Conte de Pâques par Gaétan Marquis
Il était une fois un petit lapin avec de grandes oreilles qui gambadait dans la campagne, les prés et les bosquets en reverdissement.
Il avait de grands yeux rouges ébahis de voir une première fois les bourgeons éclater avec fracas (car on sait que les petits lapins qui n’ont pas un an, ont l’ouïe très fine et l’odorat très développé sauf s’ils sont enrhumés) les perce-neige faire une sortie subrepticement entre deux blocs de glace et secouer leur frêle tige parmi les arbres qui se débarrassent de l’incrustation du frimas dans leur écorce lignée et qui, commencent à aérer leurs pores et jeter des odeurs de renfermé qui plaisent au printemps où l’on a perdu déj à depuis plusieurs mois le sens des parfums de la nature.
Il avait fait cent fois le tour du bosquet. Il se sentait étourdi. Et un lapin étourdi et jeune comme le nôtre ça a de drôles d’idées.
En effet, il s’aventura au village qui ressemblait à ceux des contes de fée. Vous excuserez l’auteur de n’avoir rien renouvelé de sa conception des villages, et de n’en avoir pas trouvé une sorte exprès pour les contes de petits lapins étourdis.
C’était à Pâques et les artisans avaient sorti leurs corbeilles sur les devantures des portes, attendant le passage des clients possibles mais rares, car le village était pauvre comme tous les villages de contes de fée, et les gens vivaient de l’air du temps ou de quelque air du même genre.
Chose normale dans les contes, notre lapin savait lire, et se promenait dans Je village en lisant la joie sur les visages des habitants tout fiévreux. Il devait être prudent car son papa lapin lui avait d.it de faire attention aux hommes qui étaient parfois des tueurs de lapins et les mangeaient cuits dans d’énormes marmites.
C’est ce genre de conte que les papas-lapins composent à leurs bébés-lapins. Nous, les humains avons l’équivalent avec nos histoires d’ogres. Une seule différence: les tueurs de lapins pullulent, mais on n’a pas souvent l’occasion de rencontrer des ogres à face de porc ou à pied-bot.
En prenant bien des précautions, allongeant une patte devant l’autre (ah oui, habitué comme je suis à parler des connaisseurs en lapin de contes, j’avais oublié de dire que le nôtre marchait sur ses longues pattes postérieures), longeant les murs blancs et gris des maisonnettes, émues de se faire chauffer la cheminée par l’extérieur, plongeant de temps à autre dans une flaque d’eau ou délogeant un caniche peu hardi de près d’un arbre à faire pipi, la queue raide, tant elle croyait être la toison d’or, notre fier lapin trouva une maison intéressante, avec une enseigne blanche et bleue comme la vierge sur laquelle on avait écrit en rouge: « ici pour les œufs de Pâques en chocolat. »
Le petit lapin vaillant comme un chevalier des croisades, entra dans ce temple du bonbon, les pieds humides et l’eau à la bouche. Le tout embaumait un chocolat des plus pur comme le lait au chocolat de ma maman et peut-être que l’odeur était plus envoûtante encore. Elle l’était assurément car· notre lapin ne put résister à l’attrait des énormes cuves où l’on baignait ce nectar.
Il se mit sur quatre pattes pour sauter sur la plateforme qui entourait le premier baquet, se cambra, se gonfla en petite balle de coton doux, coucha ses longues oreilles; la détente fut brutale et assez efficace car il put s’agripper au rebord et, à grand effort, il se hissa vers une position plus équilibrée. Il fit si bien qu’arrivé au terme de son effort, le sang lui obstruait la vue et il perdit contrôle de ses mouvements et tomba dans le baquet de chocolat liquide.
(J’aurais aimé omettre une partie de ce qui s’est passé après, car c’était un conte de lapin que j e voulais et non un conte de fée. Mais je suis honnête et ne puis rien cacher…)
Une fée, une bonne celle-là, apparut et vit le lapine au battre ses mignonnes petites pattes.
Il allait mourir, noyé dans le chocolat. La fée voulu le sauver de la noyade. Au moment où elle offrait sa -baguette pour son sauvetage, quelqu’un cogna alors le plancher de bois franc d ‘un pas lourd; elle n’eut alors que le temps de changer le petit lapin de poil en petit lapin de chocolat et de disparaître. Le bonhomme arriva, joufflu et rose en tablier blanc.
Le cœur lui battit quand il vit, debout sur le chocolat fondu une gentille silhouette qu’il examina longuement, les yeux pétillants de la joie qu’il ferait à son fils Jonathan qui ne s’attendrait jamais à recevoir un lapin de chocolat à Pâques, accoutumé qu’il est de ne se voir attribuer qu’une bonne quantité d’œufs en chocolat.
Il apporta le lapin à son fils le matin de la grande fête; et celui-ci lui avoua avoir deviné que son père allait lui offrir une telle étrenne.
Et, c’est comme ça que. sans publicité, les enfants commencèrent à recevoir de vrais lapins en chocolat, friandises qui n’avaient auparavant jamais existé que dans leur imagination.