Femmes du Quebec

Diplômées de l’UdeM

Diplômées de l’UdeM

Diplômées de l’Université de Montréal

(l’article paru dans la revue L`Action universitaire, en avril 1935)

L’heure est aux rétrospectives ! Aussi ne se passe-t-il pas de jours, de semaines, sans que les milieux littéraires, artistiques, scientifiques ne nous présentent les œuvres de tel écrivain, de tel savant ou de tel peintre. Groupées, étiquetées, ces œuvres sont les témoins éloquents d’une époque, d’un pays, d’une puissance créatrice individuelle. Les contemporains ont, grâce à ce mode, à portée de la main, l’histoire d’une vie, d’un effort.

C’est un peu à ce titre-là que ces quelques lignes seront écrites en marge de la culture féminine universitaire depuis une quinzaine d’années à Montréal. Le retour dans le passé ne sera pas très compliqué, ni très ardu, puisqu’il ne s’agit que de dresser le bilan des études suivies par les femmes depuis 1920 dans les grandes Facultés. Il ne sera pas question des écoles annexes, ni des certificats, attestations etc. Nous nous limiterons aux titres de licence et de doctorat.

L`Université de Montréal compte une trentaine de ces diplômées. Couché sur du papier, c’est un nombre qui n’impose, pas, mais en tenant compte de la relativement courte organisation de l’Université de Montréal et de plusieurs autres facteurs, ce témoignage numérique est de la plus haute importance dans l’histoire fie l’enseignement supérieur chez nous.

À la suite de ce bref exposé qui ne se targue d’aucune école ou doctrine et qui n’a que le mérite de présenter des faits, féministes ou non, les amis de l’Université pourront tirer leurs propres conclusions.

Ce nombre de trente licenciées ou docteurs est d’autant plus élevé quand on s’arrête à consulter les dossiers de l’enseignement secondaire ou classique dans la Province de Québec.

Cet enseignement n’existe pour les femmes que depuis vingt-cinq ans. Aussi l’impulsion donnée par la fondation d’un collège classique féminin par la Révérende Sour Ste Anne-Marie, dès 1908, devait susciter un intérêt pour ainsi dire national, puisque les Canadiennes catholiques, françaises et anglaises, soucieuses de poursuivre des études de culture générale, allaient trouver un institut organisé à leur intention, par une femme appartenant à la glorieuse lignée de la première éducatrice au Canada, Marguerite Bourgeoys. Cette initiative était chaleureusement appuyée par un prélat distingué.

Monseigneur Paul Bruchesi, à ce moment Chancelier de l’Université de Montréal. Cette école se proposait d’offrir les facilités d’études du baccalauréat ès-arts aux jeunes graduées des couvents.

C’était, certes, une innovation dans toute la force du mot. Le siècle qui venait de naître balbutiait encore, un courant d’indépendance jetait à bas les barrières conventionnelles, en d’autres mots, le soleil luisait pour tous et chacun, aussi bien pour l’homme que pour la femme. À cette époque, Marcel Prévost écrivait: « La femme reprend par devers soi le souci de son bonheur au lieu de le confier à l’homme« .

L’illustre écrivain exprimait les tendances de ce jeune siècle. Le mariage n’était plus la seule carrière à laquelle la jeune fille devait tendre. Le dérivatif, le palliatif allait se trouver dans l’étude. C’est encore Marcel Prévost qui définit ce genre d’intellectualité: « Le but de l’enseignement secondaire est de mettre l’esprit de l’élève en état de culture, non pour le temps de l’enseignement mais pour la vie« .

Qu’était cette innovation ? Surtout, l’étude des langues. Le latin, le grec n’avaient jamais été officiellement abordés par les Canadiennes françaises. Les langues vivantes, très peu. Une difficulté surgit dès le début; le grec fut défendu aux femmes et bien des bachelières reçurent leur titre après avoir substitué une langue vivante (l’allemand, l’italien ou l’espagnol) au grec. La subtilité hellénique n’était pas considérée digne d’elles. Mais ce cas réservé disparut assez tôt, grâce à Dieu, et nos jeunes filles furent bachelières ès-arts au même titre que les jeunes gens. La porte était ouverte pour franchir le seuil de l’Université.

Des préjugés, des frayeurs entretenues par des éteignoirs, des grincheux et des anti-féministes devaient empêcher néanmoins plusieurs bachelières de s’acheminer vers la rue St-Denis. La première offensive fut faite par une très jeune fille qui, vers 1922, obtenait sa licence de culture à la Faculté des lettres. Depuis, elle est allée rejoindre le personnel enseignant du Collège Marguerite Bourgeoys où elle contribue à à la formation de la jeunesse féminine avec une compétence rare, doublée d’un magnifique esprit d’apostolat. Plusieurs aînées qui l’avaient devancée à la communauté n’ont pas hésité à entreprendre ces études et à les mener de front avec leurs lourdes tâches d’éducatrices. C’est une garantie morale et sociale que de savoir notre enseignement féminin classique dirigé presqu’en entier par des professeurs licenciés de l’Université, soit en lettres, en sciences ou en philosophie. Savons-nous assez en apprécier le mérite, la valeur et la répercussion ?

La Faculté de philosophie compte aussi quelques licenciées. Plusieurs seront étonnés d’apprendre que c’est la Faculté la plus achalandée après les lettres. Ainsi, pour cette année 1934-35, les lettres comptent 214 inscriptions de femmes, la philosophie 33, les sciences environ 25. Quelques-unes des Diplômées en sciences se sont déjà distinguées dans des carrières intéressantes. L’une d’elles est attachée à un laboratoire provincial, une autre au laboratoire de recherches de Ste-Justine ; de plus, cette jeune chimiste poursuit ses études de médecine tout en accomplissant son travail régulier.

Une troisième conduit en ce moment une recherche délicate sur les réactions toxiques du plomb à l’Institut neurologique à McGill ; enfin, et j’en passe, plusieurs enseignent soit au Canada ou aux États-Unis, dans des instituts de culture supérieure. À la Faculté des sciences on compte environ huit licenciées (femmes) et soixante licenciés (hommes). Une proportion très encourageante pour ceux qui préconisent les études supérieures féminines. L’art dentaire se glorifie de deux diplômées, la pharmacie de quatre bachelières, le droit de deux avocates qui font de la cléricature et secondent bien leurs collègues dans des bureaux très bien cotés à Montréal. Et la médecine ? Une seule est diplômée et s’est spécialisée en neurologie après des études complémentaires à Paris, à la Salpêtrière. Probablement, parce que les années d’études sont très longues, que les femmes ont été peu encouragées, la médecine reste le choix rare de quelques Canadiennes françaises.

La présidente de la Fédération Internationale des Femmes-médecins, Madame le Dr Thuillier-Landry, de Paris, déclarait récemment: « Oui, c’est un très beau métier pour les femmes, car il offre un intérêt intellectuel, un intérêt professionnel et le plus vaste intérêt social, celui pour la femme qui compte le plus ». Nous pourrions adresser ces paroles aux femmes avocates qui n’ont pas la permission d’exercer. Quel bien, quelles réformes de législation, elles seraient en mesure d’apporter à la codification, à l’application de nos lois provinciales pour la protection des mineurs, de la femme mariée trop facilement lésée à l’heure actuelle; leur influence pourrait pénétrer jusque dans les cours juvéniles et matrimoniales où il y a tant à faire pour le redressement social. Et d’ailleurs, ce ne sera toujours que l’élite qui sacrifiera les plaisirs mondains à l’étude prolongée et spécialisée universitaire. Il n’y a pas raison de s’alarmer, même en temps de crise économique, de chômage, car j’emprunte encore à Marcel Prévost un mot plein de vérité et de bon sens: « Une femme fait, si l’on ose dire, autrement la même chose qu’un homme« .

Préconisons les études supérieures pour les femmes qui en ont le désir et que les circonstances n’ont pas vouées au mariage.

Notre pays, si jeune, en voie de formation, a besoin de volontaires intellectuels féminins s’il veut être digne de recevoir « in toto » l’héritage unique de la civilisation latine. L`Université de Montréal est un flambeau, sa devise d’ailleurs nous l’apprend : Fide splendet et Scientia. Sachons en faire profiter notre société canadienne en lui confiant nos filles et nos fils.

Les Diplômés vol 2, 5 avril 1935

ecrivaine

Illustration de Les Diplômés, avril 1935. Image libre de droit.

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