Courrier d’Odette – 17 décembre 1944

La terrible période d’après vingt ans de mariage

Question : Je suis mariée depuis 23 ans à un homme qui j’aimais de tout mon cœur malgré toute la peine de deux filles. Mon mari m’a toujours trompée. J’ai connu ses amies qui venaient même à la maison. L’avenir me fait peur. Que deviendrais-je si mon mari mourait avant moi? Le courage me manque. Je n’ai que 43 ans, je suis capable de travailler. Ne serais-je pas mieux de penser à mon avenir avant qu’il ne soit trop tard ? J’ai tout essayé, tout est inutile. Ma croix est lourde. Je ne sais si je pourrai endurer encore longtemps.

Mater Dolorosa.

Réponse : Pourquoi me dites-vous de ne pas rire de vous, chère Mater Dolorosa ? M’avez-vous-jamais vue me moquer des véritables détresses ? Tout au contraire, nous allons, si vous le voulez bien, étudier ensemble votre problème et tâcher de trouver une solution.

Tout d’abord, laissez-moi vous dire que celle que vous envisagez, partir et travailler est la plus impracticable de toutes. On dit bien cela, quand on a l’esprit échauffé par la colère et même par le chagrin, mais si vous saviez comme c’est peu réalisable. Vous ne seriez pas partie et installée (où, dans une chambre meublé ?) que vous vous intinéteriez de savoir ce qui se passe chez vous, dans votre maison, ce qui font les enfants, comment ils s’arrangent et ce que pense aussi cet ingrat mari. Aussitôt, vous reviendriez et vous perdriez ainsi tout prestige. Se serait une embardée et je nouv le conseille pas. Ce n’est ni possible ni raisonnable. Il vaut mieux chercher autre chose. Hélàs, très souvent, après quelques vingt ans de mariage, il arrive que l’amour du mari décline.Que voulez-vous, les hommes sont tellement différents de nous.

À 43 ans, un homme est encore jeune, et même à 45, il est dans la force de l’âge alors qu’une femme du même âge commence à se ressentir des fatigues endurées au cours de la vie : maternité, soins des enfants, travail quotidien, toujours si pareil à lui-même. Elle ressent alors une lassitude qu’elle ne songe pas, tant elle est indéfinissable, à soigner dès ses premières menaces. La femme de 43 ans se sent parfois lasse à mourir, irritée sans cause, abattue sans avoir rien fait et si elle n’a pas une volonté de fer et une lucidité parfaite sur elle-même, sans s’en rendre compte, elle rend la vie impossible aux siens, faisant une montagne d’un grain de sable, un d’une goutte d’eau et se rendant parfaitement malheureuse, d’autant plus qu’elle fait des reproches que les enfants accueillent mal, justement parce que, comme leur père, ils ne peuvent comprendre ce qui se passe dans cet organisme féminin à la veille de changer du tout au tout. Savent-ils, les garçons adolescents que leur mère a besoin de repos et de tendresse ? Le comprennent-elles, ces jeunes filles qui ne savent pas encore tout ce que peut endurer une femme ? Peut-il l’admettre, ce mari qui ne peut pas arriver à comprendre que la compagne qu’il a connue si gaie, si charmante si près de lui soit à présent fatiguée et aspire au repos ? Non ! Aussi, au lieu de l’aider, ils lui envoient des paroles amères. Au lieu de la soigner moralement, ils lui font encore plus de peine. Et le fossé s’élargit entre la femme et le mari, la mère et les enfants. Ne pensez plus à faire un coup de tête comme une fille de 16 ans qui veut « vivre sa vie » comme le dit l’héroïne du dernier roman qu’elle a lu. Vous savez bien que même si votre mari mourait avant vous, vos enfants ne vous laisseraient pas dans la rue, ou bien alors c’est qu’ils manqueraient totalement de cœur et c’est un défaut d’éducation.

Faites-vous soigner pour passer sans heurts trop violents la période difficile qui vous travaille. Dites-vous bien que rares sont les femmes de votre âge, mariées depuis tantôt 25 ans et mères de grands enfants qui ne passent pas par les mêmes angoisses, n’aient les mêmes doutes, les mêmes souffrances. Elles se soignent et avec la santé revient la sérénité. Il faut tenir et mettre toute votre volonté à garder votre foyer, en, dépit des torts graves de votre mari.

Oubliez tout ce qu’il vous a fait. Le temps est, un si grand médecin. Laissez-le panser vos blessures et ne vous en faites pas d’autres. Suivez mon conseil, faites-vous soigner. Cela vous sera d’autant plus facile qe vous n’êtes pas pauvre. Et vous verrez que l’avait raison. L’heure viendra aussi pour votre mari des cheveux blancs et de l’aspiration au repos. La vie n’est pas faite que de jeunes années. Je vous souhaite la paix, de l’âme et de cœur.

(Journal Le Canada, mercredi, 27 décembre 1944).

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Courrier d'Odette
Courrier d’Odette. Illustration : GrandQuebec.com.

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