
Le courrier d’Odette
Inutile sacrifice
Une jeune fille a-t-elle les droits sur un homme qui l’a fréquentée pendant huit ans puis la quitte insensiblement pour une autre ?
Question : J’approche de la trentaine. Pendant plus de huit ans, un jeune homme, qui a à l’heure actuelle 35 ans, m’a fréquentée sérieusement. Depuis un an, je trouvais que ses manières n’étaient plus les mêmes et voilà que l’apprend qu’il fréquente une autre jeune fille de 23 ans à peine, et qui travaille dans le même bureau que lui. Nous devions nous marier il y a trois ans, mais j’ai perdu mon père et j’ai dû demeurer avec ma mère pour lui permettre de laisser mon jeune frère terminer ses études. Mon ami est en état de se marier et je le suis largement moi aussi, mais de plus en plus je rends compte qu’il cherche des prétextes pour rompre, visiblement pour sortir avec cette autre jeune fille. A-t-il- le droit de m’avoir ainsi fait perdre la plus belle partie de ma jeunesse pour ensuite, me quitter et faire sa vie avec une autre ?
Réponse : Hélas, chère Mademoiselle, les hommes sont souvent ainsi. Ce n’est pas pour rien que les prêtres se déclarent contre les interminables fiançailles qui ont un double danger, le premier, celui que vous devinez, le second, celui de voir un des deux amis se fatiguer de l’autre et le quitter après lui avoir fait perdre le plus clair de ses belles années. Évidemment, en principe, une jeune fille a des droits sur l’homme qui l’a fréquentée officiellement pendant si longtemps et lui a ainsi fait perdre des chances de rencontrer d’autres jeunes gens qui auraient été capables de lui offrir le mariage dans un plus court délai. Mais à quoi vous servirait-il d’obliger cet homme à tenir sa parole s’il ne vous aime plus ?
Quel bonheur pourrait vous donner ce mariage contracté dans de pareilles conditions ? On ne mène pas de force un homme à l’auteur et il a infiniment plus de dignité à laisser aller celui qui n’aime plus qu’à s’accrocher à lui. Et puis, vous connaissez la nature humaine (je veux dire masculine). Plus votre ami se rendra compte que vous voulez le voir hâter le mariage plus il se sentira attiré vers l’autre jeune fille qui lui semblera d’autant plus désirable qu’elle n’en parlera pas tout de suite. Je sais bien que ce n’est pas drôle et que vous allez vous sentir seule, mais il me semble qu’à votre place je mettrais le marché en mais à cet homme qui doit savoir où il veut en venir après huit ans. Le mariage ou la liberté. S’il choisit la liberté, et bien bonsoir ! Ne lui montrez pas vos larmes. Cachez-les à tout le monde. Soyez digne, calme, tranquille et ne parlez jamais de lui à personne, ni en bien, ni en mal. Le mariage est déjà un gros risque quand deux jeunes gens s’aiment beaucoup, figurez-vous ce qu’il peut être quand l’un des deux ne trouve plus que l’autre a de l’intérêt. Je vous le répète, ce sera peut-être dur pour vous, mais vous n’êtes pas perdue, à trente ans et vous retrouverez certainement un autre ami et cette fois, n’éternisez pas les fiançailles. Mariez-vous dans un laps de temps raisonnable. Qui sait même si ce n’est pas là une bonté cachée du Dieu qui veut vous récompenser des sacrifices que vous vous êtes imposés par les vôtres. Cet homme n’aurait peut-être pas fait votre bonheur, tandis qu’un autre vous rendra parfaitement heureuse. On est contrariés quelquefois parce qu’on ne comprend pas. Mieux vaut faire confiance à la Providence.
(Courrier d’Odette, journal Le Canada, 23 décembre 1943).

Poupées Barbie, habillées comme dans les années 1940. Photographie de GrandQuebec.com.
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