Les animaux, distinguent-ils les couleurs ?
Qui n’a jamais observé la couleur des croquettes pour chat ne peut pas comprendre l’intérêt d’établir quelles couleurs perçoivent les animaux. À quoi bon fabriquer des pâtes ou des boulettes qui ont l’appétissante couleur rouge de la viande si les chats ne voient à la place que du gris ?
Pourtant, vous trouverez justement des aliments pour chats roses ou rouges. Le vrai client, rappelons-le, est sur deux pattes, avec une carte bancaire en poche. Minouchet, lui, se laisse séduire, et, à long terme, fidéliser, à coups d’accoutumants, arômes artificiels dont on gave sa nourriture.
Résumons : dans les rayons des supermarchés, c’est le papa ou la maman du Minou qu’il faut convaincre d’acheter le produit, et à la maison Minouchet lui-même qu’il faut convaincre de miauler et de tourner autour de son écuelle, l’air de dire « vite, vite ! », puis « encore, encore ! »
Mais comment sait-on que tel ou tel animal ne voit pas certaines couleurs ? Dans les années 1950, l’éthologue allemand Karl von Frisch a joué avec des abeilles pour comprendre leur vision. Bien lui en a pris, on lui a décerné le prix Nobel de physiologie en 1973. En version très courte, sinon le sujet occuperait aisément deux bouquins gros, l’ami Karl s’est amusé à peinturlurer de fausses fleurs de différentes couleurs. En comptant combien de fois les abeilles se posaient sur telle ou telle couleur, il en a déduit que celles-ci ne voyaient pas, ou voyaient mal, le rouge. D’accord, cela peut paraître un peu théorique, mais il y a consacré la moitié de sa vie et a donc reçu l’ultime prix pour ses recherches. On peut donc lui faire confiance.
Aux Pays-Bas, un autre chercheur a travaillé pendant plusieurs années sur la vision des poissons. Aura-t-il lui aussi le Nobel un jour ? L’avenir nous le dira. Sa méthode est en tout cas intéressante. Plaçant son poisson cobaye dans un aquarium voisin, Marc Yliess électrocutait les poissons. Oh, pas méchamment bien entendu, il les chatouillait juste un peu, et puis, c’est « pour la Science » ma brave dame, mon brave monsieur ! Le poisson, pas bête, comprend qu’il peut éviter le guili électrique en se carapatant dans l’autre bassin. Ensuite, Yliess associe une lumière à la décharge électrique. Vous avez saisi la suite : le poisson, comprenant que la lumière le prévenait qu’il allait avoir des ennuis, taillait la route. Ne restait plus alors qu’à utiliser les lumières de couleurs pour savoir lesquelles notre ami poisson perçoit le mieux.
En dernier ressort, pour savoir comment voient nos amis les animaux, on peut encore disséquer leur œil. On l’a fait pour l’abeille ou la mouche, dont les yeux no sont pourtant pas plus gros qu’une tête d’épingle. On y cherche les bâtonnets et les cônes, qui captent la lumière et les couleurs, et l’on en déduit le type de vision de l’animal. Mais, il faut bien l’avouer, il y a pas mal de doigt mouillé là-dedans ! Abeilles et mouches ont refusé de confirmer nos informations, malgré plusieurs demandes d’interviews. Pensez quand même qu’il a des gars dans les labos qui sont payés pour compter le nombre de facettes des yeux des insectes : 4500 chez l’abeille – de chaque côté 3000 chez la mouche !
Y’a des boulots, franchement, je vous jure…
(Tiré du livre de Jean-Baptiste Giraud, Histoires bêtes. Éditions du Moment, Paris, 2010).
