Femmes du Quebec

Premières Montréalaises

Premières Montréalaises

Les premières Montréalaises

par Rolande Provencher

Lorsque, le 18 mai 1642, dès le débarquer à Ville-Marie, le Père Vimont célébra la sainte messe, la petite troupe de fidèles qui l’entourait comprenait quelques femmes, et parmi elles, deux chefs de file : Madame de la Peltrie et Mademoiselle Jeanne Mance.

Cependant, plusieurs autres femmes étaient présentes par l’esprit : les bienfaitrices lointaines, qui offraient soit leurs prières, comme la mystique Marie Rousseau, soit leurs aumônes, comme la généreuse Madame de Bullion, celles encore, telles Marie de la Ferre et ses compagnes, qui se préparaient en France, par le soin des malades, à la tâche d’hospitalières qu’elles espéraient accomplir un jour, à Ville-Marie.

À l’époque même où Monsieur de la Dauversière concevait le dessein de fonder un ordre de religieuses hospitalières à Montréal, en Nouvelle-France, une Fléchoise, Marie de la Ferre, était hantée de la même idée. Tous deux échangèrent des confidences et, pendant que Monsieur de la Dauversière mettait sur pied l’organisation de la Compagnie de Notre-Dame de Montréal, Marie de la Ferre, aidée de quelques amies, commençait, à l’hôpital de la Flèche, son apprentissage d’infirmière.

Revenons à l’historique matin du 18 mai 1642, et aux premières Montréalaises. Madame de la Peltrie n’était pas une nouvelle venue au Canada. Elle y était arrivée avec Mère Marie de l’Incarnation, dès l’été de 1639. Cette Madeleine de Chauvigny était une jeune veuve très pieuse, animée du plus vif désir d’évangéliser les sauvages. Aimable et gaie, vive, aventureuse, enthousiaste, entêtée, elle n’avait échappé à sa famille qu’après bien des péripéties.

Aussitôt arrivée à Québec, elle exerça sa charité envers les Indiens, les secourant, s’intéressant sincèrement à eux, à leurs coutumes. Elle fut une précieuse collaboratrice de Mère Marie de l’Incarnation, une aide matérielle et morale. Aussi, l’ursuline fut-elle vraiment peinée de la voir partir pour Ville-Marie, avec Mademoiselle Mance.

L’absence de Madame de la Peltrie ne durera que dix-huit mois. Au bout de ce temps, les autorités la rappelleront à Québec, mais son court séjour à Ville-Marie aura grandement secouru la cité naissante.

Jeanne-Mance sera longtemps seule pour accomplir sa tâche. On connaît peu de son enfance. Née à Langres d’une famille obscure et peu fortunée, elle avait pour tout bien un cœur dévoué et un ardent désir de servir Dieu. Au cours de la guerre de Trente Ans, lors de l’investissement de sa ville natale, elle eut l’occasion d’exercer ses talents d’infirmière, en soignant les blessés. Qui aurait pu alors deviner de quelle utilité lui deviendrait cette expérience? Ce qu’une Florence Nightingale réalisera deux siècles plus tard en Crimée, a eu comme prélude l’œuvre modeste d’une Jeanne Mance à Langres.

Aussi, lorsque les Messieurs de la Compagnie de Notre-Dame de Montréal et Monsieur de Maisonneuve se rendirent compte qu’il fallait pour Ville-Marie une femme de grande vertu en même temps que d’esprit pratique, pouvant servir d’économe et d’infirmière, trouvèrent-ils en Jeanne Mance la personne accomplie.

L’année 1642 s’écoula paisiblement, dans le travail et la prière ; car il ne faut pas oublier que nos fondateurs étaient de véritables Croisés. La nature seule apportait des difficultés; par exemple cette crue des eaux menaçant l’établissement de destruction et à la suite de quoi, pour accomplir son vœu. Monsieur de Maisonneuve porta une croix qui fut élevée au sommet du Mont-Royal. Madame de la Peltrie et Mademoiselle Mance l’accompagnèrent à cette occasion. Dès le printemps suivant, les Iroquois commençaient leurs incursions.

En août, arrivait un peu de renfort. La petite société prenait de l’importance ; elle comptait maintenant, parmi ses membres Monsieur d’Ailleboust, sa femme et sa belle-sœur. Philippine de Boulogne. Le 8 octobre 1644, l’hôpital était achevé. Il fut rempli dès les premiers jours, de sorte que Jeanne Mance écrivait à sa bienfaitrice Madame de Bullion : « Le besoin qu’on en a fait voir la conduite de Dieu dans cet ouvrage. »

Madame de la Peltrie retournant à Québec, Mlle Mance demeurait seule avec ses malades. Il faudra encore 12 ans pour que, par l’arrivée des Hospitalières de La Flèche, s’accomplisse le vœu de Monsieur de la Dauversière et de Mademoiselle de la Ferre.
Le travail devenait de plus en plus harassant et pénible. Aller aux champs était maintenant une action quasi héroïque, à cause des Iroquois. De plus, le climat était un grand ennemi: le vent, la neige et la pluie passaient par les fissures des constructions de fortune; bien des aliments faisaient défaut, les privations étaient telles que pas un enfant ne vécut, durant les huit premières années de Ville-Marie. Les attaques des ennemis devenant plus nombreuses, l’établissement se trouva menacé.

Du côté de la France, on était en pleine Fronde. La mort avait fauché dans les rangs de la Compagnie de Notre-Dame de Montréal, les nouvelles de la colonie devenaient alarmantes. Il n’en fallait pas plus pour mettre en danger l’existence même de la Compagnie. Jeanne Mance ayant eu des échos de la situation, s’embarqua immédiatement.

Ce fut grâce à son courage, à sa rapidité de décision, à sa force de persuasion que l’entreprise montréalaise fut sauvée. Elle fit comprendre aux membres de la Société la nécessité et la possibilité de mener à bien leur œuvre. La Compagnie était réorganisée, avec Monsieur Olier comme président et le chancelier Séguier comme secrétaire. Les affaires terminées. Mademoiselle Mance rejoignait à La Rochelle le vaisseau qui l’y avait a L’ensemble du voyage avait pris trois mois. Quel homme d’état aurait mieux fait, en de pareilles circonstances ?

À Montréal, la situation devenait de plus en plus terrible. Pendant quatre ans et demi, il faudra vivre dans le fort. Et un jour Maisonneuve déclara que si nul renfort n’arrivait, il faudrait abandonner la partie. Jeanne Mance rentra en scène et décida le gouverneur à se rendre lui-même en France chercher du secours. Pour cela, il fallait de l’argent. Et celui de Madame de Bullion ? N’avait-elle pas donné une somme importante pour l’entretien de l’hôpital? Que deviendrait l’hôpital, si l’on ne sauvait Ville-Marie ?

Femme d’affaires. Mademoiselle Mance stipula qu’en échange de cet argent, cent acres de terres déboisées seraient accordées à l’hôpital.

Les démarches de Maisonneuve en France furent extrêmement fructueuses. Il était temps. Montréal était en quelque sorte une ville marche. Elle était une digue, un rempart contre les Iroquois, sa chute aurait pu entraîner celle de toute la Nouvelle- France. L’heureuse collaboration de Jeanne Mance et de Maisonneuve avait sauvé la colonie.

Le 22 septembre 1653, Maisonneuve débarquait à Québec avec des soldats et des ouvriers. Il amenait également une collaboratrice inattendue, dans la personne de Mademoiselle Marguerite Bourgeoys, une Champenoise, amie de ses sœurs, et qui lui avait été présentée par l’une d’elles, religieuse à Troyes. Elle avait accepté de devenir institutrice à Ville-Marie, où il fallait lui avait dit Maisonneuve, « des filles séculières et non cloîtrées qui pussent se transporter où le bien du prochain réclamerait leurs services. »

Quatre ans durant, faute d’élèves, elle habitera le fort même, visitant les Indiens des environs, se rendant immédiatement compte que le besoin le plus urgent était celui de l’enseignement ménager.

Elle retroussa littéralement ses manches, et donna des démonstrations pratiques. Rien ne lui répugnait. Par tous les temps, elle allait accomplir ce que nous appellerions de nos jours un véritable service social. Enfin, l’arrivée de nouveaux colons, la naissance d’enfants viables donnèrent des élèves à Marguerite Bourgeoys. L’école, installée dans une ancienne étable, fut ouverte en la fête de Sainte Catherine de Sienne, le 30 avril 1658.

Mesdemoiselles Mance et Bourgeoys, ces grandes voyageuses, passèrent en France, l’automne suivant, avec, entre autres buts, celui de ramener des collaboratrices, ce à quoi elles réussirent après maintes difficultés. Hospitalières et religieuses enseignantes feront merveille. On juge l’arbre à ses fruits. Quelles paroles pourraient faire un digne éloge de l’Hôtel-Dieu et de la Congrégation de Notre-Dame? La reconnaissance des Montréalais leur est à jamais acquise !

Bien des Montréalaises mériteraient d’être citées : saluons au passage l’héroïque Madame du Clos, la mystique artisane Jeanne le Ber, l’industrieuse Madame de Ramezay, l’ingénieuse Madame de Repentigny ! Et que ne pourrait-on dire de la Montréalaise anonyme, épouse, mère de famille au grand cœur ? Elles ont fièrement œuvré. Elles ont réalisé le type de la Femme forte.

(Rolande Provencher, Professeur à l’École des Sciences Sociales, Économiques et Politiques. Avril 1942).

monument marguerite bourgeoys

Monument à Marguerite Bourgeoys, Vieux-Montréal, rue Notre-Dame. Photo : © GrandQuebec.com.

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