Papineau sous un nouveau jour

Les contradictions entre nationalisme et libéralisme chez L. – J. Papineau

« C’est la faute à Papineau », « Ce n’est pas la tête à Papineau ». Voilà deux expressions qui caractérisent assez bien l’attitude ambivalente du Canada français vis-à-vis de Louis-Joseph Papineau, la première, maintenant disparue de noire vocabulaire, était courante, même plusieurs années après la rébellion de 1837-1838, alors que le moindre malheur qui survenait à la collectivité canadienne – française était abusivement attribué à Papineau. D’autre part, la seconde expression, qui est encore vivante chez nous, traduit l’admiration que l’on a vouée à cet homme. Louis-Joseph Papineau est demeuré une ries figures les plus intéressantes rie notre histoire: son nom restera gravé comme celui de notre premier chef nationaliste. On se souvient de lui, notamment, à titre de principal instigateur des troubles qui ont mène aux événements de 1837 et de 1838. Un jeune historien rie 33 ans, Fernand Ouellet. préposé aux Archives de la province et professeur d’histoire à la faculté rie Commerce de l’Université Laval de j Quebec, s’intéresse activement à re personnage controversé de noire histoire, les dix années de recherches consacrées au chef patriote aboutiront sous peu a la publication d’un livre qui scrutera tous les angles de ce personnage historique si difficile à saisir.

En sa qualité d’archiviste adjoint de la province, M. Ouellet a eu tout le loisir de recourir aux documents rie nature à apporter des renseignements inédits sur l’objet de son étude. Les fondements rie cette dernière sont la Collection Papineau et le ponds des événements 1837-1838. L’historien achèvera sa documentation par l’étude de la correspondance des gouverneurs rie l’époque, conservée aux Archives fédérales à Ottawa. Simultanément à ces recherches, M. Ouellet s’occupe de la publication intégrale de la correspondance de Papineau et envisage de publier un second livre, cette fois sur madame Papineau et sur l’influence qu’elle a exercée sur son mari.

Jusqu’à maintenant, quelques articles de Fernand Ouellet publiés dans diverses revues historiques, notamment la Canadian Historical Association (juin 1958) et le premier numéro, paru l’an dernier, des Cahiers de l’Institut d’Histoire de l’Université Laval, n’ont pas manqué d’attirer l’attention sur un certain renouvellement, des perspectives dons lesquelles il considère Papineau.

M. Ouellet avoue, en effet, que ses recherches l’ont progressivement amené à se faire une idée quelque peu différente de celles qui prévalent dans les études consacrées au chef de la rébellion de 1837. Il s’est d’abord penché sur le libéralisme de Papineau et puis sur son nationalisme. C’est ainsi qu’il a été amené à discerner des contradictions dans cette double attitude : lorsque surgissent d’inévitables conflits entre ces deux pôles d’attraction, nationalisme – libéralisme, ils se résolvent au profit du nationalisme.

Son nationalisme

Pour bien comprendre le nationalisme de Papineau, affirme Fernand Ouellet, il faut le situer dans le contexte du mouvement des nationalités, qui avait cours dans l’Europe du XIXe siècle. Mais, au Canada, contrairement à la situation de l’Europe de l’époque, l’élite laïque était à peine naissante : avocats, médecins. Au surplus nous n’avions pas, à proprement parler, de bourgeoisie laïque : l’équivalent de la nouvelle j classe dès hommes d’affaires européens — les « bourgeois conquérants » dont parle Charles Morazé – ou les marchands anglais du Canada, n’existait pas encore ici.

C’est de cette façon que le nationalisme de Papineau s’est orienté vers la défense des institutions régnantes canadiennes- françaises : la défense du régime seigneurial et du droit coutumier français qui le soutenait; le maintien des valeurs familiales traditionnelles et la prépondérance à accorder à l’agriculture, contre l’industrie et le commerce. On retrouve ces grandes lignes de pensée dans l’attitude négative qu’il a adoptée sur l’établissement j des banques – pour lut détestables institutions capitalistes – et des bureaux d’enregistrement. Si, de plus, Papineau, selon M Ouellet, s’est montré un adversaire acharné des marchands anglais qui véhiculaient le capitalisme, c’est qu’il se rendait compte que la recherche « du gain pour le gain » et la libre propriété entrainaient la dissolution des cadres économiques et juridiques traditionnels des Canadiens français.

Cela explique que Papineau, qui a ses débuts politiques admirait sincèrement les institutions anglaises, méprisait la démocratie américaine et la révolution française, ait changé d’idée par la suite. Après 1837, soutient M Ouellet, sous la pression de difficultés économiques, de problèmes agraires, de la situation précaire des professions libérales et des petits marchands de campagne, Papineau fut entrainé à adopter une attitude plus radicale.

M. Ouellet est d’avis que le libéralisme de Papineau ne prenait pas seulement sa source dans un vif sentiment nationaliste mais qu’il s’appuyait aussi sur un besoin d’affirmation de la pensée laïque et d’émancipation vis-à-vis des structures cléricales passablement contraignantes. Il ne faut pas oublier, ajoute l’historien, qu’à cette époque le libéralisme était condamné. Parler de la souveraineté du peuple c’était proférer une hérésie aux yeux d’un clergé imbu de principes théocratiques qui, au surplus, possédait une partie de la propriété foncière.

Avant 1837, dit-il, Papineau était mal vu du clergé à cause drs idées libérales de l’homme politique, mais, en même temps, il jouissait d’une certaine sympathie du fait de ses principes nationalistes. Au point de vue religieux, il appartenait au groupe des déistes qui comprenait alors plusieurs professionnels qui ne pratiquaient pas de religion : Duvernay, le Dr. Côté, Rodier, Ameury Girod, etc. Papineau, qui était un disciple de Voltaires et de Rousseau, est demeuré déiste jusqu’à la fin de sa vie.

La rébellion

Il est impossible d’évoquer le nom de Papineau sans référer ç la rébellion de 1837-1838, qui marque une période d’effervescence du nationalisme canadien. Si on remarque des ambiguïtés dans les positions de Papineau entre son nationalisme, de nature conservatrice, et son libéralisme, de nature progressiste, les mêmes questions se posent peut-être de façon accrue, si on analyse son attitude durant la rébellion.

Tous les historiens sont à peu près unanimves à constater ses hésitations continuelles, qui furent une des causes responsables de l’insuccès du mouvement révolutionnaire dans la vallée du Richelieu. Fernand Ouellet est convaincu, contrairement à d’autres historiens qui prétendent que Papineau a été entrainé dans la révolution malgré lui, qui le chef patriote a décidé de tenir une série de grandes assemblées, sans doute pour faire peur au gouvernement. Mais, si cette première phase, n’avait pas de succès, il était décidé à recourir à un soulèvement armé. L’historien cite à l’appui de sa thèse quelques faits : la rébellion s’est décidée entre le 1er et le 10 mai 1837 et Papineau a fait son testament le 10 mai; un des buts de la Banque du Peuple, fondée en 1836, était d’accumuler des fonds pour l’achat d’armes; des lettres de Papineau à Mackenzie indiquent la résolution des patriotes de coordonner les soulèvements du Bas et du Haut-Canada.

M. Ouellet juge que Papineau a eu tort d’accepter, au moins tacitement, la révolution, sans s’engager à fond.

Il a agi, dit-il, en chef qui n’assumait pas pleinement ses responsabilités. Cela se comprend d’une certaine façon d’un homme qui était un révolté, mais non pas fait pour diriger une révolution. Papineau n’était pas un homme d’action, il se réfugiait dans la théorie plutôt que d’affronter des situations concrètes.

On voit donc pourquoi il n’a jamais combattu dans la révolution. Après l’avoir déclenchée par ses paroles et son influence, son devoir était de la poursuivre de façon lucide. Au lieu de cela, nous le suivons aux prises avec des tergiversations continuelles, ce qui est bien un des traits de caractère.

Retour de l’exil

À compter de 1843, on lui permet de revenir au Canada. Il arrive d’exil en 1845. À cette période, il existait encore de l’amertume dans le peuple et une grande méfiance contre les responsables de la rébellion, qui avait mal tournée. Pourtant, on vouait toujours à Papineau une admiration un peu mythique. Après sa fuite aux États-Unis, les paysans canadiens n’espéraient-ils pas son retour à la tête de 50,000 noirs et de Turcs armés de carabines à douze coups?

Mais, dès lors, précise M. Ouellet, Papineau ne joue plus un rôle prépondérant dans la politique; Lafontaine l’isole, Nelson l’attaque au sujet de sa prétendue fuite du théâtre des opérations à Saint-Denis, en 1837, mais ce point n’a pas encore été éclairé; Papineau, alors plus républicain que jamais, est opposé au régime responsable et à l’union des deux Canadas. De retour au pays, il n’hésite pas à déclarer : « Je suis de plus en plus ennemi des nobles, des prêtres et des rois. »

M. Ouellet remarque qu’à certains points de vues Papineau est l’homme qui a incarné le plus profondément les aspirations des Canadiens français vers l’indépendance. Il fut le premier républicain canadien. Il a représenté les tendances libérales et laïques dans une société dominée par les classes cléricales. L’historien est toutefois d’avis que le programme du chef patriote comportait des dangers pour le développement économique du pays; à cette époque, le Canada ne pouvait développer ses ressources naturelles en se privant des débouchés anglais.

Fernand Ouellet voit des aspects messianiques chez Papineau, aspects qui se sont prolongés jusqu’à un certain point dans notre mentalité, par exemple, le mythe de notre vocation agricole. Il a aussi influencé notre école nationaliste et libérale. L’ascendant qu’il a exercé sur les hommes de son temps ne s’explique pas seulement par son magnétisme personnel, sa force de persuasion, mais également par les besoins des compatriotes de son époque, besoins auxquels il répondait.

Les historiens canadiens-français ont insisté davantage sur l’aspect nationaliste de l’oeuvre de Papineau tout en condamnant ses idées libérales. Ils n’ont pas suffisamment expliqué, dit M. Ouellet, les relations étroites qui existaient entre son nationalisme et son libéralisme. Pour bien comprendre Papineau, il faut le rattacher aux conditions économiques et sociales de son époque.

Pour sa part, Fernand Ouellet a étudié avec attention ces facteurs nécessaires à la compréhension des positions de Papineau. Il en est de même en ce qui concerne les liens entre le nationaliste et le libéraliste chez ce dernier.

Le livre de M. Ouellet publié, Papineau n’en demeurera pas moins une figure complexe. Mais le travail de ce jeune historien québécois nous promet justement plus de lumière sur cette complexité même. N’est-ce pas ce qui fait l’intérêt et l’originalité des recherches que M. Ouellet poursuit depuis dix ans sur Louis-Joseph Papineau ?

(Article critique publié par Gilles Boyer en février 1960).

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