Incendies de forêt en Gaspésie
Incendies en Gaspésie : Luxuriante, la forêt matapédienne peut aussi donner lieu à des scènes de terreur et de désolation lorsque l’élément destructif pour le temps chaud et sec, enflamme tout sur son passage. Au cours de son histoire, la Vallée-de-la-Matapédia voit passer plusieurs feux de forêt dont certains sont plus destructeurs que d’autres, tels celui de 1920 qui a ravagé une grande partie des parois de Saint-Moïse, de Sayabec, de La Rédemption et de Saint-Cléophas ou celui de 1937 qui, pendant une vingtaine de jours tout brûlé sur son passage de Saint-Alexandre-des-Lacs jusqu’aux limites de la rivière Matane. Dans son livre intitulé « À travers mes souvenirs », le récit romancé que fait Mme Antoine Boutet, la fille de James Smith, un intellectuel qui s’est établi à Causapscal vers 1865, d’un feu de forêt qu’elle a vécu, nous permet d’imaginer clairement la panique que pouvaient susciter ces immenses brasiers :
Pendant le cours d’un été, grâce à la chaleur torride, de nombreux feux de forêt se déclarèrent, et à notre profonde douleur et consternation, nous apprenions que telle et telle famille dans la vallée avaient péri dans les flammes… Un jour, un énorme rouleau d’écorce enflammée, traversant les airs, comme guidée par une mais furieuse, vint embraser la forêt couronnant la chaîne de montagnes qui limitait nos champs. L’incendie n’était guère éloignée (sic) que de deux milles de la maison. Nous le comprîmes de suite, c’était la mort !… La mort inévitable et affreuse. En quelques minutes, leur cime était en feu, sur une longueur de quatre à cinq milles, car à tout instant de nouveaux feux se déclaraient. Les employés quittèrent leurs travaux, et nous rejoignirent épouvantés.
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En un clin d’œil, les arbres géants, de leur base à leur sommet, étaient environnés de flammes. Le vent les activait. En fait, ces vents créent toujours ces épouvantables catastrophes. Par ce souffle puissant, les flammes en se tordant, montaient dans les airs à une grande hauteur. Prenant la forme de mouvements de serpents monstrueux, elles vomissaient des nuages de fumée noire et opaque. Des sifflements se faisaient entendre à tout instant. On aurait dit que des êtres diaboliques ordonnaient la ruine et la mort. Des craquements sinistres se répondaient, et les rois de nos bois, dont les rameaux majestueux, à l’heure précédente, répandaient l’ombre et la fraîcheur, sombraient anéantis, foudroyés. L’élément dévastateurs remportait des victoires à chaque instant.
… Ce qui ajoutait encore à ces horreurs, c’était de contempler tous les animaux, tous les reptiles, tous les insectes de la forêt qui, pris de panique, dévalaient des montagnes dans la vallée. Leur cours furibonde et indescriptible nous glaçait de terreur ! Les ours, les chevreuils, les martres, les visions, les castors, les loup-cerviers, tous, épouvantés, fuyaient le terrible fléau, en lançant, chacun, la clameur qui lui était propre. Aussi un nombre incroyable de couleuvres rampaient dans les champs. Elles faisaient osciller les moissons. On eût dit que la surface du sol était mue par les convulsions d’un tremblement de terre. Les chers oiseaux, par milliers, rasaient le sol, dans un vol éperdu !…
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Ces dures épreuves, malheureusement essentielles au cycle de régénération des forêts, ont fait ressortir le courage et la solidarité de la population matapédienne à plusieurs reprises. Les incendies, en dévastant de larges zones forestières, ont aussi, dans certains cas, favorisé le développement de l’agriculture. À La Rédemption, par exemple, le feu a dévasté le peu de bois laissé par la compagnie Price. Ainsi les colons, venus s’y installer dans les années 1930, n’ont eu d’autres choix que de pratiquer l’agriculture.
(Extrait du livre Histoire de la Gaspésie. Auteurs : Jules Bélanger, Marc Desjardins, Yves, Frenette avec la collaboration de Pierre Dansereau. Boréal express. Institut québécois de recherche sur la culture).