L’évolution des sciences infirmières est intimement liée au mouvement féministe
Les Sœurs grises étaient des femmes engagées et avant-gardistes
Au XIXe siècle, la pratique infirmière était considérée comme un prolongement des fonctions de la femme au foyer : soins entourant la maternité, réconfort des malades et don de soi. Mais cette définition ne satisfaisait pas les infirmières. Elles voulaient recevoir une formation spécialisée. Et elles l’ont obtenue : les infirmières ont été les premières femmes à fréquenter l’université au Québec et ailleurs dans le monde.
Si l’Université de Montréal possède une faculté des sciences infirmières, c’est grâce à la détermination de nombreuses femmes, estime du reste Jacinthe Pepin, professeure et directrice du Centre d’innovation en formation infirmière. Elle a cosigné l’ouvrage Les sciences infirmières : genèse d’une discipline avec Yolande Cohen, Esther Lamontagne et André Duquette.
Cette brèche dans le monde universitaire n’aurait pu être ouverte, ajoute-t-elle, sans les femmes les plus avant-gardistes et les plus féministes de l’époque : les Sœurs grises.
L’éducation supérieure et l’initiation aux sciences étaient capitales à leurs yeux, explique Mme Pepin.
Elles ont reçu une formation aux États-Unis et, dès les années 20, elles ont donné des cours universitaires en soins infirmiers à Montréal. »
En 1934, les Sœurs grises fondent l’Institut Marguerite-D’Youville, qui sera affilié deux ans plus tard à l’Université de Montréal.
On trouve leurs protégées surtout en milieu hospitalier. Les religieuses prônaient alors une vision humaniste de la discipline infirmière. L’infirmière prenait soin du corps, surveillait les symptômes physiologiques, mais veillait aussi sur l’âme du malade, mentionne la spécialiste.
D’autres infirmières pratiquent à l’extérieur du giron religieux. On les appelle infirmières hygiénistes. Laïques, elles travaillent dans la communauté. Elles visitent les écoles et soutiennent les plus démunis, signale Jacinthe Pepin. Leur philosophie repose sur l’importance de l’hygiène et des sciences sociales. Elles sont formées à l’École d’hygiène sociale appliquée dès 1925.
En 1962 sera fondée la Faculté de nursing, qui changera de nom 15 ans plus tard pour devenir la faculté que nous connaissons aujourd’hui. C’est Alice Girard, première doyenne à l’Université de Montréal, qui prendra la tête de la nouvelle unité. À la suite d’un important don de sa part, la faculté a créé une bourse postdoctorale qui porte son nom.
Une lutte à poursuivre
Les infirmières ont trimé dur pour accéder aux bancs de l’université, mais il faut savoir que l’obtention du baccalauréat n’est pas obligatoire pour les infirmières québécoises, ce qui n’est pas le cas ailleurs au Canada et en Amérique du Nord.
Un non-sens pour Jacinthe Pepin. Quand j’étais étudiante dans les années 70, il était déjà question de ce dossier qui, depuis, n’est pas encore réglé, se rappelle-t-elle. C’est très frustrant : nous sommes les seules professionnelles de la santé à qui l’on ne demande pas un diplôme universitaire qui prépare pourtant à une pratique interprofessionnelle basée sur des résultats de recherche.
La professeure demeure toutefois optimiste et continue d’espérer que le baccalauréat obligatoire finira par devenir réalité. Les déléguées à l’assemblée générale de 2011 de l’ordre professionnel se sont prononcées en faveur de démarches pour l’obtention du droit de pratique après une formation universitaire. Elle prédit aussi un retour aux sources pour les infirmières. Comme les hygiénistes, nous serons appelées à travailler davantage dans et avec la communauté, en première ligne, même si certaines resteront dans les hôpitaux spécialisés.
Par Marie Lambert-Chan. Texte paru dans la revue Les Diplômés, printemps 2012. Toute reproduction est autorisée à condition de mentionner la source et les auteurs.

Pour en apprendre plus :
- Être infirmière au Québec
- Sœurs grises
- Biographie de Marguerite d’Youville
- Biographie d’Irma Levasseur