Le Collège Marguerite-Bourgeoys
Par Gabrielle Labbé
Au mois de mai 1908, les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame priaient l’archevêque de Montréal de les autoriser à ouvrir, dans sa ville épiscopale, la première école d’Enseignement supérieur pour les jeunes filles.
Le 16 juin, Monseigneur Bruchési répondait à la Mère Sainte-Euphrosyne, directrice générale des Études, qui avait fait la demande officielle au nom de la Communauté. Il approuvait entièrement le projet et désirait qu’il fût mis à exécution à l’automne de cette même année. « Les jeunes filles, écrivait-il, élargiront ainsi le champ de leurs connaissances, sans sortir de la sphère que la Providence leur a assignée, elles se mettront en état d’exercer une salutaire influence dans le milieu où elles seront appelées à vivre.
La vraie science, la science chrétienne ne sera jamais nuisible à personne. Elle contribuera, au contraire, à former des femmes fortes comme notre société en réclame ». Citant Alfred Nettement, l’archevêque ajoutait : « Il faut élever les femmes pour le rôle qu’elles auront à remplir à leur foyer, dans la société, dans la vie enfin; ces fonctions sont grandes, importantes, nombreuses, non seulement au point de vue domestique, mais au point de vue social.
N’a-t-on pas dit souvent : Si les hommes font les lois, ce sont les femmes qui font les mœurs ? »
Le 8 octobre donc, dans la vaste salle de la Maison-mère de la Congrégation de Notre-Dame, devant un auditoire nombreux et sympathique, Monseigneur Gauthier, qui était alors le chanoine Gauthier, présentait une nouvelle filiale aux autorités de l’Université Laval.
Dès le lendemain, sous la direction immédiate de Mère Sainte-Anne-Marie, l’École ouvrait ses portes à de nombreuses jeunes filles, désireuses de poursuivre leur formation intellectuelle et morale. On allait de l’avant avec confiance. Tant d’encouragements étaient venus aux fondatrices de tous les points de notre province !
Il est intéressant, en effet, de feuilleter les archives de l’époque, et de constater avec quelle clairvoyance les évêques du Canada, ont compris l’opportunité d’une telle fondation. Ils ne ménagent ni leurs encouragements, ni leurs éloges à ce qu’ils considèrent comme une œuvre de haute portée éducationnelle et nationale. Les chefs politiques font de même. Tous comprennent que cette École comblera une lacune réelle et répondra à un besoin rendu plus urgent par les initiatives de McGill et des universités américaines.
Les esprits sérieux et réfléchis, qui d’une part ont observé les tendances, les aspirations, les besoins nouveaux et de la société et d’autre part l’importance du rôle que la femme est appelée à y jouer, restent convaincus de la nécessité de ces études pour les jeunes filles, que leurs ressources matérielles, leurs relations sociales, leurs aptitudes et leur goût d’une plus haute culture, poussent, comme par une pente naturelle, vers un champ d’action plus étendu.
Le but de l’institution est clairement défini : on veut donner au pays des chrétiennes d’élite, et, pour ce faire, inculquer aux élèves de l’École des convictions religieuses éclairées, pousser plus avant leur culture et leur laisser, pour les années à venir, des habitudes d’esprit sérieuses.
C’est à la Maison-mère de la Congrégation, rue Sherbrooke Ouest, que l’École d’Enseignement supérieur établit d’abord ses quartiers. Les premières élèves peuvent dire quel bonheur elles ont goûté dans cette maison où l’on savait leur donner si largement l’hospitalité. L’heure vint pourtant où il fallait laisser le calme monastère.
En 1913, Mère Sainte-Anne-Marie, tout en demeurant directrice de l’École, était devenue Maîtresse générale des Études de la Communauté. Son zèle pour les choses de l’éducation et son esprit d’initiative lui avaient fait entreprendre, en 1916, une œuvre à laquelle son nom restera attaché tout comme à celle du premier Collège catholique féminin de notre province. Nous voulons parler de l’Institut pédagogique : école normale supérieure, ouverte à l’intention des institutrices religieuses et laïques, tant anglaises que françaises de la Province de Québec et d’ailleurs.
En 1926, les deux institutions très prospères réclamaient un local. Grâce à l’appui intelligent et généreux du gouvernement de Québec, un édifice d’une architecture très sobre et d’une allure toute classique s’éleva sur l’avenue Westmount; c’est là que va loger l’École d’Enseignement supérieur des jeunes Filles qui s’appellera désormais : le Collège Marguerite-Bourgeoys.
Au frontispice du « palais blanc », comme on se plaît à désigner la nouvelle construction, on lit ces mots : Institut pédagogique de Montréal.
C’est que dans cette maison se rencontrent deux sections bien distinctes : l’une proprement pédagogique, l’autre classique. Les cours de la première section conduisent, après deux années d’études, à l’obtention du brevet supérieur en pédagogie. Mais l’élève veut-elle obtenir un degré universitaire : baccalauréat, licence ou doctorat en pédagogie, il lui faut obtenir d’abord le baccalauréat ès-arts au Collège Marguerite-Bourgeoys, qui est précisément la section classique de l’Institut.
Pour préparer les jeunes filles au baccalauréat de la Faculté des arts, le Collège Marguerite-Bourgeoys a adopté le programme des quatre dernières années des collèges de jeunes gens : belles-lettres, rhétorique, philosophie junior et senior. Maints sceptiques se demandent où les élèves ont bien pu recevoir la préparation suffisante pour entrer en belles-lettres ou en rhétorique. L’explication est facile. Le Cours de lettres – sciences, organisé et sanctionné par l’Université de Montréal, est suivi dans plus de trente maisons affiliées à l’Université et correspond aux quatre premières années des collèges classiques.
En arrivant à « Marguerite Bourgeoys », l’élève ne fait donc que continuer le cours commencé dans son couvent.
Plus de vingt-cinq ans sont passés depuis la fondation du Collège. Son activité va toujours croissant. La musique et les arts du dessin y sont maintenant enseignés par des professeurs des Beaux-Arts et de l’École normale de musique de la Congrégation de Notre-Dame. La section ménagère attire chaque année plus de cent dames et jeunes filles.
Mais, fidèle aux directives qu’il s’est imposées, le Collège demeure avant tout un foyer idéal de haute formation.
Cela, grâce à une femme, extraordinaire, disons-le, chez qui les dons éminents de l’esprit sont joints aux plus rares qualités du cœur, grâce aussi à l’élite véritable qui l’a secondée. Agassi : disait : « Le contact même très bref d‘un homme de profond savoir, en n’importe quelle matière, vaut mieux que des mois de leçons avec un professeur qui n’en sait guère plus que ce qu’il s’efforce d’enseigner. Les premiers collaborateurs de Mère Sainte-Anne-Marie furent des savants et des pédagogues.
La tradition s’est conservée et s’il vous plaît de visiter le Collège Marguerite-Bourgeoys, la culture générale, la compétence évidente, la modestie et la bonne grâce des religieuses qui se feront vos cicérones vous convaincront aisément, que, en dépit de certains préjugés, ce ne peut être dans cette maison qu’on forme les « pédantes », ridiculisées par Molière. L’instruction qu’on y donne est bien plutôt le meilleur préservatif contre la suffisance parce que, bien comprise et bien conduite, elle développe toujours harmonieusement, le sentiment, l’imagination et le jugement.
Entendons-nous cependant; la jeune fille qui est devenue bachelière est une jeune fille perfectionnée mais non parfaite, et il faudrait vraiment manquer d’esprit pour mettre sur le compte de son parchemin, toutes ses imperfections ; je voudrais, d’ailleurs, qu’on me citât une seule personne que le baccalauréat aurait amoindrie.
Son Excellence Monseigneur Gauthier, que personne, assurément ne taxera d’être féministe à outrance, disait dans le magnifique discours prononcé à l’ouverture des cours de l’École :
« Je sais que l’on est porté quand il s’agit de l’enseignement supérieur des femmes à craindre que nous ne sortions imprudemment la femme de son rôle. Que cette opinion soit celle d’un Montaigne ou d’un Joseph de Maistre, elle n’est qu’une solennelle erreur. La vraie doctrine est plutôt celle d’un Monseigneur Dupanloup : « Tous les dons reçus de Dieu pour servir à quelque chose doivent être cultivés; l’Écriture le déclare : Les âmes, comme la terre, quand on les laisse en friche ne produisent que des fruits sauvages. »
Dieu n’a pas plus fait les âmes de femmes que les âmes d’hommes pour être des terres légères, stériles et malsaines. Où serait la vraie notion de l’éducation, si la femme n’avait pas comme l’homme le droit d’affermir, de développer et de mettre en œuvre ses qualités; si la femme ne pouvait autant que l’homme, dans la sphère qui est la sienne, réclamer le droit d’avoir un esprit ouvert, capable d’idées précises, de jugements droits et fermes ? »
Et quels immenses services cette culture peut apporter à la jeune fille ! Elle l’éloigné des futilités, lui apprend qu’il y a quelque chose de plus noble dans le monde que les plaisirs de la société. La jeune fille instruite risque moins d’ennuyer par la banalité de sa conversation, elle ne s’expose pas à pérorer de tout sans discernement, à juger des questions les plus complexes sans lumières suffisantes, à compromettre les bonnes causes faute de connaissances assez étendues. Elle découvre la véritable échelle des valeurs dans la vie et développe en elle l’initiative et l’esprit de méthode.
À tous ceux qui prétendent que ces avantages sont des abstractions, que le cours classique n’est pas pratique pour les jeunes filles et qu’il peut même compromettre sérieusement leur avenir, je ferai remarquer que sur 250 élèves graduées du Collège Marguerite-Bourgeoys, dont quarante pour cent n’ont pas encore trente ans, cinquante sont mariées, soixante-dix sont religieuses et soixante ont obtenu d’excellentes situations.
On admet sans doute l’utilité des études même supérieures pour celles qui se livrent à la noble vocation de l’enseignement. Mais à quoi bon ces études pour les autres ?
À quoi bon ?… Mais n’importe-t-il pas à l’épouse de plaire à son mari par quelque chose de plus durable et de moins fragile que des grâces de surface qui ne suffisent pas à former un intérieur attachant. « Toute épouse vraiment épouse, écrit Ernest Legouvé, a pour carrière, la carrière de son mari ». Ce qu’une femme peut rêver de plus doux, il me semble, c’est d’être la confidente intelligente du compagnon de sa vie, c’est de devenir au besoin sa coopératrice discrète. Pourquoi s’obstine-t-on à redouter chez la femme instruite le bas-bleu encombrant, la rivale importune ou la suffragette emballée ?
Et cette épouse, un jour, sera mère. Qui dira jamais l’influence d’une femme de bien, riche des dons de la science, sur le grand fils ou la grande fille dont l’esprit aussi bien que le cœur est en évolution ?
Favoriser, encourager la haute culture chez la jeunesse féminine serait, de plus, un excellent moyen de préparer des ouvrières de mieux en mieux outillées pour toutes les œuvres sociales qui réclament notre dévouement et notre activité.
Si tous les diplômés de l’Université, dont l’influence dans notre province n’est pas discutable, étaient convaincus de la légitimité, de l’opportunité, voire même, en certains cas, de la nécessité de la culture que dispense à nos jeunes filles canadiennes le Collège Marguerite-Bourgeoys, s’ils exprimaient ensuite leur opinion en renversant les préjugés, ils serviraient une noble cause, et travailleraient efficacement au bien de l’Église et de la patrie canadienne.
L`Action Universitaire, vol.2. numéro 4, mars 1936.

Voir aussi :
- Congrégation Notre-Dame
- Biographie de Marguerite Bourgeoys
- Canonisation de sainte Marguerite Bourgeoys
- Congrégation Notre-Dame au Japon
- Congrégation Notre-Dame en Amérique centrale