1848 : Une année chargée

1848 : une année chargée au Bas-Canada

Joseph Papineau, qui avait promis de ne revenir au pays que lorsque tous les Patriotes auraient été graciés, rentre à Montréal en septembre 1845 après huit ans d’exil aux États-Unis et en France. Absent, il n’a donc pas participé au mouvement d’opposition à l’Union ni assisté à la montée politique de La Fontaine, qui s’impose de plus en plus comme le nouveau leader national. Les choses avaient manifestement changé : le cousin de Papineau, Denis-Benjamin Viger, est co-premier ministre, son frère Denis-Benjamin Papineau est ministre, Ludger Duvernay a relancé La Minerve, favorable à La Fontaine, l’abbé Chartier a réintégré le ministère, Thomas Storrow Brown s’est fait l’avocat de la tempérance, Wolfred Nelson a été réélu député de Richelieu tandis qu’O’Callaghan est archiviste de l’État de New York, que le Dr Robert Nelson a décidé de ne pas revenir dans la monarchie britannique et qu’un ex-patriote comme le Dr. Duchesnois s’est établi au Chili.

Comment le grand tribun allait-il être reçu et tenter de remettre à l’ordre du jour ses idées démocratiques, républicaines et nationalitaires ? Pressé par les électeurs du comté de Saint-Maurice, Papineau accepte d’être candidat aux élections de décembre 1847. Élu le 3 janvier 1848, il entre à l’Assemblée législative du Canada-Uni, à Kingston, le 14 mai. Ses interventions parlementaires et ses grands discours – aux électeurs de Saint-Maurice, à la communauté irlandaise, au marché Bonsecours ou à l’assemblée d’Yamachiche – véhiculent les positions qui allaient le mener à la grande confrontation parlementaire avec La Fontaine, les 22 et 23 janvier 1849, un an après son élection.

Dans ses discours de retour d’exil, Papineau s’explique d’abord sur les troubles de 1837 : jusqu’à la dernière heure, la résistance armée avait été avait été déconseillée et n’avait été « prévue et conseillée par personne de sensé et de poids ». La consigne était de se rendre si l’on faisait l’objet d’un mandat ou de fuir aux États-Unis. Les vraies causes de la rébellion de 1837 devaient être cherchées chez les Volontiers anglophones armés qui troublaient la paix et attaquaient des maisons, dans les arrestations sans mandat faites par des bandes militaires et surtout dans la proclamation de la loi martiale : « Si le faible Gouvernement du jour, guidé par un faible consul, ne s’était pas porté à l’extrémité de proclamer illégalement la loi martiale, il n’y aurait pas eu de trouble. » Pour Papineau, « l’indignation et l’armement furent spontanés pour repousser la force par la force. »

L’homme politique n’a pas changé ; dans son discours aux électeurs de Saint-Maurice, il professe : « Tout ce que j’ai demandé en Chambre en 1834, je le redemande en 1847 » : représentation selon la population, électeurs résidents, éligibilité non liée à la propriété, corruption découragée pour toujours, administration moins dispendieuse.

Papineau justifie son refus de l’Union d’abord et avant tout par une raison démocratique : la représentation parlementaire égale du Haut et du Bas-Canada et non pas proportionnelle à la population. Il déclare : c’est « le premier, le principal défaut de notre constitution actuelle », c’est la réforme parlementaire la plus urgente : « Donnez la reforme, le peuple est avec vous et je suis avec le peuple ; refusez-là, le peuple est contre vous, et je reste avec le peuple. » Le démocrate n’accepte pas ce principe de la représentation égale et indépendante de la population qui avantage le Haut-Canada ; il pointe du doigt les six « bourgs pourris » de 12 000 habitants au Haut-Canada avec six députés alors que dans le Bas-Canada, deux comtés de 40 000 habitants n’ont droit qu’à deux députés.

Le député de Saint-Maurice propose le principe d’un député par 10 000 habitants dans l’étendue de la Province ; c’est pour lui le seul moyen de sortir d’une situation « d’asservissement continu » et la raison de son refus de la stratégie de Baldwin d’augmenter le nombre de représentants au Bas-Canada et au Haut-Canada. C’est que, sur cet argument démocratique, repose un enjeu nationalitaire : il est impensable de demander le rappel de l’Union sans l’obtention de cette réforme, sans un système proportionnel à la population qui donnerait au Bas-Canada une possible majorité parlementaire. Papineau est clair sur cet enjeu : « Les hommes qui ne savent pas voir cet avenir sont des aveugles, les hommes qui ne veulent pas, sont des tyrans. » À ceux qui s’interrogent sur cette agitation autour du Rep by Pop, que réclamera bientôt un Haut-Canada plus populeux grâce à l’immigration, Papineau rétorque : « Sans doute si l’Union durait encore, le Haut-Canada demanderait ses « justes droits » et alors la demande du Haut-Canada serait fondée comme l’est aujourd’hui celle du Bas-Canada ; la réforme parlementaire basée sur la population conduira à la demande judicieuse, utile aux deux partis, avec leur mutuel consentement, du divorce à leur mariage forcé ». Papineau est ici un démocrate conséquent, mais avec un conditionnel » « si l’Union durait encore… » C’est la gageure qu’il fait.

L’attrait du gouvernement responsable ne le séduit pas plus qu’au temps des 92 Résolutions ou de 1837. C’est, pour lui, « une tromperie », « une énigme interprétée diversement par celui qui l’offre et par celui qui le reçoit.

(Tiré du livre Histoire sociale des idées au Québec, 1760-1896, par Yvan Lamonde. Éditions Fides, 2000).

Voir aussi :

Oratoire Saint-Joseph
Oratoire Saint-Joseph. Photographie par GrandQuebec.com.

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