Parcs et forêts

Les universitaires envahissent la forêt

Les universitaires envahissent la forêt

Respect de l’environnement et aménagement durable

Le programme de travail du Centre de recherche en biologie forestière de l’Université Laval

L’importance — écologique et économique — de la forêt est manifeste. Avec une surface accessible et productive de quelque 524 000 km, la forêt québécoise, qui occupe un espace équivalent à celui de la France, génère près de 80 000 emplois directs.

Plus de 37 millions de mètres cube de bois y sont prélevés chaque année pour approvisionner les diverses usines de transformation et soutenir cette activité économique.

Or, en plusieurs ehdroits au Québec, la récolte de matière ligneuse atteint la possibilité de coupe forestière et des pénuries sérieuses sont déjà prévisibles. Cela, malgré les reboisements et les travaux sylvicoles effectués annuellement en forêt.

Si on veut maintenir l’apport économique résultant de l’exploitation de la ressource forestière et répondre aux pressions toujours plus grandes de la société pour préserver une portion importante du territoire forestier à d’autres fins, il faut innover. Voilà l’objectif visé par les chercheurs du Centre de recherche en biologie forestière (CRBF).

Le CRBF a été fondé en 1985 afin de pourvoir le Québec d’un centre universitaire moderne dont le mandat de recherche et de formation aux cycles avancés porte sur la productivité biologique des forêts.

Le centre occupe maintenant des laboratoires munis d’équipements analytiques des plus modernes dans quatre pavillons de l’Université Laval, en plus d’une composante à l’Université de Sherbrooke.

Des sept professeurs-chercheurs et quelque 30 étudiants-chercheurs qui formaient le Centre à ses débuts, les effectifs ont évolué pour atteindre aujourd’hui 200 membres regroupant notamment 19 professeurs-chercheurs réguliers, 12 chercheurs-associés et plus de 100 étudiants-chercheurs. Ils ont à cœur de développer les connaissances qui permettent de mieux comprendre les écosystèmes forestiers, d’assurer leur protection et d’augmenter leur productivité. Leurs activités comportent des dimensions fondamentales et appliquées, allant des concepts les plus pointus de la biologie moléulaire à la sylviculture traditionnelle. Voici quelques contributions des chercheurs du CRBF à l’égard de la conservation de la biodiversité, une préoccupation grandissante chez les utilisateurs des ressources forestières.

Conservation de la biodiversité

Pour que l’aménagement forestier puisse assurer la conservation de la biodiversité il faut notamment reconnaître les nombreuses composantes de l’écosystème forestier et comprendre leurs interactions.

Avec sa faune, sa flore et ses conditions caractéristiques, le milieu riverain est considéré comme un écosystème en lui même. Traditionnellement, ces habitats riverains sont soustraits aux coupes forestières en raison de leur pouvoir tampon sur les habitats aquatiques. Or, dans les forêts boréales québécoises, constituées de peuplements mûrs ou surannés et où l’exploitant forestier prélève la matière ligneuse allouée, il se peut que ces aires deviennent les seules réserves de forêt parvenue à maturité.

Quelles doivent être alors les conditions minimales de lisière boisée riveraine permettant le maintien de la fau ne forestière qui y vit? Pour y répondre, un programme de recherche basé sur des études de dynamique des populations animales se poursuit depuis une dizaine d’années, dans des secteurs de types différents. Des suivis par capture-recapture des populations de petits mammifères, la comparaison des caractéristiques d’habitat, de brout et des densités de fèces du lièvre, l’étude de sites de nidification et de la structure des communautés d’oiseaux ainsi que des inventaires d’oiseaux qui impliquent l’appel d’oiseaux au magnétophone permettent d’élucider les impacts des perturbations à l’échelle des territoires de coupe. L’analyse des données ainsi recueillies a géné ré les connaissances permettant d’émettre de nouvelles modalités de gestion des bandes riveraines, propres à cet écosystème forestier boréal.

On a ainsi démontré que la norme générale, obligeant à laisser des lisières boisées de 20 mètres le long de tous les cours d’eau et plans d’eau, ne peut assurer le maintien de la biodiversité. Aussi, on recommande aux aménagistes de remplacer cette norme par des interventions créant à la fois de l’hétérogénéité à différentes échelles spatiales et des écosystèmes identifiés pour maintenir des habitats spécifiques.

Cette étude a notamment révélé l’importance de prévoir la disponibilité de chicots, pour les canards nichant dans une cavité d’arbre, et d’assurer la connectivité des aires de coupe, pour le maintien de corridors fauniques assurant le déplacement des mammifères à grands domaines vitaux.

La conservation de la diversité des ressources génétiques est un autre domaine qui préoccupe les intervenants forestiers, car les ressources génétiques constituent la source ultime de diversité nécessaire, non seulement à la stabilité des communnautés végétales, mais aussi à leur adaptation aux perturbations.

Les recherches entreprises depuis 1990 à cet égard ont notamment conduit au développement de puissants outils d’analyse.

C’est d’ailleurs à ce niveau que sont intégrés les programmes de recherche les plus fondamentaux. Comme en génomique humaine, ces outils sont en constant développement, car le recours aux marqueurs moléculaires et aux outils de la biologie évolutive est devenu incontournable. On les utilise notamment pour recenser précisément les ressources génétiques existantes et pour mieux comprendre l’organisation des gènes et de leurs fonctions. Quelques-unes des applications récentes témoignent de cet apport.

Protection et suivi environnemental

L’étude de l’ADN permet de tracer les empreintes génétiques des organismes puis de caractériser la diversité génétique présente à l’intérieur d’une population et entre les populations d’une espèce donnée. Cette approche a permis d’effectuer le suivi environnemental d’un champignon en voie de devenir le premier bioherbicide homologué en foresterie. Les résultats de cette étude ont démontré l’in ­ nocuité environnementale de l’organisme et ont permis de recommander son utilisation dans les différents écosystèmes forestiers canadiens.

Des marqueurs moléculaires sont actuellement utilisés pour comparer la diversité génétique des populations d’epinette noire issues de feux (origine naturelle par voie de semences) de coupe avec protection de la régénération préétablie (origine par voie de marcottage)

Puisque le contrôle des feux de forêt fait maintenant partie des moyens utilisés pour maintenir la productivité des forêts, on doit envisager que le mode de reproduction qui en résulte ne sera plus qu’un événement rare et qu’ainsi, le marcottage deviendra le mode de reproduction privilégié de l’espèce.

Il y a lieu de se demander si ce mode de renouvellement de l’espèce ne favorisera pas une perte de diversité. Un projet de recherche est en cours, où la structure de populations plusieurs fois centenaires est comparée à celles de populations issues de coupes afin de déceler toute tendance à la perte de diversité chez les peuplements régénérés après coupe.

Sélection de variétés performantes et adaptées

L’évaluation des caractéristiques physiques du bois représente une étape cruciale au sein des programmes d’amélioration génétique des arbres. Cependant, une des contraintes majeures est l’âge auquel on peut évaluer ses caractéristiques. Par exemple, chez l’épinette blanche, l’évaluation de la densité du bois, caractère influençant ses propriétés mécaniques, ne peut être faite qu’après une vingtaine d’années.

La solution retenue pour remédier à ce problème est de rechercher des marqueurs moléculaires indicatifs des gènes associés au caractère souhaité et de les utiliser comme outil de sé ­ lection précoce. Cette même technique a été utilisée pour sé ­ lectionner rapidement des érables à sucre possédant une teneur en sucre élevée. La présentation des nom ­ breuses autres contributions des chercheurs du CRBF démontrerait l’effort considérable investi en recherche, mais aussi l »ampleur et l’urgence des besoins pour répondre aux nouveaux enjeux de la foresterie québécoise.

De fait, la prise de conscience collective de ces nouveaux défis ne doit pas qu’interpeller nos façons de faire mais aussi nos connaissances, car c’est sur celles-ci que s’appuieront les pratiques respectueuses de l’environnement et d’un aménagement durable.

Par Lyne Gosselin.

(Texte publié le 27 mai 2001).

La forêt mauricienne. Photo de GrandQuebecé.com.
La forêt mauricienne. Photo de GrandQuebecé.com.

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