Forêt du nord du québec

La forêt du nord du Québec telle que l’a vue Louis Hémon

Vous allez lire des descriptions de la forêt du nord de la région du Lac Saint-Jean, dans le nord du Québec. Ces descriptions ont été créées par Louis Hémon. Elles apparaissent dans son célèbre roman « Maria Chapdelaine ». Bonne lecture !

François Paradis se perd

  • — Il s’est écarté… (François Paradis).

Des gens qui ont passé toute leur vie à la lisière des bois canadiens savent ce que cela veut dire. Les garçons téméraires que la malchance atteint dans la forêt et qui se trouvent écartés – perdus – ne reviennent guère. Parfois une expédition trouve et rapporte leurs corps, au printemps, après la fonte des neiges… Le mot lui-même, au pays de Québec et surtout dans les régions lointaines du Nord, a pris un sens sinistre et singulier, où se révèle le danger qu’il y a à perdre le sens de l’orientation, seulement pour un jour, dans ces bois sans limites.

  • — … Il s’est écarté… La tempête l’a surpris dans les brûlés et il s’est arrêté un jour. On sait ça à cause que des sauvages ont trouvé l’abri en branches de sapin qu’il s’était fait. Ils ont vu aussi ses pistes. Il est reparti parce qu’il n’avait guère de provisions. Il avait hâte d’arriver je pense. Mais le temps était encore méchant, la neige tombait, le norouâ soufflait dur. Probablement qu’il ne pouvait pas voir le soleil ni marquer son chemin. Les sauvages ont dit que ses pistes s’éloignaient de la rivière Croche, qu’il avait suivie, et s’en allaient droit vers le Nord.

Forêt du nord solitaire

  • Point ne lui est besoin de voir le lieu : elle connaît assez bien l’aspect redoutable des grands bois en hiver : la neige amoncelée jusqu’aux premières branches des sapins, les buissons d’aulnes enterrés presque en entier, les bouleaux et les trembles dépouillés comme des squelettes et tremblant sous le vent glacé, le ciel pâle se révélant à travers le fouillis des aiguilles vert sombre.
  • Le vent soufflait de l’Est et chassait devant lui une armée de nuages tristes chargés de neige. Ils défilaient comme une menace au-dessus du sol blanc et des bois sombres. Le sol semblait attendre une autre couche à son linceul, passif. Les sapins, les épinettes, les cyprès, serrés les uns contre les autres, n’oscillaient pas, figés dans cet aspect de grande résignation qu’ont les arbres aux troncs droits. Les souches émergeaient de la neige comme des épaves. Rien dans le paysage ne parlait d’un printemps possible ni d’une saison future de chaleur et de fécondité. C’était plutôt un pan de quelque planète déshéritée où ne régnait jamais que la froide mort.

L’hiver et le froid

  • Ce froid, cette neige, cette campagne endormie, l’austérité des arbres sombres, Maria Chapdelaine avait connu cela toute sa vie ; et maintenant pour la première fois elle y songeait avec haine et avec crainte. Quels paradis ce devait être, ces contrées du Sud où l’hiver était fini en mars et où dès avril les feuilles se montraient. Au plus fort de l’hiver l’on pouvait marcher sur les chemins sans raquettes, sans fourrures, loin des bois sauvages. Et dans les villes, les rues…
  • Le bois… toujours le bois, impénétrable, hostile, plein de secrets sinistres, fermé autour d’eux comme une poigne cruelle, qu’il faudrait desserrer peu à peu. Peu à peu, année par année, gagnant quelques arpents chaque fois au printemps et à l’automne, année par année, à travers toute une longue vie terne et dure…
  • Mars se traîna en jours tristes. Un vent froid poussait d’un bout à l’autre du ciel les nuages gris, ou balayait la neige. Il fallait étudier le calendrier, don d’un marchand de grain de Roberval, pour comprendre que le printemps venait.

La solitude de la forêt

  • Une fois de plus elle ressentait un effarement tragique en songeant à leur solitude, dont elle ne se souciait guère autrefois. C’était bon quand tout le monde était fort et joyeux et qu’on avait pas besoin d’aide. Mais qu’un peu de chagrin vînt… une maladie… et le bois qui les entourait semblait resserrer sur eux sa poigne hostile pour les priver des secours du monde. Le bois et ses acolytes : les mauvais chemins où les chevaux enfoncent jusqu’au poitrail, les tempêtes de neige en plein avril.
  • Le vent tiède qui annonçait le printemps vint battre la fenêtre, apportant quelques bruits confus. Le murmure des arbres serrés dont les branches frémissent et se frôlent, le cri lointain d’un hibou. Puis le silence solennel régna de nouveau.
  • L’ apparition quasi-miraculeuse10 de la terre au printemps, après les longs mois d’hiver… La neige redoutable se muant en ruisselets espiègles sur toutes les pentes ; les racines surgissant, puis la mousse encore gonflée d’eau, et bientôt le sol délivré sur lequel on marche avec des regards de délice et des soupirs d’allégresse, comme en une exquise convalescence. Un peu plus tard les bourgeons se montraient sur les bouleaux, les aulnes et les trembles. Le bois de charme se couvrait de fleurs roses. Après le repos forcé de l’hiver le dur travail de la terre était presque une fête. Peiner du matin au soir semblait une permission bénie.

L’été dans la forêt du Nord

  • Après cela c’était l’été. L’’éblouissement des midis ensoleillés, la montée de l’air brûlant qui faisait vaciller l’horizon et la lisière du bois, les mouches tourbillonnant dans la lumière. À trois cents pas de la maison les rapides et la chute. Écume blanche sur l’eau noire – dont la seule vue répandait une fraîcheur délicieuse. Puis la moisson, le grain nourricier s’empilant dans les granges, l’automne. Bientôt l’hiver qui revenait. Mais voici que miraculeusement l’hiver ne paraissait plus détestable ni terrible. Il apportait tout au moins l’intimité de la maison close. Au dehors, avec la monotonie et le silence de la neige amoncelée, la paix, une grande paix.
  • Derrière ce terrain, et des deux côtés, c’était le bois qui venait jusqu’à la berge. Fond vert sombre de sapins et de cyprès. Sur ce fond quelques troncs de bouleaux se détachaient çà et là, blancs et nus comme les colonnes d’un temple en ruines.
  • De l’autre côté du chemin la bande de terre défrichée était plus large, et continue. Les maisons plus rapprochées semblaient prolonger le village en avant-garde. Mais toujours derrière les champs nus la lisière des bois apparaissait et suivait comme une ombre, interminable bande sombre entre la blancheur froide du sol et le ciel gris.

Le vert éternel

  • Même l’éternel vert foncé des sapins, des épinettes et des cyprès se faisait rare. Les quelques jeunes arbres vivants se perdaient parmi les innombrables squelettes couchés à terre et recouverts de neige, ou ces autres squelettes encore debout, décharnés et noircis. Vingt ans plus tôt les grands incendies avaient passé par là. La végétation nouvelle ne faisait que poindre entre les troncs morts et les souches calcinées. Les buttes se succédaient, et le chemin courait de l’une à l’autre en une succession de descentes et de montées guère plus profondes que le profil d’une houle de haute mer.
  • Le bois serrait encore de près les bâtiments qu’ils avaient élevés eux-mêmes quelques années plus tôt. La petite maison carrée, la grange de planches mal jointes, l’étable faite de troncs bruts. Entre elles on avait forcé des chiffons et de la terre. Quelques champs déjà défrichés, nus. La lisière de grands arbres au feuillage sombre s’étendait un vaste morceau de terrain que la hache n’avait que timidement entamé. Quelques troncs verts avaient été coupés et utilisés comme pièces de charpente. Des chicots secs, sciés et fendus, avaient alimenté tout un hiver le grand poêle de fonte. Cependant le sol était encore couvert d’un chaos de souches, de racines entremêlées, d’arbres couchés à terre. Elles étaient trop pourris pour brûler, d’autres arbres morts mais toujours debout au milieu des taillis d’aulnes.

Voir aussi :

forêt du nord du Québec

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