La femme dans le journalisme au Québec
Les carrières féminines
Par Jeanne Métivier (paru dans l’Action universitaire, mai 1935)
Se produit-il une vacance dans le monde – encore petit chez nous – du journalisme féminin ? Il arrive alors une centaine de demandes d’emploi, en grande partie provenant de très jeunes filles. Cela signifie?. . . D’abord que la jeunesse est présomptueuse et puis qu’on ne se fait pas du tout une idée juste du rôle de la journaliste.
Lisez ces lettres de candidates: « Je sais parfaitement le français et l’anglais »… « J’écris assez facilement »… Telles sont les phrases qui reviennent comme un leitmotiv dans ces missives, champs parsemés de fleurs de rhétorique. Or, plus on avance dans la vie journalistique, plus on s’aperçoit qu’on ignore de façon parfois déplorable sa propre langue, à plus forte raison celle d’Albion.
Par miracle, fût-il un être exceptionnel pour lequel ces deux verbes n’eussent aucun secret et dont le style fût un enchantement ? Cela ne voudrait pas dire que cet être, à supposer qu’il soit femme, puisse faire une excellente journaliste, voire une journaliste passable.
Sans doute, on exige de la journaliste une certaine facilité d’expression, un vocabulaire suffisamment étendu ; on l’avertit cependant, dès son entrée au journal, qu’on ne lui demande pas de faire de la littérature. Le journaliste n’est pas un littérateur: il n’en a pas le temps, la journaliste non plus. Certes, c’est un beau métier, le journalisme; mais un métier incontestablement tyrannique si on le considère du point de vue de la vitesse qu’il exige de ses gens. Travailler vite, toujours vite, et le mieux possible. II ne s’agit pas ici de mettre l’ouvrage vingt fois sur le métier ou d’observer aucune direction de l’illustre mais sévère Boileau. La journaliste – reporter, la chroniqueuse, la directrice d’une page féminine quotidienne doit se résigner à soumettre à ses lecteurs le premier jet, sans longues corrections, sans fioritures; elle doit faire en sorte que la tâche de la lire n’exige pas trop de résignation ni d’indulgence de la part du public; car, alors, on s’en lasserait tôt et elle serait classée parmi les ennuyeuses et les monotones.
Elle doit, comme son confrère, être à l’affut des nouvelles. On l’envoie un peu partout, aux réunions d’associations féminines sociales et charitables, aux thés – causeries mondains, aux conférences. Elle en revient avec un carnet bien rempli de caractères incompréhensibles pour des profanes, qu’elle transcrit à toute vapeur le matin pour le journal du soir, ou le soir pour le journal du matin. Tant mieux alors si elle sait la sténographie et si la méthode de la machine à écrire lui est familière: sa tâche sera d’autant moins fatigante. On le lui demande ordinairement, du reste, lors de son engagement.
La journaliste – reporter doit donc accomplir un travail synthétique. Résumer, toujours résumer, voilà sa tâche; et savoir faire ressortir telle ou telle idée principale du discours, de la causerie, des différentes allocutions, des dissertations qu’elle vient d’entendre.
Mais ce n’est pas tout. Il arrive à la journaliste de cumuler la triple fonction à laquelle je faisais allusion tout à l’heure: reportage, chronique, rédaction d’une page féminine quotidienne. C’est pourquoi on exige d’elle une instruction secondaire ou l’équivalent (bien des femmes ont des clartés de tout et jouissent d’une culture enviable sans être pourvues du baccalauréat). 11 lui faut être au courant de tous les mouvements, de toutes les organisations; il faut qu’elle puisse parler à ses lectrices d’un peu toutes sortes de choses, avec le plus possible de connaissance de cause, sans quoi on sera plutôt sceptique à l’égard de son autorité, et on aura raison de l’être. La journaliste ne doit donc pas cesser de s’instruire, de se cultiver, ce qui lui est assez facile; car elle vit plus intensément que la plupart des autres femmes.
L’ambiance du milieu où elle évolue, les occasions multiples d’assister aux spectacles les plus intéressants et les plus rares qu’offre une grande ville comme Montréal, sont autant de choses qui l’alimentent et augmentent ses connaissances; sans parler de ses nombreuses lectures.
Une préparation excellente serait de fréquenter l’École de Journalisme de l’Université de Montréal, qui fonctionne de septembre à mai. M. Georges Pelletier y donne un cours tous les jeudis soirs, sur la rédaction, l’administration et la facture des journaux; M. Noël Fauteux, sur l’Histoire du journalisme; et M. Adélard Leduc donne dix leçons sur le journalisme et la législation d’un journal.
Ces cours sont d’une haute portée intellectuelle, pratique et documentaire et nous encourageons fortement celles qui se destinent au journalisme à les suivre, afin d’être plus aptes à remplir convenablement le beau rôle qu’elles s’assignent de plein gré et qu’elles doivent prendre au sérieux.
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Car le journalisme doit être considéré, par celle qui en exerce les fonctions, plus que comme un métier: comme une vocation. La tâche de la journaliste ne doit pas se borner à émettre des sentimentalités, à écrire des chroniquettes où la poésie a plus de part que le sens pratique. Il importe qu’elle laisse au poète sa poésie, au littérateur ses belles phrases. Et aussi au prédicateur ses sermons. Elle usera de tout son tact pour moraliser sans en avoir l’air. Un ton prêcheur ne plaît jamais; un ton badin, au contraire, a un petit goût de revenez-y qui incite le lecteur à lire régulièrement celle qui l’adopte. La femme journaliste fera appel à toutes ses ressources et ne devra pas hésiter à donner le meilleur d’elle-même à cette foule invisible qui fait de ses paroles son aliment spirituel quotidien.
Pour cela, elle observera beaucoup autour de soi. La multitude anonyme qu’elle croise chaque jour dans le tramway, dans la rue, lui fournira souvent, si elle se donne la peine d’examiner et de réfléchir, matière à dissertation. L’indiscrétion lui est permise; bien souvent des conversations qu’elle suit, en chemin de fer, au théâtre, au restaurant, lui révèlent de petits ou de grands travers humains inconnus d’elle et de ses lectrices: elle en fera part à celles-ci et les mettra en garde contre eux. D’autre part, les confidences qu’elle reçoit de temps à autre lui donnent aussi une expérience dont son public lecteur bénéficiera également.
Il ne faut donc pas croire, comme on nous l’a déjà insinué, que les journalistes et les romanciers se racontent généralement eux-mêmes.
Non. L’expérience des autres les sert beaucoup plus que leur expérience personnelle. Les journalistes, hommes et femmes, sont le plus souvent gens simples, plutôt spectateurs qu’acteurs sur la boule ronde, et dont la vie intime est toute unie. Aussi bannissent-ils le plus possible l’égoïsme avec son je trop personnel et deviennent-ils, à mesure qu’ils avancent dans leur belle carrière, des altérocentristes. Pour la femme, c’est facile: elle est naturellement portée au dévouement.
Le sort de ses sœurs passionnera la journaliste; par ses suggestions appropriées, elle tentera constamment de l’améliorer dans les domaines moral, physique, individuel, social. Elle ne devra pas perdre de vue sa mission, qui est d’orienter, et ne pas oublier, comme le dit si bien Alfred Michelin dans les Etudes, que « le journaliste catholique a de grands devoirs, plus grands encore que ceux de ses confrères, puisqu’il sait la valeur des âmes et vers quelles destinées il doit les conduire ».
L`Action universitaire, vol.1, n.6, mai 1935.
