Le latin

Le latin

A. Ernout, Professeur de la Sorbonne

Texte paru dans l’Action Universitaire, revue de l’Université de Montréal, volume 6, numéro 2, février 1940

C’est un défaut commun à la plupart des grammaires que de jeter tout de suite l’élève dans l’étude des règles sans se préoccuper de décrire au moins brièvement la langue qu’elles prétendent expliquer, sans se soucier de la situer dans l’espace ou dans le temps, d’en exposer les origines, l’évolution, et, au besoin la décadence et la fin.

Cette lacune, ou plutôt ce défaut, est déjà regrettable quand il s’agit de langues modernes et vivantes, qui ont derrière elles un passé qu’il est indispensable de connaître pour bien comprendre leur état présent, leur structure actuelle ; il est beaucoup plus grave lorsqu’il concerne les langues anciennes.

Exposés sous la forme abstraite et schématique que leur donnent les règles rigides et impérieuses de la grammaire, le grec et le latin apparaissent à beaucoup d’élèves comme des constructions arbitraires de l’esprit, tout artificielles et sans existence réelle; les « règles » grammaticales, fondées sur l’usage de certains auteurs considérés comme classiques, en dehors desquels tout n’est qu’incorrection et barbarie, n’en laissent deviner ni la liberté, ni la souplesse.

Ainsi, souvent réduite à l’apprentissage de prescriptions impératives, qui ne souffrent pas de dérogation ni d’exception, qui ne comportent pas davantage d’explication, l’étude des langues anciennes est pour beaucoup de jeunes esprits un exercice sans intérêt, et par conséquent sans profit.

Beaucoup d’élèves, traduisant un texte ancien, écrivent sans sourciller des absurdités qui révoltent le plus élémentaire bon sens et que jamais leur imagination ne leur suggérerait, leur raison ne tolérerait, s’il n’y avait en eux, plus ou moins distinct, mais réel, le sentiment qu’à une langue sans contact avec la réalité il est permis de faire dire les pires bêtises.

Il serait bon, je crois, d’habituer les élèves à considérer que le latin n’est pas sorti tout armé du cerveau des logiciens de Port-Royal et de Lhomond, qu’il a été parlé pendant des siècles, qu’il a évolué dans un sens défini durant le cours de son existence, qu’il est intimement lié à la vie de Rome et de l’Empire romain, qu’il en a partagé la destinée et les vicissitudes, et que s’il a disparu avec lui.

Il a laissé des descendants directs dans les langues romaines, et qu’il a continué d’exercer une influence considérable sur le vocabulaire des autres langues de l’Europe, et notamment des langues germaniques. Beaucoup de termes de ces langues sont en effet soit des emprunts purs et simples au latin, soit des décalques fidèles du mot latin transcrit par des équivalents germaniques.

Comme l’a écrit fortement A. Meillet dans son Esquisse d’une histoire de la langue latine, « derrière toutes les langues de civilisation du monde moderne, on sent le modèle latin, souvent dans des emprunts évidents, et, à défaut d’emprunts avoués, d’une manière également certaine sous des transpositions où se reconnaît le modèle latin : l’anglais, avec ses emprunts innombrables aux latins et aux langues romanes, l’allemand, avec ses emprunts encore- nombreux, avec ses calques plus nombreux encore de termes latins ou romains, sont, sous une forme linguistique différente et sous les traits originaux qui en résultent, des langues de civilisation latine autant que les langues romanes elles-mêmes. »

On comprend donc l’importance qu’il y a à intéresser davantage l’élève à l’étude du latin, et à dépouiller cette langue du caractère irréel qu’il est trop souvent tenté de lui donner.

La première question qui se pose est celle des origines. D’où vient le latin? La question est ici plus difficile à résoudre que pour les langues romanes. Pour celles-ci l’écriture nous a conservé la langue dont elles dérivent, et leur naissance se place à des dates historiques. Les origines du latin se situent à une époque où l’écriture était ignorée, du moins dans la partie du monde dont il provient, et de la langue dont il est issu aucun monument ne nous est directement parvenu.

Comme le latin présente dans sa grammaire un certain nombre de ressemblance avec le grec, et que le grec est attesté à une date beaucoup plus ancienne que le latin, que le vocabulaire latin contient un grand nombre de mots, de caractère savant ou populaire, empruntés au vocabulaire grec, comme enfin la littérature latine s’est abondamment inspirée, à toutes les époques, de la littérature grecque, que la science et la philosophie romaines ne sont le plus souvent que le reflet ou l’adaptation de la science et de la philosophie grecques, on a longtemps cru, et les Latins eux-mêmes ont partagé et répandu cette croyance, que le latin dérivait du grec.

Une connaissance plus approfondie des langues parlées en Europe et dans certaines parties de l’Asie, et une étude comparative de ces idiomes ont montré que le latin n’était pas issu du grec, mais que tous les deux faisaient partie d’un vaste groupe linguistique, qu’on appelle communément aujourd’hui la famille des langues indoeuropéennes ou aryennes – les Allemands disent indogermaniques, car pour eux Europe et Germanie sont synonymes – qui comprenait en Europe le celtique, l’italique, le germanique, le grec, les langues baltoslaves, en Asie, l’arménien, l’iranien, le sanskrit plus des langues secondaires découvertes et déchiffrées récemment le tokharien et le hitfite. À travers les différences qui présentent ces langues, souvent fort éloignées l’une de l’autre dans l’espace et dans le temps, on aperçoit en effet des ressemblances de structure qui ne peuvent s’expliquer que par une origine commune.

À quelle époque, dans quel pays, et par quel peuple était parlée cette langue mère? Il est impossible de répondre exactement à ces questions. Mais il est probable que c’était dans la partie nord-est de l’Europe, et dans le courant du troisième millénaire avant l’ère chrétienne. C’est vers cette date et de cette région que partirent, sans doute d’une manière comparable à la façon dont se produisirent les invasions que nous connaissons à date historique, des invasions ou des migrations successives de tribus, clans, ou gentes, qui allèrent s’établir dans les différentes régions de l’Europe et de l’Asie, imposant aux populations qu’elles rencontrèrent leurs coutumes et leur langue. C’est ainsi que des parties de ce peuple vinrent, par vagues successives, prendre possession des différentes régions de l’Italie péninsulaire, et que peu à peu se créèrent les dialectes italiques dont le latin est le plus important et le mieux connu, mais non le seul,

Il ne faut pas oublier que le latin n’a été tout d’abord que la langue des habitants du Latium, et que deux autres dialectes apparentés au latin, mais tout de même fort différents de lui, l’ombrien au nord, l’osque au sud, étaient également usités, et que le latin ne s’est substitué à ces dialectes qu’à une date relativement récente, et quand l’Italie tout entière eut été soumise à Rome : le poète Ennius, qui vécut en 239-169 avant J.C., se vantait d’avoir trois cœurs, parce qu’il parlait trois langues, le grec, l’osque et le latin; et au moment de l’éruption du Vésuve qui eut lieu en l’an 79 de notre ère, l’osque était encore employé à Pompéi.

Autant que nous en pouvons juger par ce que permet de restituer la comparaison des plus anciens témoins du groupe, « l’indo-européen », pour conserver ce nom inexact mais commode, était une langue fort compliquée, au moins dans sa phonétique et dans sa morphologie.

Il possédait, comme la plupart des langues attestées, les deux grandes catégories grammaticales, le verbe et le nom – avec les catégories accessoires de l’adjectif et du pronom – , mais les formes en étaient infiniment mobiles suivant la pensée que l’on voulait exprimer, et le rôle que l’on attribuait à chacun des éléments dans la phrase. Les diverses fonctions que le mot pouvait remplir s’exprimaient, du moins au singulier, par huit cas : le nominatif qui servait à désigner le sujet agissant, le vocatif qui servait à appeler, l’accusatif, cas indiquant sur qui ou sur quoi portait l’action indiquée par le verbe, le génitif, cas du complément du nom, le datif qui marquait à qui ou à quoi était destinée l’action exprimée par le verbe, l’instrumental, indiquant avec l’aide de qui ou de quoi cette action était exécutée, le locatif, qui marquait le lieu ou le temps, l’ablatif, par quoi s’exprimait l’origine, ou le point de départ. Ces huit cas du reste ne suffisaient pas à exprimer tous les aspects de la pensée, et leur sens pouvait être modifié ou précité par des particules, sortes d’adverbes, qui plus tard devaient donner naissance aux prépositions. La façon dont ces cas était marquée était loin d’être simple : il y avait des désinences, c’est-à-dire des modifications de la fin de mot, des alternances vocaliques, c’est-à-dire des transformations de la voyelle à l’intérieur du mot, et des variations de l’accent. En outre tous les noms n’avaient pas la même déclinaison: celle-ci différait suivant que le nom se terminait par une consonne ou par une voyelle, et qu’il était masculin, féminin, ou neutre. Car il y avait des genres: le genre animé qui comprenait le masculin et le féminin, et le genre inanimé qui n’était ni l’un ni l’autre, neutrum. Et la répartition des mots dans ces trois classes était très compliquée et délicate, et correspondait à une mentalité différente de la nôtre: sans doute en gros étaient masculins tous les êtres considérés comme mâles, féminins, tous les êtres considérés comme femelles, neutres, les choses et les objets inanimés. Mais cette distinction grossière est loin de tout expliquer: les « Indo-Européens » avaient comme beaucoup de sauvages actuels, une conception animiste de l’univers, c’est-à-dire qu’ils étaient enclins à la considérer comme peuplé de forces vivantes et agissantes, et à attribuer la vie à des objets que nous considérons comme privés d’âme et d’existence; inversement il y avait des êtres vivants auxquels ils se refusaient à reconnaître le genre animé, parce qu’ils les considéraient comme des sortes de choses, ou comme n’ayant pas de sexe: ainsi le nom du jeune enfant ou de l’esclave est neutre, comme en grec. Les grandes forces de la nature, l’eau, le feu, l’air, le ciel, la terre étaient souvent de genre animé: le ciel, masculin, était l’époux de la terre, de genre féminin, qu’il fécondait par ses pluies. Certains objets pouvaient avoir deux genres, suivant l’idée que l’on s’en faisait: ainsi le nom de l’eau est féminin en latin, aqua, unda, neutre en grec: hydôr (ûdor) ; pour d’autre, il y avait un mot spécial pour le genre animé, un autre pour le genre neutre: tel le nom du feu, masculin en sanskrit agni, en latin ignis, neutre en grec pur (pur), en ombrien pir. La conjugaison du verbe était aussi compliquée, sinon plus, que la déclinaison du nom. Il y avait des verbes thématiques, correspondant aux verbes en -ô du grec, et des verbes athématiques, qui sont les verbes en -mi. Chaque verbe comportait plusieurs thèmes: présent, aoriste, parfait; plusieurs modes : indicatif, oblatif, subjonctif, impératif; plusieurs voix : active, moyenne, passive. Il y avait des verbes radicaux, des verbes dérivés. Par contre la distinction des temps était beaucoup moins nette que de nos jours : l’indo-européen ignorait le futur, on se contentait pour exprimer l’avenir du subjonctif ou de probatif, moins affirmatif. Nom et verbe connaissaient non seulement le singulier et le pluriel, mais aussi le duel qui servait à désigner les personnes ou les choses au nombre de deux. Chaque mot de l’indo-européen portant en lui à la fois son sens fondamental exprimé par le radical ou la racine, et l’exposant du rôle qu’il jouait dans la phrase, il en résultait que les mots de la phrase étaient indépendants l’un de l’autre, et que l’ordre des mots y était libre: libre, ce qui ne veut pas dire irraisonné et arbitraire, comme sont trop enclins à l’imaginer nos élèves qui, en matière de syntaxe latine, tout au moins, ont une fâcheuse tendance à confondre la liberté avec l’anarchie. Naturellement aucune des langues dérivées de l’indo-européen n’a conservé intacts tous ses caractères; toutes, même les plus anciennement connues, ont plus ou moins simplifié le système, et l’on ne peut le reconstituer que par comparaison et par recoupements.

Mais toutes en ont gardé des traits plus ou moins nombreux, plus ou moins nets, et même encore actuellement les plus évoluées ont conservé de ces archaïsmes inexplicables à priori: qu’on songe par exemple à la conjugaison du verbe « être » en anglais ou en français. Attesté à une date plus basse que le sanskrit des hymnes védiques ou le grec homérique, soumis depuis plus longtemps au nivellement des actions analogiques, le latin présente, dès son apparition dans les textes, un mélange curieux de traits anciens et de tendances novatrices. Dans la déclinaison, il n’a plus que six cas, et encore pas dans toutes les déclinaisons, ni à tous les nombres: au pluriel, n’en a plus que quatre, ou même trois; il a éliminé le duel. Il a bien gardé le neutre, mais comme la valeur originelle s’en est atténuée ou effacée, on constate dans la langue populaire une tendance à le confondre avec le masculin le plus souvent, quelquefois avec le féminin, et on le voit peu à peu disparaître à mesure que le latin avance dans le temps.

Dans le verbe, aoriste et parfaite, subjonctif et optatif se sont confondus; par contre s’est créé un futur, simple et passé; à la grande liberté dans la formation des temps dont témoigne encore le grec ancien, tend à se créer un système pi us rigide, et plus normalisé; entre le thème du présent et celui du parfait s’établit un lien étroit qu’exprime le terme de conjugaison. Les formes simples qui expriment dans un seul mot toute une série de nuances diverses de sens, sont peu à peu remplacées par des formes périphrastiques, plus claires et plus facilement reconnaissables; par exemple le comparatif du type fortior est éliminé par plus ou magis fortis ; à côté de amavi se développe le type habeo amatum, amor disparaît au profit de amatus sum ; la catégorie du « déponent » est en décadence, et s’élimine peu à peu.

Par suite de diverses circonstances, et notamment de l’affaiblissement de la syllabe finale, le jeu des désinences et des alternances dans la déclinaison n’est plus toujours sensible : ceci a pour conséquence le développement des prépositions d’une part, et la tendance à établir un ordre de mot fixe qui suffit à indiquer le rôle que chacun d’eux joue dans la phrase. C’est pour des raisons semblables que se développe l’emploi des pronoms personnels sujets, et que amo est peu à peu renforcé par ego: ego amo vieux français : j’aim.

Ainsi nous voyons peu à peu se dessiner, au cours de l’évolution du latin, les traits qui caractériseront les langues romanes. Étudier la langue latine, c’est à la fois se plonger dans le passé et voir se préparer l’avenir.

A. Ernout, Professeur à la Sorbonne.

Le latin n’est plus enseigné à la faculté des Arts de l’Université d’Ottawa

Le Père F, E Banim, doyen dé la Faculté des Artx, a déclare que le Collège St-Patrick ne considère plus le latin comme l une ries conditions requises pour être admis à la Faculté des Arts.

Un nouveau cours de latin et de grec a été entrepris, l’automne dernier, pour aider les étudiante à se famillariser avec l’art, la dramaturgie et la pensee classique, à l’aide de lectures de traductions anglaises des principaux auteurs grecs et latins.

Il a ajouté que l’administration du College a realise que souvent, de briltamts etudiants provenaient d’institutions où n’exostc pas l’enseignement du latin.

Cependant, le Père Banim, un biologiste, a souligne qu’il encourageait les étudiants à poursuivre l’étude du latin. Un étudiant de 13e année, qui excelle en latin et en mathématiques, possédé de bonnes chances de réussir à l’université.

cattus blancus
Cattus blancus bellus. « Celui qui écrit, lit deux fois. » (proverbe latin). Photo : © Grandquebecus. commus.

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