Ceux qui ont vu l’ours
Ils sont rentrés avec des caisses de vidéo-cassettes et de films, mais surtout avec le sentiment d’avoir vécu l’expérience de leur vie, d’avoir approché, comme nul autre humain, Sa Majesté, l’ours polaire.
L’ours s’est même reposé devant la caméra, qui continuait de le filmer, après avoir examiné et senti ce joujou insolite.
« Extraordinaire ! Un pays grandiose! Que puis-je te dire de plus? Répétait Marc Blais, les traces de légères engelures traversant la barbe de l’explorateur, qui avait finalement vu le monstre sacré des glaces dans son univers naturel.
C’est avec quatre inuit, trois chasseurs et un interprète que la petite équipe cinématographique a vécu, cette semaine, une fabuleuse expérience sur l’île Howse, une des quinze composantes de l’archipel Les îles Ottawa, à quelque 200 kilomètres de Povungnituk, dans la baie d’Hudson. Le gîte dans l’igloo et le menu de circonstance (le caribou cru, le phoque et le pain sans levure appelé banik) rendaient total le dépaysement.
Les guides ont repéré l’ours, un adulte de cinq ou six ans pesant environ 800 livres, sur la banquise. La bête s’est ensuite réfugiée dans la coulée d’une falaise de l’île Howse. Couverte par les chasseurs inuit, l’équipe de tournage s’est approché à 200 mètres et on a installé la caméra sur une butte, aux premières loges pour admirer l’objet de convoitise.
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« Il n’avait pas l’air affamé. Il se reposait tranquillement. Puis il a descendu la falaise, s’approchant à une trentaine de mètres de nous. Il semblait se diriger vers une autre falaise, quand tout à coup il nous a regardé et foncé vers la caméra », raconte Reynald Bellemarre, le caméraman qui a alors tout abandonné et fui en bas de la butte de tournage.
Le photographe Pierre Dunnigan posté à une centaine de mètres plus loin, pensait que la bête allait dévorer l’équipement. La terrible vedette s’est heureusement contentée d’examiner et de sentir micro et caméra, avant de se coucher devant l’appareil, qui continuait de la filmer, et de reprendre sa route vers la coulée où il se destinait tout d’abord.
Pendant quatre ou cinq secondes, l’équipe de tournage a eu la frousse. « Il ne faut pas oublier que l’ours blanc est le seul qui attaque sans provocation », rappelle Marc Blais, qui n’oubliera pas de sitôt sa rencontre avec le roi des glaces. « J’avais vu ses traces et l’avait senti partout, mais maintenant je sais pourquoi les inuit lui vouent un respect quasi-religieux », ajoute l’explorateur, qui en était à sa septième excursion dans le Grand-Nord.
(Texte publié le 27 mars 1993).