtre.
Lors du troisième procès, on appelle le docteur Derome, directeur du Laboratoire de recherches médico-légales du Québec, à témoigner comme expert en balistique. Il explique la technique connue sous le nom de roulement de balle, qu’il avait apprise à Paris. La technique consiste à rouler une balle sur du papier carbone ou étain, y imprimant ainsi l’empreinte des défectuosités et des rayures. Le papier est ensuite photographié à l’aide d’une projection oblique de lumière très intense, donnant ainsi une photographie mettant parfaitement en évidence les caractéristiques de la balle.
Le docteur Derome utilise d’ailleurs une nouvelle méthode d’analyse balistique. Il le fait en versant un mélange à base de soufre dans le canon. Par la suite on le retire après durcissement. On obtient ainsi une reproduction fidèle des rayures intérieures du canon.
Le quatrième procès se tient du 15 au 31 octobre 1924. D’autres analyses tendent à prouver la culpabilité de l’Abbé Delorme. En particulier ils font l’analyse de l’écriture sur un colis anonyme expédié au chef de police Lorrain. Ce colis contenait la montre de Raoul Delorme. On pouvait donc croire que le vrai auteur du crime inconnu l’avait envoyé.
* Affaire Delorme
On fait alors appel à trois experts en analyse de documents, Charles Hazen, J.J. Lomax et Albert S. Osborne. En comparant l’écriture figurant sur le colis adressé au chef de police Lorrain et celle se trouvant sur des documents appartenant à l’accusé. (Tels chèque, billets, factures et autres). Les experts relèvent une quinzaine de caractéristiques leur permettant d’affirmer que ces écritures sont de la même personne. Soit celle de l’abbé Delorme.
Malgré des preuves accablantes, les jurés travaillant sous l’énorme pression ne peuvent en venir à un accord sur l’innocence ou la culpabilité de l’abbé Delorme, mais le jury déclare finalement Adélard Delorme non coupable (10 jurés contre deux votent en faveur de l’innocence). Le dossier est clos et Delorme est remis en liberté à l’automne 1924. Libéré, le prêtre recouvre tous ses biens et continue d’exercer son ministère à Montréal.
Du premier jour, cette affaire suscita la controverse et fut largement couverte par les médias. La Presse écrivait même à la une, le 15 février 1922: Jamais, dans les annales criminelles du Canada, un meurtre n’avait encore suscité un intérêt aussi général et considérable.
Une partie de la société a vivement critiqué les experts et les policiers qui menèrent l’enquête dans cette affaire. Alors que d’autres les considérèrent comme de vrais héros. En fait ils ont su résister à la pression de l’institution la plus puissante de l’époque…
Texte Affaire Delorme Par ElBa.
Voir aussi :
- Biographie de Georges Farah-Lajoie
- Aurore, l’enfant martyre
- Religion au Québec
- Forces de l’ordre au Québec
- Ligne du temps : 1922