Les insectes piqueurs : Une très mauvaise réputation
Les moustiques piquent, les mouches mordent, les chercheurs… se grattent la tête pour essayer de les contrôler
Je confesse que si je soupçonnais Dieu de vouloir employer les moustiques comme l’unique instrument de son châtiment pour les impies, je devrais craindre l’idée du châtiment éternel tout autant que je le crains actuellement », écrivait le colon Talbot au début du XIXe siècle. Dès les débuts de la colonisation du Québec, les insectes piqueurs ont fait la vie dure aux colons et au bétail. Aujourd’hui encore, les Québécois ne prisent guère les maringouins et les mouches à chevreuil.
Le Québec possède 55 espèces différentes de moustiques, dont une trentaine piquent les humains, et environ 80 espèces de mouches noires, dont une trentaine peuvent nous mordre. Les deux groupes d’insectes se développent dans des environnements aquatiques : les moustiques en eau stagnante, et les mouches noires en eau vive bien oxygénée.
« Nous connaissons maintenant très bien l’écologie des insectes indigènes du Québec », indique Jean-Pierre Bourassa, un des membres fondateurs du Groupe de recherche sur les insectes piqueurs (GRIP) de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Depuis sa fondation en 1972, le GRIP a effectué de nombreuses recherches en vue de baliser la lutte biologique contre les insectes piqueurs. Une de ses principales réalisations : une cartographie des habitats favorables aux moustiques en fonction de la végétation.
À ce jour, la meilleure méthode de contrôle est le Bacillus thuringiensis israelensis (Bti), une souche pathogène particulièrement efficace contre les diptères auxquels appartiennent moustiques et mouches noires. On fait d’ailleurs des applications ciblées de Bti sur les sites de reproduction de ces insectes depuis une vingtaine d’années.
« Nous explorons néanmoins d’autres pistes, mentionne Guy Charpentier, un autre chercheur du GRIP. Comme certains insectes — les chenilles et le doryphore de la pomme de terre, par exemple — ont déjà développé des résistances à d’autres souches de Bti, on peut s’attendre à ce que les moustiques en fassent autant. Nous avons donc besoin d’une solution de rechange. »
Les étonnants comportements des parasitoïdes
La nécessaire coévolution des parasitoïdes et de leurs hôtes a donné naissance à des comportements sophistiques
Présente dans les cultures maraîchères au sud de Montréal, la minuscule guêpe parasitoïde Anaphes victus pond ses œufs dans ceux du charançon de la carotte, un ravageur qui dévaste non seulement les plants de carotte, mais aussi ceux de céleri et de persil.
La vie adulte d’Anaphes victus est brève : la femelle doit pondre en deux jours environ une cinquantaine d’œufs dans autant d’œufs de charançon. Pour ce faire, elle doit d’abord trouver des œufs de charançon et ensuite s’assurer qu’aucune de ses congénères n’y a pondu. En effet, si plusieurs larves éclosent dans un même œuf, elles combattent jusqu’à ce qu’il ne reste qu’une survivante (généralement la plus âgée). Pour garantir la survie de sa descendance, la guêpe doit donc s’assurer que l’œuf de charançon n’a pas été touché. Fait étonnant, les chercheurs ont découvert que la petite Anaphes victus « apprend » à reconnaître de plus en plus rapidement les œufs déjà parasités.
L’apprentissage d’Anaphes victus
Peut-on parler d’apprentissage chez un insecte ? Pour apprendre, il doit changer progressivement de comportement sous l’effet d’une stimulation et il doit pouvoir oublier ce changement si la stimulation cesse. En d’autres mots, le changement induit doit être réversible, sinon il s’agit d’un mécanisme de maturation irréversible déclenché par divers stimuli. Par exemple, à maturité sexuelle, les mâles reconnaissent immédiatement la phéromone sexuelle émise par les femelles de leur espèce sans aucune expérience préalable. Ou encore, à l’automne, plusieurs espèces d’insectes localisent avec succès un site d’hibernation pour y passer le seul hiver de leur existence. Tous ces mécanismes ne peuvent être assimilés à des apprentissages.
« Au début, la femelle Anaphes victus palpe l’œuf de charançon au moyen de ses antennes. Si elle ne perçoit pas la phéromone externe qui lui indique que l’œuf est déjà parasité, elle introduit son ovipositeur dans l’œuf afin de percevoir la phéromone intense qui lui certifie que la place est déjà prise, explique Guy Boivin, un entomologiste chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada de Saint-Jean-sur-Richelieu. Cette deuxième opération prend une cinquantaine de secondes chaque fois, une éternité dans une vie de 48 heures. Les femelles apprennent donc au bout de six essais à reconnaître les œufs parasités par simple contact avec son antenne. Elles économisent ainsi un temps précieux. »
Si Anaphes victus est retirée de la zone où se trouvent les œufs de charançon pendant 30 minutes, elle n’oublie rien. Mais si l’isolement dure quatre heures, elle « oublie » et doit réapprendre à reconnaître les œufs parasités par contact en refaisant six essais « palpage piqûre ». Les chercheurs croient que le temps de rétention de l’information par la guêpe correspond au temps qui lui est nécessaire pour explorer une zone de ponte.
Les parasitoïdes : maîtres à bord ?
Les parasitoïdes d’œufs comme Anaphes victus consomment rapidement tout le contenu de l’œuf et tuent leur l’hôte presque immédiatement après la ponte. Cependant, pour plusieurs parasitoïdes larvaires, il est important que l’hôte vive assez longtemps et à l’abri de ses prédateurs pour qu’ils puissent s’y développer à leur aise.
Cette situation particulière a soulevé la question suivante : les parasitoïdes peuvent-ils modifier le comportement de leur hôte à leur avantage ? On n’a pas encore de réponse à cette question, mais quelques études récentes semblent indiquer que certains parasitoïdes réussiraient à le faire.
Par exemple, les individus sains du puceron de la pomme de terre Macrosiphum euphorbiae vivent en groupe et s’alimentent essentiellement sous les feuilles des plants. Par contre, on a observé que ceux parasités par la guêpe Aphidius nigripes se déplacent sur le dessus des feuilles — là où ils sont plus à l’abri de leurs prédateurs qui les cherchent habituellement sous les feuilles —, améliorant du même coup les chances de survie des parasitoïdes.
Bien qu’elles ne permettent pas de tirer de conclusion sur le pouvoir des parasitoïdes sur leurs hôtes, ces observations illustrent bien la complexité de leurs interactions. « On commence à peine à découvrir les relations écologiques et comportementales entre les parasitoïdes immatures et leurs hôtes, mentionne Jacques Brodeur, professeur au département de phytologie de l’Université Laval et chercheur au Centre de recherche en horticulture. Quand nous les connaîtrons mieux, nous pourrons faire une meilleure sélection des parasitoïdes destinés à la lutte biologique. »
En effet, l’étude du comportement des parasitoïdes permet de mieux comprendre comment s’est effectuée la sélection naturelle de Darwin sur le terrain et, éventuellement, d’en utiliser les résultats à notre avantage.
(Par Charles Allain. Revue L’entomologie au Québec, mai 1999).
Quelques mots sur les insectes dans le roman « Maria Chapdelaine »
Dans le rectangle de la porte ouverte les dernières teintes cramoisies du ciel se fondaient en nuances plus pâles, auxquelles la masse indistincte de la forêt faisait un immense socle noir. Les maringouins arrivaient en légions si nombreuses que leur bourdonnement formait une clameur, une vaste note basse qui emplissait la clairière comme un mugissement.
Le dernier maringouin vint se poser sur la figure de la petite Alma-Rose. Gravement elle récita les paroles sacramentelles :
— Mouche, mouche diabolique ! Mon nez n’est pas une place publique.
Puis elle écrasa prestement la bestiole d’une tape.
— Télesphore ! cria Esdras. Guette la boucane ; voilà les mouches qui rentrent.
Quelques minutes plus tard la fumée emplissait de nouveau la maison, opaque, presque étouffante, mais accueillie avec joie. La veillée poursuivit son cours placide. Une heure de jeu, quelques propos échangés avec des visiteurs qui apportent des nouvelles du vaste monde – on appelle encore cela du plaisir au pays de Québec.
Entre les parties Lorenzo Surprenant entretenait Maria de sa vie et de ses aventures.
Son regard erra avec satisfaction sur l’intérieur pauvre empli de fumée et sur les gens qui l’entouraient. Parmi toutes ces figures brunes, hâlées par le grand air et le soleil, sa figure était la plus brune et la plus hâlée ; ses vêtements montraient de nombreuses cicatrices ; un pan de son gilet de laine déchiré lui retombait sur l’épaule ; des mocassins avaient remplacé ses bottes de printemps. Il semblait avoir apporté avec lui quelque chose de la nature sauvage – « en haut des rivières » – où les Indiens et les grands animaux se sont enfoncés comme dans une retraite sûre. Et Maria, que sa vie rendait incapable de comprendre la beauté de cette nature-là, parce qu’elle était si près d’elle, sentait pourtant qu’une magie s’était mise à l’œuvre et lui envoyait la griserie de ses philtres dans les narines.
Esdras avait été chercher le jeu de cartes, les cartes au dos rouge pâle, usées aux coins, parmi lesquelles la dame de cœur, perdue, avait été remplacée par un rectangle de carton rouge vif qui portait l’inscription bien claire : « Dame de cœur ».
L’ on joua au « quatre-sept » ; les deux Surprenant, l’oncle et le neveu, avaient respectivement la mère Chapdelaine et Maria comme partenaires ; après chaque partie celui des couples qui avait été battu quittait la table et faisait place à deux autres joueurs. La nuit était tout à fait tombée ; par la fenêtre ouverte quelques mouches pénétrèrent et promenèrent dans la maison leur musique harcelante et leurs piqûres.
À quatre cents milles de là, en haut des rivières, ceux des sauvages qui avaient fui les missionnaires et les marchands étaient accroupis autour d’un feu de cyprès sec, devant leurs tentes, et promenaient leurs regards sur un monde encore empli pour eux comme aux premiers jours de puissances occultes, mystérieuses : le Wendigo géant qui défend qu’on chasse sur son territoire ; les philtres malfaisants ou guérisseurs que savent préparer avec des feuilles et des racines les vieux hommes pleins d’expérience ; toute la gamme de charmes et de magies. Et voici que sur la lisière du monde blanc, à une journée des chars, dans la maison de bois emplie de boucane âcre un sortilège impérieux flottait aussi avec la fumée et parait de grâces inconcevables, aux yeux de trois jeunes hommes, une belle fille simple qui regardait à terre.
D’innombrables moustiques et maringouins tourbillonnaient dans l’air brûlant de l’après-midi. À chaque instant il fallait les écarter d’un geste ; ils décrivaient une courbe affolée et revenaient de suite, impitoyables, inconscients, uniquement anxieux de trouver un pouce carré de peau pour leurs piqûres ; à leur musique suraiguë se mêlait le bourdonnement des terribles mouches noires, et le tout emplissait le bois comme un grand cri sans fin. Les arbres verts étaient rares : de jeunes bouleaux, quelques trembles, des taillis d’aulnes agitaient leur feuillage au milieu de la colonnade des troncs dépouillés et noircis.
