Université : Un investissement

L’université : un  investissement ?

Par Danielle Chabot, texte paru dans Les Diplômés, n° 351, automne 1985

L’histoire de l’enseignement supérieur canadien-français au Québec remonte au milieu du XIXe siècle avec, entre autre, la fondation de l’Université Laval en 1852 et celle de l’École Polytechnique en 1873.

Depuis ces jours lointains, on a assisté à l’éclosion de quatre universités francophones et anglophones.

Des milliers d’étudiants en ont usé les bancs; des milliers d’autres prennent la relève. Que sont-ils devenus ? Pourquoi choisit-on d’être universitaire? Quelles sont les motivations? Sont-elles toujours les mêmes ?

Le goût d’apprendre

M. René Avon, producteur cinéaste, répond. « À l’époque où je suis entré à l’université, je travaillais déjà comme professeur.
Mais le goût d’apprendre, de poursuivre dans un domaine qui m’intéressait fut plus fort. Ce fut ma plus grande motivation. »

Pour lui, l’attrait du salaire rattaché au diplôme n’a jamais été un facteur déterminant. Pas plus que l’auréole de prestige entourant cette institution.

Le véritable moteur responsable de cette option fut sans contredit le désir d’une satisfaction personnelle. Il en va de même pour Gilles Marinier et pour Louise Lambert Lagacé.

Gilles Marinier, vice-président technologie, énergie et grands travaux chez SNC, animé de cette même soif d’apprendre, se retrouva lui aussi à l’université. Bien que n’étant pas issu de parents universitaires, l’idée d’arrêter ses études ne lui a jamais effleuré l’esprit.

«Si c’est possible, il faut le faire, dit-il ; poursuivre ses études, c’est un investissement.»

Ce besoin d’apprentissage semble rallier tout le monde. Madame Lambert Lagacé a suivi le même cheminement.

Cependant, son milieu diffère quelque peu. Parents diplômés, l’université devenait presque une tradition familiale chez les Lambert. «C’était une ambition que je cultivais essentiellement comme formation. Je n’envisageais aucun plan de carrière. Je voyais ça plutôt comme un bagage en cas de besoin.» L’université représentait donc une source où il était possible et presque nécessaire d’aller puiser des connaissances. N’étaient-ce que des connaissances ?

Un milieu stimulant

Gilles Marinier parle de l’université en termes de «voie préférentielle» de gagner sa vie. « Pas nécessairement financièrement, mais surtout pour la rigueur intellectuelle, le goût du beau, du bon, la volonté de comprendre, de savoir et de connaître.» Le milieu était donc très stimulant: pas qu’un réservoir encyclopédique.

Louise Lambert Lagacé, diététicienne, y a vécu des années extraordinaires dans un climat social très riche. «Il y avait beaucoup de communications avec les autres étudiants et les autres départements.

J’écrivais dans le Quartier Latin et j’étais engagée dans le mouvement de l’AGEUM. J’apprenais dans un cadre structuré tout en acquérant une formation intellectuelle. »

René Avon renchérit : « L’université m’a appris à travailler, à développer une méthode et à me discipliner. Je pense qu’on peut s’y instruire. L’université représente le moyen structuré le plus sûr pour la transmission de la connaissance. »

Cependant, René Avon souligne que l’adéquation restait difficile à faire entre ce qu’on y apprenait et comment on allait l’utiliser sur le marché du travail.

L’après université

Après ces années de durs labeurs, que nous réservait le monde de l’emploi ? Madame Lambert Lagacé n’a pas eu à s’en soucier. « Je me suis mariée, je n’ai pas travaillé pendant huit ou neuf ans après l’obtention de mon bac. Toutefois, lorsque je suis arrivée sur le marché en tant que pigiste œuvrant surtout dans le monde des communications, j’ai senti des lacunes. J’ai dû apprendre «sur le tas» des notions de vulgarisation, de visuel et surtout comment communiquer avec le public. »

Gilles Marinier n’a pas subi le même sort. Ses connaissances devenaient utilisables dès son entrée sur le marché du travail. « Il n’y avait pas de décalage entre l’apprentissage universitaire et la pratique. J’ai eu la chance de toujours travailler en continuité avec les études que j’avais menées. » Ayant reçu une bourse privée pour aller étudier au M.I.T. (E.U.), un contrat d’embauché y était associé à son retour. Quant à René Avon, il possédait déjà un emploi qu’il a conservé quelque temps après ses études.

Les temps changent

Après des études classiques, toutes les disciplines étaient offertes. Si, par contre, on venait du secteur public, le choix se limitait. Il n’était pas question de se diriger vers les professions libérales. Toutefois, comme le font remarquer nos trois bacheliers d’hier, le contingentement n’existait pas. Il suffisait d’avoir de bonnes notes, une bourse ou des moyens financiers et le tour était joué.

Madame Lambert Lagacé estime qu’il est maintenant douloureux de s’inscrire à l’université. «C’est peut-être moins sélectif sur le plan social, mais il est devenu plus difficile d’obtenir une place.» René Avon soutient qu’il faut aujourd’hui plus de volonté dans
le contexte économique actuel pour poursuivre ses études. Gilles Marinier ajoute néanmoins que les formalités d’entrée sont plus justes qu’auparavant.

Le culte du «Ph.D.»

Que vaut un diplôme universitaire ? On entend des sons de cloche différents. Pour René Avon, il n’y a pas de comparaison entre un baccalauréat d’aujourd’hui et celui de sa promotion.

« Tout ceci est très relatif. Cela dépend de l’école, de sa réputation.» Madame Lagacé, elle, déplore le discrédit du bac d’aujourd’hui. «Jadis, dit-elle, on n’avait pas le culte du Ph.D. comme maintenant. » L’adéquation suivante, malheureusement, s’applique de plus en plus: pas de maîtrise, pas de considération. Quant à Gilles Marinier, il a constaté un écart entre les universités américaines et québécoises: les exigences sont plus élevées aux E.U. « Là-bas, je n’étais plus le premier », avoue-t-il en souriant. Il apparaît donc que la meilleure motivation était, et reste encore, le goût d’apprendre.

Et ça ne se perd pas! « Si j’avais à recommencer, je retournerais sans aucun doute à l’université mais j’irais plus loin. D’ailleurs, il n’est pas dit que je n’y retournerai pas », termine Louise Lambert Lagacé.

Faire le saut

S’inscrire à l’université, aujourd’hui, relève-t-il du défi ? Sylvie Mathieu, auteure de livres de mathématiques, répond : «Il est facile d’entrer à l’université mais difficile d’y rester. Le plan financier peut nuire jusqu’à faire abandonner les études.» Elle travaillait déjà lorsqu’elle a décidé de s’inscrire à l’U. de M. Une insatisfaction due au manque d’initiative dans son travail et le désir de pousser plus loin l’ont amené à faire le saut.

Démarche similaire pour Carole Lavallée, agent de recherche à la FAECUM. «J’aimais étudier, j’aurais pu cesser après le CEGEP et obtenir un emploi rémunérateur. Mais l’avancement pour un «job» plus intéressant et l’envie d’approfondir m’apparaissaient indubitablement la voie à poursuivre.»

Provenant d’une famille de professionnels, Pierre-Louis Smith (étudiant au bac multidisciplinaire) raconte qu’il a longé le canal régulier. Porté par le désir de se parfaire, par le choix de la carrière et par l’attirance du salaire, il se retrouve donc à fréquenter les salles de cours de l’U. de M., un milieu enrichissant certes, mais décevant aussi.

La rigueur s’étiole

Les confrontations, les interactions et les échanges apportent beaucoup sur le plan personnel. La qualité de l’enseignement au baccalauréat laisse à désirer, malheureusement.

«C’est décourageant, la première année d’université, c’est comme une révision du CEGEP.» Pierre-Louis Smith abonde dans le même sens que Sylvie Mathieu: «Un retard à combler à la première session parce qu’au CEGEP on n’a rien appris. De plus en plus, d’année en année, on recule les exigences. »

Carole Lavallée parle de la disgrâce du bac. «Le système permet de terminer un bac, sans presque jamais avoir ouvert un livre. Il faut être débrouillard, aller chercher soi-même les connaissances.» La rigueur s’étiole. La conséquence : on encourage l’individualisme.

Il relève encore plus de l’étudiant de se donner une discipline personnelle, de se démarquer et d’acquérir un esprit «d’entrepreneurship», valeurs résolument utiles aujourd’hui à cause du peu de débouchés et de la saturation du marché du travail.

La solution : créer son propre emploi

Ce marché évolue rapidement. On est en droit de se demander si la formation reçue est à la hauteur. «On n’est pas vraiment préparé à affronter le marché du travail», soutient Sylvie Mathieu.  «C’est différent d’hier. C’est à nous d’aller chercher ce qui nous convient. Je crois même qu’il faut créer son propre emploi. » C’est l’aspiration de Carole Lavallée en poursuivant sa maîtrise. « Tu as intérêt à te distinguer davantage parce qu’il y a de nos jours plus de candidats aux postes offerts. Cette marque, ça l’université ne te l’inculque pas », conclut P.L. Smith.

Démocratisation : un leurre

Qu’en est-il de la «démocratisation » de l’université? Les témoignages des trois condisciples d’aujourd’hui se confondent : «Il y a encore beaucoup de chemin à faire. Ce n’est pas en augmentant le nombre d’étudiants que l’on peut trompeter la démocratisation. Dans certains secteurs, par exemple à poly, les femmes sont encore regardées comme des bêtes rares.

L’université pourrait venir en aide financièrement à ceux et celles qui ont du potentiel mais pas les moyens. Le «beurre d’arachides», on s’en lasse !

L’institution a conservé son statut mais il semble que le baccalauréat a perdu des plumes.

La raison ? Carole Lavallée argue : « Ceux qui veulent se réserver le prestige du diplôme tentent de déplacer les valeurs. Ils dévalorisent le bac au profit de la maîtrise. »

Malgré tout, il appert que l’alma mater se maintient à travers le temps et que son auréole luit toujours. Ceux qui la fréquentent y viennent pour des raisons bien précises, partagées autant par les anciens, que par les nouveaux: le goût d’apprendre.

université et défi
S’inscrire à l’université, aujourd’hui, relève-t-il du défi ?Photo : © GrandQuebec.com.

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