Le rôle joué par les hormones dans le processus de développement des insectes suscite depuis longtemps l’intérêt des chercheurs.
Pourvus d’un squelette externe, les insectes doivent se débarrasser périodiquement de cette peau contraignante et en produire une nouvelle, plus grande, afin de poursuivre leur croissance. Grâce à ces mues, le développement de l’insecte s’effectue par petits bonds jusqu’à l’âge adulte, reconnaissable par la présence des ailes et des organes reproducteurs.
Chez les insectes à métamorphose complète, comme les papillons, la transformation de la larve en adulte s’effectue durant un stade immobile intermédiaire appelé « pupe ».
On sait depuis plusieurs années que cet impressionnant bouleversement tissulaire est orchestré par des hormones, produites par des glandes à sécrétion interne et libérées directement dans l’hémolymphe (le sang des insectes) qui les transporte vers les tissus où elles agissent. Là, elles stimulent ou inhibent l’expression de certains gènes qui contrôlent le développement de l’insecte.
Le processus de la mue est mis en branle par l’ecdysone. En présence d’une deuxième hormone, « l’hormone juvénile », l’insecte conserve ses caractéristiques juvéniles (ou larvaires), car cette dernière inhibe l’expression de gènes qui participent à l’élaboration des tissus adultes. L’insecte issu d’une telle mue est donc semblable en tout point au précédent, sauf qu’il a une plus grande taille.
Lorsque la larve entre dans la phase finale de son développement, la synthèse d’hormone juvénile arrête, et la sécrétion d’ecdysone déclenche la métamorphose.
Les précautions d’un parasitoïde
Plusieurs guêpes parasitoïdes semblent déjà connaître l’action de l’hormone juvénile et de l’ecdysone puisqu’elles sont en mesure d’en manipuler les niveaux pour perturber le développement de leur hôte. Par exemple, la guêpe Tranosema rostrale peut bloquer la métamorphose de son hôte, la tordeuse des bourgeons d’épinette (TBE), grâce à l’action d’un virus qu’elle transmet à la larve de TBE lorsqu’elle pond un œuf sous sa peau. Ce virus inhibe la production d’ecdysone et contribue à ralentir la dégradation de l’hormone juvénile, ce qui stoppe le développement de la TBE. La larve de Tranosema rostrale dispose alors des 14 jours dont elle a besoin pour se nourrir des tissus internes de son hôte sans craindre les bouleversements hormonaux et tissulaires liés à sa métamorphose.
Les entomologistes ont vu dans cette faculté de Tranosema rostrale d’intéressantes pistes de recherche pour le contrôle de populations d’insectes nuisibles comme la tordeuse des bourgeons d’épinette, l’ennemi public numéro I des forêts québécoises. En effet, on aimerait bien tirer parti des talents de Tranosema rostrale pour mettre au point de nouvelles armes biologiques susceptibles d’empêcher certaines larves de ravageurs de parvenir à maturité.
Vers un traitement antihormone ?
Depuis 1992, une équipe de chercheurs québécois travaille à concrétiser cette séduisante hypothèse de travail. « Malheureusement, il ne sera jamais possible d’élaborer un insecticide à base du virus de Tranosema pour combattre la TBE, affirme Michel Cusson, biologiste chercheur spécialisé en endocrinologie des insectes au Centre de foresterie des Laurentides de Ressources naturelles Canada. D’une part, le virus n’infecte la larve que lorsqu’il est injecté par la guêpe femelle; il est donc inactif par voie orale. D’autre part, le virus ne peut se répliquer que dans la guêpe; l’élevage de Tranosema à grande échelle serait d’une difficulté technique quasi insurmontable.
Notre objectif est donc d’identifier les gènes responsables des pathologies induites par le virus de Tranosema afin de les incorporer à d’autres virus capables, eux, d’infecter les chenilles par voie orale. Une telle manipulation pourrait conférer une virulence accrue au virus génétiquement modifié. »
Pour l’aider dans cette tâche, Michel Cusson bénéficie de la collaboration de Guy Bellemare, professeur au département de biochimie de l’Université Laval, de Marlène Laforge, une étudiante à la maîtrise, et de Catherine Béliveau, une biologiste moléculaire. Même s’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir, l’équipe est convaincue que ses recherches constituent, pour les entomologistes, un champ d’expérimentation prometteur pour la mise au point de meilleurs outils de contrôle biologique.
(Par Charles Allain et François Fournier).
Selon le stade de développement au cours duquel la synthèse de l’hormone juvénile est stoppée, la chenille entrera plus ou moins rapidement dans la phase finale de son développement (la pupe). Si cet arrêt survient dès les premiers stades de développement de la chenille, l’adulte qui émergera de la pupe sera complet, mais de petite taille. Si l’arrêt se produit au cours des stades de développement plus avancés, la taille des adultes est plus grande. Évidemment, ces résultats ne peuvent être obtenus qu’en laboratoire; aucune chenille parasitée par Tranosema rostrale ne se rend à l’âge adulte.
Une question de goût
Ne pourrait-on pas créer de nouveaux insecticides à partir des plantes qui répugnent aux ravageurs?
Pas besoin d’être insectivore pour se défendre contre les ravageurs. Plusieurs plantes ont développé des moyens efficaces pour se protéger des insectes, notamment grâce à leur goût ou à leur odeur. Quelques insecticides d’origine botanique, telles que la nicotine (un alcaloïde du tabac), la pyrèthre (un extrait d’un chrysanthème cultivé surtout au Kenya) et la roténone (extraite de certaines légumineuses), tirent justement parti de ces propriétés.
Cependant, la popularité et le faible coût des insecticides de synthèse ont freiné durant de nombreuses années la recherche de nouveaux insecticides d’origine végétale.
« Les insecticides botaniques sont généralement plus chers que les autres, moins connus et moins bien distribués, explique Hélène Chiasson, chercheure pour la firme Urgel Délisle et Associés. Ce sont surtout les jardiniers amateurs et les producteurs biologiques qui s’en servent. Mais, avec l’amélioration des méthodes d’analyse phytochimique, on se rend compte que des composés issus de végétaux, comme l’azadiractine, offriraient des possibilités remarquables contre plusieurs espèces de ravageurs. »
L’azadiractine provient de l’huile de neem, un arbre qui pousse au Mexique, en Afrique et en Asie. Les composés les plus intéressants pour la formulation d’insecticides botaniques proviennent d’ailleurs des régions tropicales, où la grande diversité d’insectes phytophages auraient exercé une pression évolutive sur les végétaux. Mais on en trouve aussi en Amérique du Nord : l’ail, la menthe, la sauge et la tanaisie vulgaire sont toutes des plantes nordiques ayant des propriétés répulsives et insecticides.
L’érable aussi. Pour des raisons qui n’ont rien à voir avec la politique, la tordeuse d’épinette préférera mourir de faim plutôt que de manger une feuille d’érable. « Elle contient sans doute tous les composés chimiques nécessaires au développement d’une larve de tordeuse, indique Paul Albert, chercheur au département de biologie de l’Université Concordia. Mais, à cause de son goût, la tordeuse refusera de l’avaler. »
Selon le chercheur, c’est en comprenant mieux le système gustatif des insectes que l’on parviendra à identifier les composés qui leur répugnent. « À plus ou moins long terme, ajoute-t-il, il est tout à fait envisageable que l’on parvienne aussi à les incorporer à un insecticide d’origine naturelle. »
Par Charles Allain. Revue L’entomologie au Québec, mai 1999.
