Bilan du milieu naturel du territoire québécois
Le territoire québécois est vraiment immense et nous aimerions chercher à évaluer en quelque sorte le bilan de cette immensité du milieu naturel québécois. Et dans tout bilan, il y a un actif et un passif…
À l’actif, il ne fait pas de doute que Québec tire des avantages considérables de l’étendue de son territoire. Sans développer les divers points, énumérons seulement quelques aspects :
- certaines ressources sont à l’échelle même du territoire; c’est le cas des forêts, fort étendues, qui donnent une grande capacité de production et de vastes réserves; il en va de même pour les richesses minières;
- le domaine agricole est finalement fort étendu; dans le contexte d’une agriculture plus spécialisée et plus intensive, la province pourrait bénéficier d’une augmentation importante du peuplement agricole;
- l’étendue du territoire favorise l’importance des cours d’eau, de leurs vallées, de leurs débits, et donc, finalement, de la possibilité d’utilisation massive de l’énergie;
- le territoire ouvre le Québec sur les régions nordiques, sur l’Atlantique-Nord, commercialement si important, et sur les États-Unis; l’immensité est ainsi un facteur de voisinage fort important.
On pourrait continuer cette énumération, mais voyons plutôt quelques aspects apparemment négatifs où l’étendue peut constituer un obstacle ou imposer un poids assez lourd:
- création et maintien d’un réseau de communications adéquat pour relier les diverses parties d’un territoire inégalement habité et développé;
- les transports sur de grandes distances viennent augmenter les prix des matières premières, de l’énergie et des divers biens de consommation dans les districts moins favorisés, éloignés des grands centres; à la longue, ces inconvénients introduisent graduellement le déséquilibre régional, le sous-développement régional, le marginalisme et tous les problèmes qui y sont reliés.
Sous cette rubrique aussi, il serait possible de continuer… Mais là ne doivent pas s’arrêter les considérations.
Il faut en effet mettre l’accent sur la stimulation créatrice engendrée par cette étendue. Vaincre la distance a toujours été l’une des ambitions de la population qui a accepté les frais encourus par la création d’un système routier très développé.
Les besoins économiques ont amené l’établissement de voies ferrées en direction de l’Abitibi, du centre du Québec (Schefferville, Gagnon), ainsi que l’aménagement de quais et de ports sur presque tous les littoraux. L’avion est venu au vingtième siècle et a permis de vaincre définitivement l’immensité du territoire. Il a permis de pousser très loin vers l’intérieur l’aménagement de villes pionnières sur des sites miniers et sur des sites d’intérêt militaire et stratégique ou simplement de villages indigènes.
Le « rang » dans le peuplement rural
Dans un pays aux vastes horizons, les premiers habitants français ont introduit un système de peuplement rural par le « rang » qui se caractérise non seulement par l’alignement géométrique de l’habitat mais également par son caractère extensif. Sur des lots très profonds, en général de trente arpents, se sont établies des séries de maisons plantées en position frontale et rigoureusement parallèles au chemin de service ou « chemin de rang ». Ce système original est grand consommateur d’espace et il se traduit par l’isolement des populations et par les faibles densités du peuplement. Aux dépens de la forêt défrichée, le rang s’est propagé dans tout le Québec, non seulement dans les seigneuries mais aussi dans les « townships » arpentés après l’immigration loyaliste et dans les cantons plus récents. Comme le Hollandais fait des polders, ainsi le Canadien français fait du rang, mode de
peuplement rural qui sied bien à un pays neuf où l’on devait, suivant l’expression, « faire de la terre ».
Le climat et ses implications
Il est un peu abusif de parler « du » climat de la province de Québec. Bien entendu, tout le Québec appartient au domaine des climats continentaux froids, mais cela ne saurait faire oublier les variétés régionales.
Dans l’ensemble, tous les climats du Québec sont froids, plus ou moins. L’humidité va en diminuant vers le nord et les vents dominants varient suivant les lieux mais sont, en général, des vents venant du nord («nordet, norois » sont des expressions bien connues).
Le système climatique du Québec repose fondamentalement sur les faits suivants:
- la position d’une partie du territoire située au voisinage immédiat du Cercle polaire;
- la position et le mouvement des masses d’air polaires, venant du nord, et des masses d’air tropicales, venant du sud. Les masses d’air polaires recouvrent tout le territoire pendant l’hiver et effectuent une certaine retraite pendant les mois d’été. Le front de ces masses peut cependant se déplacer apportant ainsi des périodes froides en été ou plus tièdes pendant l’hiver;
- les précipitations plus ou moins abondantes qui dépendent de la position des masses d’air et des fronts; en général, sous la masse d’air polaire le temps est sec et il est plus humide sous les masses d’air tropicales;
- l’efficacité des courants océaniques froids engendrés par la fusion de la banquise polaire et descendant le long des côtes du Labrador et s’engageant aisément dans le golfe du Saint-Laurent. Ce fait explique partiellement l’opposition des deux façades continentales de l’Atlantique à des latitudes égales. Les côtes de Norvège et l’ensemble du territoire des îles britanniques sont, à latitude égale, bien mieux pourvues sur le plan climatique que les territoires côtiers et intérieurs du Québec. On peut ici faire de très intéressantes comparaisons: Narvik est un port ouvert à longueur d’année et même Mourmansk. À position latitudinale comparable à la baie d’Ungava, l’Europe possède plusieurs de ses grandes villes: Oslo, Stockholm, Helsinki et Léningrad, par exemple … L’Europe bénéficie des bons effets des courants chauds de l’Atlantique alors que le Québec est surtout soumis aux effets des courants froids labrodoriens.
- au nord-est de l’Amérique du Nord, le Québec se trouve en quelque sorte coincé entre un Atlantique froid et le reste de l’Amérique du Nord dont l’extension continentale est considérable. Cela place le Québec en plein cœur, en quelque sorte, de la continentalité — quelque chose de comparable à l’intérieur sibérien.
Si on reprend maintenant pour les examiner les principaux facteurs climatiques, on arrive aux observations suivantes:
A – Les températures
Villeneuve a signalé un écart absolu de 146 degrés dans les températures; l’écart moyen pour l’ensemble du Québec se situe entre 70 et 80 degrés.
On pourrait multiplier les exemples: dans le sud de la province les moyennes varient entre 0 et 70 (donc écart des moyennes: 70 degrés); dans le centre du Québec, entre —15 et 60 (écart = 75), dans la péninsule d’Ungava entre —25 et 50 (écart = 75 degrés F).
On peut signaler également les écarts entre les saisons, entre les mois voisins et les plus éloignés, entre les jours d’un même mois, entre le jour et la nuit à chacune des saisons; etc. L’ensemble révélera que les écarts fréquents sur de courtes périodes sont la règle générale en toutes saisons.
Dans le sud du Québec, cela a une conséquence immédiate sur les activités économiques et sur l’agriculture, en particulier. Le nombre de jours sans gel permettant d’évaluer les principales possibilités agricoles est, dans l’ensemble, assez limité:
Entre 80 et 100 jours sur la Côte Nord et en Abitibi, entre 90 et 100 jours dans la Gaspésie, le Bas-Saint-Laurent, les régions appalachiennes du sud et la bordure des Laurentides, entre 130 et 150 jours autour de Québec et dans la plaine de Montréal.
Au plan des températures, il faut noter que l’hiver est de loin la saison la plus longue. Entre l’été et l’hiver, au sens climatique, il n’existe, en général, que de très courtes saisons de transition: automne et printemps.
Les températures donnent aux climats du Québec le caractère de rigueur. L’adaptation aux conditions rigoureuses des températures illustre bien le fait que les températures dominent le tableau des conditions climatiques.
Ne dit-on pas ici couramment « température » lorsque l’on veut parler du temps ou du climat?
Cette confusion linguistique peut fort bien avoir des racines profondes dans la psychologie des gens.
Les principales adaptations se retrouvent du côté des habitations dont il a fallu faire de véritables forteresses contre le froid. Les autres adaptations se retrouvent du côté du vêtement et de l’alimentation, mais aussi du côté des activités saisonnières: artisanat, travail en forêt.
B – Les précipitations
Dans l’ensemble, le Québec appartient aux régions du monde relativement bien arrosées: pas de régions véritablement sèches ni de régions excessivement humides. Les précipitations varient entre 35 et 40 pouces dans le sud et 15 pouces ou moins dans l’Ungava. Le maximum connu semble se situer dans le parc des Laurentides avec un total annuel de 55 pouces.
L’originalité du système des précipitations réside dans le fait que, suivant les régions, entre le quart et le tiers de la précipitation tombe sous forme de neige: 112 pouces à Montréal, 123 à Québec, etc. (On calcule environ 10 pouces de neige pour un pouce d’eau, dans les statistiques, ce qui est approximativement exact).
On peut dégager plusieurs conséquences économiques de ces observations:
- Les sports d’hiver et d’été sont toujours plus ou moins menacés car les conditions des précipitations ne sont pas stables et des variations importantes se produisent fréquemment.
- Le problème des vacances d’été est difficile à résoudre: quelle sera la meilleure période? Beaucoup de problèmes autour de ce thème.
- La neige pose de redoutables problèmes à la circulation dans les grandes villes et sur les grandes routes et augmente considérablement les coûts d’entretien.
- Le régime des précipitations a des conséquences directes sur l’hydrologie: la plupart des rivières ont des maxima de printemps et des étiages de fin d’été et d’automne.
- Les aménagements hydroélectriques doivent tenir compte des précipitations et de l’hydrologie; les étiages signifient des productions réduites à cause des faibles débits. De grands réservoirs doivent être aménagés pour régulariser les débits.
- Même l’industrie forestière s’est adaptée et a su tirer parti des conditions climatiques dans les régions où les rivières servent encore au transport du bois: la coupe se fait en hiver, le bois est placé sur les lacs et rivières gelés et il descend vers l’usine au printemps.
On voit donc que les conditions climatiques jouent un rôle fondamental dans la fixation d’un certain nombre de traits humains du Québec. Le peuplement, les genres de vie, l’habitat, l’œkoumène agricole, la circulation, l’industrie, le tourisme, les sports sont autant de domaines où l’adaptation au climat s’est effectuée et se poursuit. Disons, en terminant, que les difficultés liées au climat sont créatrices et engendrent toutes sortes de solutions. On a trouvé moyen de construire des maisons en hiver: on circule sur toutes les routes en hiver; la navigation sur le Saint-Laurent pendant l’hiver est déjà une réalité.
L’architecture nouvelle fait semblant d’ignorer l’hiver: les fenêtres s’élargissent et le verre sert de plus en plus à fabriquer les murs… Les intérieurs sont envahis par des plantes de toutes sortes, tropicales et exotiques bien souvent: autant de façons de se prouver qu’après tout le climat n’est pas si rigoureux. Et pourtant!
(Le Jeune Scientifique. Mars 1968).
Milieu naturel québécois : Faire de la terre
Je te dis que nous allons faire de la terre…
Faire de la terre – c’est la forte expression du pays, qui exprime tout ce qui gît de travail terrible entre la pauvreté du bois sauvage et la fertilité finale des champs labourés et semés. Samuel Chapdelaine en parlait avec une flamme d’enthousiasme et d’entêtement dans les yeux.
À leur aise… Ô Dieu redoutable des Écritures, que tous ceux du pays de Québec adorent sans subtilité ni doute, toi qui condamnas tes créatures à gagner leur pain à la sueur de leur front, laisses-tu s’effacer une seconde le pli sévère de tes sourcils lorsque tu entends dire que quelques-unes de ces créatures se sont affranchies, et qu’elles sont, enfin, à leur aise ?
« Voyez-vous : il chassait souvent l’hiver, quand il n’était pas aux chantiers, et un hiver qu’il était dans le haut de la Rivière-aux-Foins, seul, voilà qu’un arbre qu’il abattait pour faire le feu a faussé en tombant, et ce sont des sauvages qui l’ont trouvé le lendemain par aventure, assommé et à demi gelé déjà, malgré que le temps était doux. Il était sur leur territoire de chasse, et ils auraient bien pu faire semblant de ne pas le voir et le laisser mourir là ; mais ils l’ont chargé sur leur traîne et rapporté à leur tente, et ils l’ont soigné.
Voir aussi :