L’Importance du Chien – Types primitifs, difficulté de les retrouver – Influences attribuées au climat – Chiens sauvages ; Chien de berger – Variétés – Qualités affectives et morales du chien
(Texte paru dans L’Écho du Cabinet de lecture paroissial de Montréal, juin 1869)
Le Chien est l’animal domestique qui, par certaines manifestations d’intelligence et de sentiment, semble le plus rapproché de l’homme. Son affection, son désintéressement, sa fidélité et son dévouement résistent aux épreuves de la plus cruelle misère ; c’est l’ami, le compagnon et l’auxiliaire le plus utile do son maître.
On sentira de quelle importance cette espèce est dans l’ordre de la nature, en supposant un instant qu’elle n’eût jam ais existé. Comment l’homme aurait-il pu, sans le secours du Chien, conquérir, dompter, réduire en esclavage les autres animaux ? Comment pourrait-il encore aujourd’hui découvrir, chasser, détruire les bêtes sauvages et nuisibles ?
Pour se mettre en sûreté et pour se rendre maître de l’Univers vivant, il a fallu commencer par se faire un parti parmi les animaux, se concilier avec douceur et par caresse ceux qui se sont trouvés capables de s’attacher et d’obéir, afin de les opposer aux autres. L e premier art de l’homme a donc été l’éducation du Chien, et le fruit de cet art, la conquête et la possession paisible du monde. L a plupart des animaux ont plus d’agilité, plus de vitesse, plus de force et même plus de courage que l’homme ; la nature les a mieux munis, mieux armés ; ils ont aussi les sens et surtout l’odorat plus parfaits.
Avoir gagné une espèce courageuse et docile comme celle du Chien, c ’est avoir acquis de nouveaux sens et les facultés qui nous manquent. Les machines, les instruments que nous avons imaginés pour perfectionner nos autres sens, pour en augmenter l’étendue, n’approchent pas même pour l’utilité, de ces machines vivantes toutes faites que la nature nous présente, et qui, en suppléant l’imperfection de notre odorat, nous ont fourni de grands et d’éternels moyens do vaincre et de régner ; et le Chien, fidèle i l’homme, conservera toujours une portion de l’empire, un degré de supériorité sur les autres animaux ; il leur commande, il règne lui-même à la tête d’un troupeau ; il s’y fait mieux entendre que la voix du berger ; la sûreté, l’ordre et la discipline sont les fruits de sa vigilance et de son activité ; c’est une tribu qui lui est soumise, qu’il conduit, qu’il protège, et contre laquelle il n’emploie jam ais la force que pour y maintenir la paix.
Mais c est surtout contre les animaux ennemis ou indépendants qu’éclate son courage, et que son intelligence se déploie tout entière ; les talents naturels se réunissent ici aux qualités acquises.
Le penchant pour la chasse ou la guerre nous est commun avec les animaux ; l’homme sauvage ne sait que combattre et chasser. Tous les animaux qui aiment la chair et qui ont do la force et des armes, chassent naturellement. Le Lion et le Tigre, dont la force est si grande qu’il sont sûrs de vaincre, chassent seuls et sans art ; les Loups, les renards, les Chiens sauvages se réunissent, s’entendent, s’aident, se relaient et partagent la proie ; et lorsque l’éducation a perfectionné ce talent naturel dans le Chien domestique ; lorsqu’on lui a appris réprimer son ardeur, à mesurer ses mouvements ; qu’on l’a accoutumé à une marche régulière et à l’espèce de discipline nécessaire à cet art, il chasse avec méthode, et toujours avec succès.
Dès que le bruit des armes se fait entendre ; dès que le son du cor ou la voix du chasseur a donné le signal, brillant d’une ardeur nouvelle, le Chien marque sa voix par les plus vifs transports ; il annonce, par ses mouvements et par ses cris, l’impatience de combattre et le dé3ir de vaincre. Marchant ensuite en silence, il cherche à reconnaître le pays, à découvrir, à surprendre l’ennemi dans son fort; il recherche ses traces; il les suit pas à pas, et, par des sons différents, indique le temps, la distance, l’espèce et même l’âge do celui qu’il veut atteindre.
Pressé et désespérant do trouver son salut dans la fuite, l’animal qu’il poursuit se sert aussi de toutes ses facultés, il oppose la ruse à la sagacité. Jamais les ressources do l’instinct no furent plus admirables ; pour faire perdre sa trace, il va, vient et revient sur ses pas, il fait des bonds ; il voudrait se détacher de la terre et supprimer les espaces ; d’un saut il franchit les routes, les haies ; passe à la nage les ruisseaux, les rivières ; mais toujours poursuivi et ne pouvant anéantir son corps, il cherche à en mettre un autre à sa place ; il va lui-même troubler le repos d’un voisin plus jeune et moins expérimenté, le fait lover, marcher, fuir avec lui, et lorsqu’ils ont confondu leurs traces; lorsqu’il croit l’avoir substitué à sa mauvaise fortune, il le quitte plus brusquement encore qu’il no l’a joint, afin de le rendre seul l’objet et la victime de l’ennemi trompé. Mais le Chien, par cette supériorité que donnent l’exercice et l’éducation ; par cette finesse de sentiment qui n’appartient qu’à lui, ne perd pas l’objet de sa poursuite ; il démêle les points communs, délie les nœuds du fil tortueux qui seul doit le diriger ; il voit de l’odorat tous les détours du labyrinthe, toutes les fausses routes où l’on a voulu l’égarer ; et loin d abandonner l’ennemi pour un indifférent, après avoir triomphé de la ruse, il s indigne, il redouble d’ardeur, arrive enfin, l’attaque, le met à mort et étanche dans le sang sa soif et sa haine.
On peut dire, ajoute Buffon, que le Chien est le seul animal dont la fidélité soit à l’épreuve ; le seul qui connaisse toujours son maître et les amis de la maison ; le seul qui, lorsqu’arrive un inconnu, s’en aperçoive ; le seul qui entende son nom et qui reconnaisse la voix domestique ; le seul qui ne se confie point à lui-même et ne cherche pas à s’affranchir i le seul, enfin, qui, lorsqu’il a perdu son maître et ne peut le retrouver, l’appelle par ses gémissements.
Le genre Chien, Canis, de Linné, comprend un assez grand nombre d’espèces, telles que les loups, Chacals, les Renards, et les Chiens proprement dits. Noos ne nous occuperons en ce moment que de ces derniers.
Les divers types de Chiens répandus sur toute la surface de la terre, et qui comptent tant d’animaux qui se rattachent l’homme par les liens d’une ancienne et étroite amitié, sont aujourd’hui très nombreux. Les voyages autour du monde, la facilité et la rapidité des communications, le zèle éclairé des voyageurs, les observations des officiers et des médecins de la marine, les riches collections rapportées par eux et qui ont enrichi les galeries des musées, ont puissamment contribué à éclairer un grand nombre do questions importantes sur l’histoire naturelle. Toutes les nations sont devenues tributaires de la science, et ces heureux concours ont de beaucoup augmenté nos connaissances. L’histoire naturelle du Chien peut se faire aujourd’hui sur de plus larges bases, et, après avoir résumé les opinions émises par les naturalistes les plus éminents, nous exposerons nos idées personnelles sur ces animaux, si intéressants à tous les points de vue.
Plusieurs opinions sont en présence sur la souche des nombreuses variétés de Chiens. Les diverses races ont-elles un type primitif unique, ou existe-t-il plusieurs types primitifs ? Le Chien descend-il du Loup, du Chacal, du Renard, ou est-il un produit du croisement de ces animaux ?
Les races différentes que nous observons aujourd’hui sont-elles ducs à de nombreux croisements, ou à des influences locales, à des conditions de soins ou de nourriture ?
Buffon croyait à l’existence d’un type Chien primitif, et trouvait dans le Chien de berger le représentant le plus voisin de ce type. D’après l’illustre écrivain, le Chien serait l’animal dont les influences physiques et le climat altèrent le plus la nature. Ces variations sont surtout marquées par la taille, l’allongement du museau, la forme de la tête, la longueur et la direction des oreilles et de la queue. Tous les Chiens, néanmoins, si différents qu’ils soient les uns des autres, conservent un faculté essentielle, celle de pouvoir se croiser sans difficulté. Certes, il y a dans ce fait seul une grande présomption pour (pie tous ne forment qu’une même espèce. Mais quelle serait cette race primitive et originaire de laquelle viendraient toutes les autres ! Comment en ressaisir le caractère, en retrouver l’empreinte définie ! Comment faire la part exacte et déterminée des influences, soit locales, soit alimentaires? L’homme, bouleverse et défigure tout ; il ne veut rien tel que l’a fait la nature. Et le Chien, nous le savons, est certainement un des animaux que l’homme a le plus maniés ; il lui a ôté, plus qu’il tout autre, le soin de choisir lui-même son climat et sa nourriture.
Nous allons essayer, d après les idées de Buffon, de retrouver, sur la surface du Globe, la première et la plus ancienne espèce de Chien.
Il existe, dans les contrées désertes ou peu habitées, des Chiens l’état sauvage, véritables Loups pour les mœurs, mais qui en diffèrent essentiellement en ce qu’ils sont toujours faciles à apprivoiser et très sensibles aux caresses. Les voyageurs qui ont parcouru certaines parties de l’Afrique et de l’Amérique les y ont vus se réunir en grandes troupes et se jeter sur les Sangliers, les Taureaux sauvages, et même les Lions et les Tigres. Ces Chiens, disent-ils, se rapprochent du Chien de berger et du Renard : ils ont généralement la tête plate et longue, le museau effilé, le corps mince et décharné ; ils chassent en perfection et sont très légers à la course.
Or, comme la nature, dès qu’on la laisse agir en liberté, no manque jamais de reprendre ses droits, les Chiens que des Européens ont abandonnés dans les solitudes de l’Amérique et qui ont vécu en Chiens sauvages durant plusieurs centaines d ’années, ont dû, quoique originaires de races altérées (mais domestiques), se rapprocher au moins en partie de leur forme primitive.
D’un autre côté, les Chiens originaires d’Amérique, et qui, avant la découverte de ce nouveau monde, n’avaient eu aucune communication avec ceux de nos climats, devaient être tous d’une seule et même race. Or, celui de nos Chiens qu’on peut surtout leur comparer est le Chien à museau effilé, à oreilles droites et à long poil rude, que nous appelons Chien de berger. Buffon paraît donc avoir raison de le prendre pour le plus voisin du type primitif.
De même, dans les climats chauds, comme au cap de Bonne-Espérance, les Chiens naturels du pays présentent les mêmes caractères de figure et d’instinct : museau pointu, oreilles droites, queue longue et traînant à terre, poil clair, mai3 long et toujours hérissé ; de plus, ils sont excellents pour garder les troupeaux –
Les Chiens originaires de Madagascar, Maduré, Calcutta et du Malabar, où la température est encore plus chaude, ne ressemblent pas moins à nos Chiens de berger. Et lors même que l’on transporte dans ces régions, – c’est toujours l’opinion de Buffon que nous faisons connaître, – des Matins, des Épagneuls, des Barbets, des Dogues, des Chiens courants, des Lévriers, etc., ils dégénèrent à la seconde ou à la troisième génération. Enfin, en Guinée, la dégénération est encore plus prompte : au bout de trois ou quatre ans, ils perdent leur voix ; ils ne produisent plus que des Chiens à oreilles droites, comme celles des Renards, et semblables aux Chiens du pays, c’est-à-dire fort laids, à peau nue, désagréable au regard et plus encore au toucher.
On peut donc dire avec vraisemblance que le Chien du berger est le plus proche du type primitif, puisque dans tous les pays habités par des hommes sauvages ou à demi-civilisés, on le retrouve peu modifié, et qu’on ne rencontre pas d’autre espèce dans le nouveau Monde, non plus qu’au nord et au midi de notre Continent.
D ’ailleurs ce Chien, malgré sa laideur, son air triste et sauvage, l’emporte sur tous les autres par son instinct ; et ce caractère décidé qu’on remarque en lui ne lui vient pas de l’éducation : il naît, pour ainsi dire, tout dressé, et c’est guidé exclusivement par son naturel qu’il s’attache ainsi de lui-même à la garde des troupeaux, qu’il les conduit d’une allure si intelligente, et déploie dans ces importantes fonctions une vigilance et une fidélité si extraordinaires, tandis que la plupart des autres Chiens ne s’instruisent, en vue des usages auxquels l’homme les veut employer, qu’à force do soins, do patience et souvent de sévérité.
Le Chien de berger est donc, suivant Buffon, le vrai Chien de la nature, celai enfin qu’on doit regarder comme la souche de l’espèce entière. Buffon émet encore cette opinion que le Chien courant, le Braque et le Basset ne font qu’une seule race.
Les influences que Buffon attribue aux climats sont considérables. Transportez, dit-il, le Chien courant en Espagne et dans le nord de l’Afrique, où presque tous les animaux ont le poil fin, long et fourni, il devient Barbet et Épagneul. Sous le climat d’Angleterre, le grand et le petit Épagneul, qui ne diffèrent que par la taille, changent do couleur du blanc au noir, et se transforment en grand et petit Gredins, ou bien encore en Chien Pyrame, qui n’est autre qu’un Gredin noir, marqué do feu aux quatre pattes, aux yeux et au museau ; et le Mâtin, qui, au nord, se métamorphose en grand Danois, est un Lévrier au Midi.
Les grands Lévriers viennent du Levant ; ceux de taille médiocre, d’Italie. Mais que ces derniers se trouvent transportés en Angleterre, les voilà encore amoindris, c’est-à-dire passés à l’état de Lévrons, qui sont une espèce de Lévrier très petit. Le grand Danois, qui, nous l’avons vu, est le Mâtin devenu plus grand, augmente encore do taille s’il vit en Irlande, en Ukraine, en Tartaric, en Épire et en Albanie : on l’appelle alors Chien d’Irlande, et c’est le plus grand de tous les Chiens. Le Dogue, passant d’Angleterre on Danemark, est devenu petit Danois ; et ce même petit Danois, emmené dans les climats chauds, a donné un Chien sans poil, le Chien turc. Co Chien, néanmoins, est mal nommé : le climat de la Turquie est trop tempéré pour que les Chiens y perdent leur poil ; c’est en Guinée et sous le ciel brûlant de l’Inde que ce changement se produit. Le Chien turc doit être un petit Danois qui, transposté sous de très chaudes latitudes, s’y sera dépouillé de sa fourrure ; il aura ensuite été introduit en Turquie, où il sera multiplié. – Aldrovando dit que les premiers Chiens turcs qu’on ait vus en Europe furent apportés de son temps en Italie, et qu’ ils ne purent résister au climat de ce pays, beaucoup trop froid pour eux. Mais comme Aldrovando no décrit pas ces Chiens nus, il n’est pas sûr qu’ils se rapportent au Chien turc et au petit Danois. Tous les chien, en effet, dans les contrées excessivement chaudes, no perdent-ils pas leur poil, et mémo leur voix ? Tantôt ils sont tout à fait muets, tantôt on voit disparaître seulement la faculté d’aboyer: il ne leur reste qu’un hurlement comme celui du Loup, ou un glapissement do Renard.
Ainsi pour que les Chiens conservent leur ardeur, leur sagacité et leurs autres dons naturels, il faut qu’ils vivent sous un ciel tempéré.
Ailleurs, ils cessent d’être bons à tous les usages auxquels nous les employons. Mais l’homme sait tirer parti de tout. Dans les chaudes contrées dont nous parlons, il recherche le Chien comme aliment, et trouve même sa chair préférable à celle des autres animaux. Sur les marchés où les nègres conduisent les Chiens pour les vendre, ceux-ci sont achetés plus cher que le Mouton, le Chevreau et le gibier ; enfin, le mets le plus délicieux d’un festin, dan3 ces pays, n’est autre qu’un Chien rôti. La chair de cet animal, si mauvaise à manger dans nos climats tempérés, acquiert-elle donc une autre saveur sous ces zones lointaines ? Cela semble peu probable ; c’est plutôt, chez l’homme non civilisé, affaire de goût et de nature, et, sous ce rapport, nous savons qu’un Parisien apprécierait peu la cuisine d’un Cafre. Ajoutons, d’ailleurs, que les sauvages des pays froids se nourrissent non moins volontiers que les nègres de la chair du Chien. Or, manger du chien, dit Bernardin de Saint-Pierre, c’est être à moitié anthropophage.
On trouve dans l’espèce canine le même ordre et les mêmes rapports qu’on remarque dans l’espèce humaine. Allez au Nord, parmi les glaces éternelles, l’homme, comme le Chien, apparaissent agrestes, contrefaits et rapetissés. Si les habitants du Groenland et de la Laponie, sur lesquels sévit continuellement un froid excessif, déconcertent l’œil par leurs formes grossières, leur laideur et l’exiguïté bizarre de leur taille, leurs Chiens sont aussi très laids et très petits. Mais passez dans la zone voisine : voici que se montre à vous la belle et vigoureuse race des Danois et des Finlandais.
Hommes et Chiens sont peut-être, par leur figure, leur couleur et leur taille, les plus beaux des Hommes et des Chiens. En Tartarie, en Irlande, la race canine n’est pas moins remarquable qu’en Danemark. C’est un Chien, désigné autrefois sous le nom de Chien d’Épire, qui, suivant le rapport de Pline, le naturaliste, se mesura successivement avec un Lion et un Éléphant.
Buffon raconte qu’il en vit une fois un qui assis sur son train de derrière, avait un mètre trente centimètre de hauteur; il était, ajoute-t-il, tout blanc, et d’un naturel doux et tranquille.
De tout ce qui précède, il résulte que la diversité des races proviendrait de celle des climats. L’assertion de Buffon est bien nette dans ce sens.
Il va sans dire, néanmoins, selon lui, que la douceur plus ou moins grande de l’abri, le caractère des croisements, la nature spéciale des aliments et de l’éducation contribuent non moins activement à produire ces transformations.
Telle est l’opinion de Buffon sur l’origine des diverses race3 de Chiens ; mais, tout en convenant qu’il y a du vrai dans ce que dit l’illustre écrivain, il est nécessaire de remarquer qu’une possédait pas assez d’éléments pour faire un travail d’ensemble ; son imagination l’a parfois emporté, et il est facile do reconnaître qu’il a parlé des races de Chiens comme si elles dataient de quelques années seulement. Est-il possible d’admettre avec lui et sans restrictions ce qu’il appelle des races pures ? et faut-il accorder au climat une puissance aussi grande et aussi réelle que celle qu’il lui attribue ?
Évidemment, il y aurait là exagération. Toujours est-il que le Chien de berger, comme il le dit, appartient à une des races les plus anciennes, à celle qui a dû être adoptée et conservée par es familles primitives, toutes composées de pasteurs. Nous ajouterons que la garde des troupeaux n’a pas été le seul service rendu par le Chien aux premiers Hommes, car sa soumission a sans aucun doute précédé celle de la Chèvre, du Mouton et du Bœuf, et il a puissamment aidé à augmenter le nombre des animaux que l’homme réduisait successivement à la domesticité.
Buffon a été plus heureux dans sa description des qualités affectives et morales : “ Le Chien, indépendamment de la beauté de sa forme, de la vivacité, de la force, de la légèreté, a par excellence toutes les qualités intérieures qui peuvent lui attirer les regards de l’homme. Un naturel ardent, colère, même féroce et sanguinaire, rond le Chien sauvage redoutable à tous les animaux, et cède dans le Chien domestique aux sentiments les plus doux, au plaisir de s’attacher et au désir de plaire ; il vient en rampant mettre aux pieds de son maître son courage, sa force, ses talents. Il attend ses ordres pour en faire usage : il le consulte, il l’interroge, il le supplie ; un coup d’œil suffit ; il entend les signes de sa volonté. Sans avoir, comme l’homme, la lumière de la pensée, il a toute la chaleur du sentiment; il a de plus que lui la fidélité, la constance dans ses affections; nulle ambition, nul intérêt, nul désir de vengeance, nulle crainte que celle île déplaire ; il est tout zèle, tout ardeur et tout obéissance. Plus sensible au souvenir des bienfaits qu’à celui des outrages, il ne se rebute pas par les mauvais traitements ; il les subit, les oublie, ou ne s’en souvient que pour s’attacher davantage ; loin de s’irriter ou de fuir, il s’expose de lui-même à de nouvelles épreuves ; il lèche cette main, instrument de douleur, qui vient de l’attraper ; il ne lui oppose que la plainte, et la désarme enfin par la patience et la soumission, plus docile que l’homme, plus souple qu’aucun des animaux, non seulement le Chien s instruit en peu de temps, mais il se conforme même aux mouvements, aux manières, à toutes les habitudes de ceux qui lui commandent ; il prend le ton de la maison qu’il habite ; comme les autres domestiques, il est dédaigneux chez les grands et rustre à la campagne. Toujours empressé pour son maître et prévenant pour ses seuls amis, il ne fait aucune attention aux gens indifférents, et se déclare contre ceux qui, par état, ne sont faits que pour importuner ; il les connaît aux vêtements, a la voix, à leurs gestes, et les empoche d’approcher. Lorsqu’on lui a confié pendant la nuit la garde de la maison, il devient plus fier, et quelquefois féroce; il veille, il fait la ronde, il sent do loin les étrangers, et, pour peu qu’ils s’arrêtent ou tentent de franchir les barrières, il s’élance, s’oppose, et par des aboiements réitérés, des efforts et des cris de colère, donne l’alarme, avertit, combat, et fournit en même temps des exemples de courage, de tempérance et de fidélité.