
Le Québec devenu vieux
Quel genre de société aurons-nous quand un Québécois sur cinq sera une personne âgée ?
Par Francine Jacques, Les Diplômés, n° 348, hiver 1985
Quand on pense à bien vivre, on vieillit bien sans y penser. (Fédération de l’âge d’or du Québec)
Tout le monde sait que la population des sociétés occidentales vieillit. Celle du Québec demeure aujourd’hui, avec ses 9,3 % de personnes âgées, l’une des plus jeunes d’Occident. (…) Mais la population québécoise est de celles qui vieilliront le plus rapidement.
C’est ainsi que s’amorce, dans le choc démographique de Georges Mathews, la vaste discussion sur ce phénomène qui touchera, au cours des vingt prochaines années, toutes les réalités de notre vie collective.
Incrédulité, crainte, interrogations surgissent. Pourquoi un tel vieillissement ? Et surtout, quelles seront les conséquences réelles et concrètes sur notre société ? Et quoi faire aujourd’hui, individuellement et collectivement, pour bien aborder cet autre « grand virage »?
Les facteurs de vieillissement
Trois principaux facteurs viennent expliquer le vieillissement rapide de la société québécoise.
Le premier, et peut-être le plus simple, est l’âge de la mortalité, appelée par les spécialistes l’espérance de vie à la naissance. Elle passe de 64,4 ans pour les hommes et 68,6 ans pour les femmes en 1951, à 70,7 pour les hommes et 78,5 ans pour les femmes en 1981.
Certains futurologues annoncent que les progrès scientifiques permettront à l’homme de vivre en moyenne 120 ans en l’an 2025. Le troisième âge prendra petit à petit une place qu’il n’a jamais tenue auparavant.
Un deuxième facteur joue dans le vieillissement rapide du Québec; ce sont les échanges migratoires. Il s’agit simplement des arrivées internationales vers le Québec et des départs vers le reste du Canada.
Or, entre 1961 et 1982, le solde migratoire interprovincial du Québec a été négatif. On a enregistré une perte annuelle moyenne de 6 134 personnes.
Le troisième facteur, beaucoup plus complexe, concerne la baisse de la natalité, qui a commencé dès 1959 et qui s’accentue depuis ce temps.
C’est ainsi que l’indice de fécondité (le nombre d’enfants par femme) est passé de 3,4 en 1951 à 1,62 en 1981, chiffre nettement insuffisant pour assurer le remplacement des générations.
Une étude récente (février 1984) du Secrétariat au développement social du ministère du Conseil exécutif du Québec, intitulée L’évolution de la population du Québec et ses conséquences, montre que les personnes âgées passeront de 8,7 % de la population totale en 1981 à environ I2,9 % en 2001 et à 26,0 % en 2051 !
Une société vieille mais dynamique ?
Quel sera le dynamisme d’ensemble d’une population vieillissante? On associe généralement vieillissement démographique et vieillissement social.
Or, celle association n’est pas aussi nette qu’on ne le pense parfois. Elle repose sur la place et le rôle qui sont dévolus actuellement aux personnes âgées, qui ne seront pas nécessairement ceux des futures personnes âgées.
Celles-ci seront plus instruites et en meilleure santé. Freineront-elles l’évolution socio-politique de la société ? Pas nécessairement. Certaines sociétés sont vieilles démographiquement, mais dynamiques socialement.
Et un leader comme Jean-Paul II, qui a l’âge de la retraite, projette une nouvelle image de la personne âgée, dynamique et en pleine possession de ses moyens.
Il est cependant possible que le vieillissement puisse constituer une source de rigidité qui aurait des effets sur le fonctionnement des organisations.
Le vieillissement pourrait freiner la mobilité verticale, processus qui contribue à la circulation des idées, aux initiatives
nouvelles et aux innovations.
De plus, comme la demande pour les employés sera constamment à la baisse, les plus jeunes se verront fermer les portes des entreprises publiques et privées. Les portes verrouillées, la pyramide d’âge des employés vieillira rapidement.
Le Conseil des universités s’en est inquiété récemment. La plupart des départements universitaires ont suffisamment de professeurs, parfois trop. Le vieillissement accéléré du corps professoral préfigure peut-être, à petite échelle, l’avenir de nos sociétés publiques et privées.
L’impact des femmes
Un des phénomènes majeurs qui pourrait avoir une profonde influence sur le Québec des prochaines décennies est la participation accrue des femmes à la vie sociale, économique et politique du Québec.
Les femmes sont maintenant entraînées dans un processus de renouvellement qui pourrait exercer une influence compensatrice à la menace de vieillissement social. Leur participation au marché du travail assurera en outre une plus grande autonomie financière et humaine pour cette partie de la population, la plus démunie lorsqu’elle franchit le cap des 65 ans.
Les incidences économiques
Un des secteurs de l’activité économique qui ralentira considérablement est l’industrie de la construction résidentielle. Au tournant du siècle, la moitié de la main-d’œuvre actuelle devra avoir quitté ce secteur.
Le marché de l’automobile pourrait également être touché, mais beaucoup moins sévèrement. Les économistes cherchent en vain de nouveaux produits susceptibles de jouer, au cours des trente prochaines années, le rôle de moteur économique qu’ont tenu la maison individuelle et l’automobile, de 1945 à 1975, en Amérique du Nord. L’ordinateur représente des possibilités, mais il est plus comparable à la télévision couleurs qu’à la maison ou l’auto.
Enfin, le progrès technique et la concurrence internationale exigeront une grande capacité d’adaptation de la part de la population active. Le vieillissement amoindrira peut-être la capacité de la main-d’œuvre de s’adapter aux besoins de l’économie, car son renouvellement se fera plus lentement.
Qui paiera ma retraite ?
Un des grands sujets d’inquiétude pour le travailleur d’aujourd’hui est de savoir si, après avoir peiné toute sa vie, avoir contribué à différents plans et régimes de pensions et payé des impôts, il pourra toucher à son tour des rentes suffisantes pour vivre confortablement.
Autrement dit, quel sera l’impact du vieillissement de la population sur l’ensemble des régimes universels de pensions si les modalités actuelles demeurent en vigueur ? Et quel serait le coût de l’amélioration des prestations des divers régimes ?
Sécurité de vieillesse
Les prestations accordées en vertu du programme de sécurité de la vieillesse subiront l’impact du vieillissement à mesure que celui-ci prendra de l’ampleur. La répercussion en termes de charge que devront assumer les travailleurs sera directe, puisque ce régime est financé année par année à même les revenus du gouvernement fédéral.
Régime des rentes du Québec
Il en va autrement pour le R.R.Q. Selon la dernière étude actuarielle (mars 1984) de cet organisme, ce n’est qu’en 1991 que les dépenses totales du régime dépasseront les revenus totaux. À partir de ce moment, le maintien du taux actuel de cotisation (3,6%, partagé à parts égales entre l’employé et l’employeur) signifie une décroissance rapide de la valeur de la réserve, qui sera à sec en 1999. Une hausse du taux est donc inévitable à plus ou moins brève échéance.
Georges Mathews avance la solution suivante : une hausse annuelle de 0,2 points de pourcentage (0,1 pour l’employé et 0,1 pour l’employeur), s’échelonnant de 1985 à 2009, permettrait non seulement de ne pas entamer la réserve mais de l’accroître de façon assez spectaculaire. En 2009, le taux de cotisation serait de 9,6″/i et la réserve aurait, par le jeu des intérêts composés, une valeur d’environ 30 milliards de dollars, en dollars de 1984. Le régime pourrait alors affronter solidement le véritable choc du vieillissement, dont les premières manifestations se situeront vers l’an 2010. Il y a donc moyen d’atténuer l’impact à long terme du vieillissement sur le Régime des rentes du Québec.
Enfin, il faut relativiser toute la question du poids financier des personnes âgées dans l’avenir. On pense généralement que ces dernières seront essentiellement à la charge de la société. Il n’en sera probablement pas ainsi. Les économies et les régimes privés et publics assureront l’autonomie financière d’un nombre croissant d’entre elles.
Agir dès aujourd’hui
Tout compte fait, il n’y a peut-être pas lieu de s’alarmer outre mesure sur notre vieillissement collectif. La plupart des pays industrialisés ont aujourd’hui une fécondité inférieure au seuil de remplacement des générations. Nous ne sommes pas seuls, nous nous débrouillerons.
Il faudra cependant des gestes vigoureux de la part du gouvernement québécois. Poursuite d’une politique familiale susceptible d’influencer la fécondité des couples. Promotion de l’accès égalitaire des femmes au marché du travail. Encouragement à l’éducation permanente. Ouverture sur l’extérieur afin que d’autres résidents soient encouragés à venir s’installer ici.
Concrètement, le gouvernement devra hausser les cotisations au R.R.Q. dans les plus brefs délais.
Selon le mathématicien Yves Guérard, actuaire du groupe Sobeco, « la solution n’est pas uniquement financière. Par exemple, la hausse des cotisations peut être fortement diminuée par un changement dans la planification des carrières : relèvement de l’âge de la retraite, retraite partielle graduelle ou toute autre mesure qui optimiserait la productivité des personnes. »
« On ne peut pas extrapoler, pour les prochains cinquante ans, les déséquilibres ou les tendances courantes. Notre société est un système dynamique où il est possible de trouver des solutions originales au défi démographique, pourvu que l’on ne s’enferme pas dans la rigidité des structures existantes.»
Il est possible de trouver des solutions au défi démographique, pourvu que l’on ne s’enferme pas dans la rigidité des structures existantes. Photo : © GrandQuebec.com.
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