Histoire de la Vallée de la Matapédia au XIXe siècle
À peine explorée par les Européennes au début du XIXe siècle, la vallée de la Matapédia est bien connue des Micmacs qui ont occupé le territoire de la péninsule gaspésienne dès le le début du XVIE siècle. Le nom Matapédia provient d’ailleurs du mot micmac « matapegiag » signifiant « la rivière qui se sépare en plusieurs branches », « qui fait fourche » ou « jonction de rivières ». Lors de sa première visite en 1534, Jacques Cartier note que les Micmacs fréquentent l’estuaire de la rivière Ristigouche et ses environs. Les rivières de la région grouillantes de saumons permettent à ces autochtones de vivre principalement de la pêche. Les Micmacs sont également de grands chasseurs de caribous et d’orignaux qui abondent en Gaspésie. Au cours de l’été, ils remontent fréquemment la rivière Matapédia pour se rendre de l’autre côté de la péninsule.
De la rivière Matapédia, après un portage de plusieurs kilomètres, ils rejoignent la rivière Matane pour atteindre le poissonneux estuaire du Saint-Laurent, riche aussi en sauvagine, à partir duquel ils peuvent pratiquer le troc avec d’autres groupes autochtones, notamment les Montagnais de la région de Tadoussac. Ce portage et celui de la rivière Mitis sont aussi connus des Malécites qui entretiennent des liens commerciaux avec les Micmacs. Peuple de la mer, les Micmacs sont reconnus pour leurs longs voyages océaniques qui les amènent jusqu’à Terre-Neuve. Ils considèrent d’ailleurs la côte atlantique comme leur territoire exclusif de traite où ils négocient depuis longtemps avec les Européens, d’abord avec les Basques, puis avec les Français.
À la fin du XVIIe siècle, les Européens commencent théoriquement à s’approprier une partie des terres de la vallée de la Matapédia. Effectivement, le premier document où il en est fait mention remonte au 26 mai 1694, alors que le gouverneur de la Nouvelle-France, Louis Buade, comte de Frontenac, et l’intendant, Jean Bochart, au nom du roi de France, octroient à Charles-Nicolas-Joseph D’amours de Louvriers une concession « d’un certain lac appelé Madapèguia, à une distance d’environ deux lieues de Matante, avec en plus une lieue de profondeur autour dudit lac, les îles et les îlots qui peuvent s’y trouver en fief et seigneurie, haute moyenne et basse justice, avec droit de pêche, chasse et commerce avec les sauvages ». Cette seigneurie demeure cependant inoccupée jusqu’en 1833, alors que Pierre Brochu, le premier gardien de poste du chemin Kempt, s’installe à l’extrémité nord du lac sur le bord de la rivière Saint-Pierre (à Sayabec). Avant cette date, aucun chemin ne traverse la vallée, empêchant ainsi toute possibilité de colonisation. Seules quelques familles de Loyalistes d’origine écossaise sont établies depuis les années 1810 à l’embouchure de la rivière Matapédia en bordure de la rivière Ristigouche.
Au XIXe siècle, les sujets britanniques étant menacés par les États-Unis qui cherchent à élargir leurs frontières depuis la guerre de 1812, commencent à s’intéresser à la vallée de la Matapédia pour vérifier la possibilité d’y construire une route militaire. Guidés par les Micmcas, ils exploreront à quelques reprises cette vallée en vue d’y tracer une voie terrestre pour éviter celle de Témiscouata – celle-ci longeant de trop près la frontière du Maine qui N’est d’ailleurs pas encore clairement définie – afin de relier le Bas-Canada au Novueau-Brunswick.
En 1824, le gouverneur du bas-Canada, sir James Kempt, charge James Crawford de sonder la vallée de la Matapédia dans ce but, mais le projet n’est pas immédiatement exécuté. L’examen des lieux sera repris cinq ans plus tard sous la direction de William MacDonald, agent du département des Terres de la Couronne. Celui-ci proposera un trajet d’environ 163 km partant de Métis et rejoignant l’extrémité nord du lac Matapédia, puis contournant le lac par l’ouest, traversant la rivière Matapédia à la hauteur de la rivière Humqui, suivant le cours de la Matapédia jusqu’aux Fourches (Causapscal), puis s’enfonçant dans les plateaux à l’est de la rivière pour rejoindre la mission de Restigouche. L’arpentage effectué par le major Fournier et son fils Frédéric débute en 1829. La mort tragique de ce jeune homme de 22 ans dans la rivière Matapédia en 1831 restera gravée dans la mémoire collective et deviendra une légende pour les futurs habitants des lieux.
Les travaux de construction du chemin Kempt débutent en 1930 sous la direction du major Aé F. Wolfe et sont arrêtés en 1832, faute de budget. La portion contournant le lac n’est alors pas encore défrichée (elle le sera en 1838 seulement) et plus de la moitié du parcours est parsemé d’embûches, de marécages, de rivières à traverser et de précipices, ce qui occasionne bien des accidents et parfois la mort à ceux qui s’y aventurent. Un voyageur nommé Robert Kelly, qui l’a emprunté à partir de la mission de Restigouche peu après son ouverture, s’étonnera du piètre état de la route. Son témoignage est cité dans le journal de l’explorateur Everington en 1833 :
Il y a un excellent chemin à partir de la Mission, de vingt milles de longueur, sur lequel toute espace de voiture peut passer ; au-delà il est impraticable pour les charrettes, à cause des abatis et des rivières sur lesquelles il n’y a pas de pont ; on rencontre l’un ou l’autre obstacle sur ce chemin jusqu’au point où il se termine soudainement dans les bois à environ 56 milles de là.
La vallée de la Matapédia commence à se peupler dès les années 1850. Le chemin de Matapédia permet toute de même une pénétration plus profonde dans l’arrière-pays pour les familles du bas du fleuve qui prennent des lots dans la future paroisse de Saint-Moïse dès 1868.
La liaison ferroviaire promise au Nouveau-Brunswick et à la Nouvelle-Écosse lors de la signature de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique en 1867 pour faciliter leur commerce avec le Québec et l’Ontario, le chemin de fer Intercolonial construit entre 1871 et 1876, a été le véritable fer de lance de l’économie matapédienne. En y attirant de grosses compagnies forestières qui peuvent désormais acheminer leurs bois de sciage vers les grands centres, le passage du train dans la Vallée-de-la-Matapédia a entraîné du même coup l’explosion de son peuplement. À partir des années 1880, partout où une gare est construite, un petit village, parfois éphémère, apparaît.
Des hôtels et autres commerces pour accommoder les voyageurs poussent comme des champignons à proximité des stations animées par un continuel va-et-vient. Ainsi naissent les villages de Saint-Moïse-Station (Saint-Noël), de Cedar Hall (Val-Brillant), d’Amqui, de Lac-au-Saumon, de Causapscal, d’Assemerquagan (Routhierville) et de Matapédia.
L’amélioration du réseau routier reliant les centres de colonisation situés en retrait de la voie ferrée a plus tard permis le développement des autres villages de la Vallée au début du XXe siècle. Ainsi, les trains de marchandises, qui aujourd’hui ne font que passer sans s’arrêter, ont alors fait vivre à la Vallée-de-la-Matapédia son âge d’or de l’industrie forestière. L’ouverture de la Vallée grâce à ce moyen de transport arrive juste à point pour le gouvernement québécois et les sociétés de colonisation qui encouragent, à cette époque, le développement de l’agriculture sur des terres vierges pour contrer le vaste mouvement d’émigration des Canadiens français vers les villes des États-Unis.
À la suite de la publication du livre d’Arthur Buies sur la Vallée-de-la-Matapédia en 1895, plusieurs brochures vantant la fertilité de ses terres, qui sont loin de toutes l’être, y attirent une multitude de colons. Pour les encourager à s’y rendre, les « colons sérieux » qui ont obtenu un certificat du département de la Colonisation ont droit à une réduction sur le prix du billet de train de l’Intercolonial. Selon les auteurs de Histoire de la Gaspésie (1981) : « La région Matane-Matapédia connaît un essor démographique sans précédent entre 1850 et 1920. Cela est rendu possible grâce au peuplement accéléré dans la vallée de la Matapédia, au « déversement » vers l’est de nouveaux colons venant de paroisses situées entre Montmagny et Rimouski et l’un des taux de natalité les plus élevés de l’histoire canadienne ».
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