
La P.M.E. communautaire
L’entrepreneur est, traditionnellement, un individualiste. Pas toujours. La preuve : les clubs de consommateurs et les radios communautaires.
Par Louis-Martin Tard (article paru dans Les Diplômés, n° 347, automne 1984)
Connaissez-vous les C.C.C. ? Les clubs coopératifs de consommation, aussi appelés comptoirs alimentaires, constituent une réussite dans l’entrepreneurship pour personnes dépourvues d’argent mais non de sens de la solidarité.
Il existe au Québec et dans les franges de l’Ontario et du Nouveau-Brunswick, une centaine de clubs coopératifs de consommation regroupant 35 000 familles membres. De vrais magasins qui ne font aucun profit, vivent de l’investissement et du travail bénévole de leurs coopérateurs.
Leur but c’est de laminer au maximum le budget alimentaire des ménages à faibles ressources. Et surtout, de prouver qu’il n’est pas besoin de détenir une M.B.A. pour lancer une affaire, que l’idéalisme peut se réaliser.
Une entreprise autogérée
La formule du C.C.C.: un fonctionnement démocratique assuré par les usagers eux-mêmes, détenteurs de parts sociales de l’entreprise, qui la gèrent, se partageant toutes les tâches : achats, stockage, mise en rayons des produits, caisse, comptabilité, entretien, gestion.
Issu du quartier Maisonneuve, le modèle a été repris dans le Montréal métropolitain, a essaimé à Québec et gagné d’autres régions, telles Abitibi-Témiscamingue, Bois-Francs, Bas-du-Fleuve et Matapédia.
À Ville-de-Degelis, ce sont surtout des femmes de bûcherons qui ont lancé le comptoir. Elles ont découvert dans leur voisinage des personnes qui possédaient sans le savoir de réels dons d’administrateurs populaires et ont ainsi mis sur pied des entreprises très saines.» Une concurrence qui fait des jaloux !
À Malartic, le C.C.C, qui a démarré dans un petit local, compte à présent 600 familles membres qui font fonctionner un vrai magasin général où l’on trouve même une station-service. Cela a créé de l’animosité chez les détaillants des quartiers. Le comptoir, qui a reçu des menaces, a été buldozé par des vandales jaloux de son succès.
À quoi tient ce succès ?
Avant tout à une tenace tradition syndicale des gens de la mine et de la forêt, à la présence ancienne dans cette région de caisses communautaires d’économie, mais particulièrement au capital humain des membres.
Dans Hochelaga-Maisonneuve : Le C.C.C.-Maisonneuve, ce fut une grande aventure. À l’été de 1969, dix mères de famille qui, pour la plupart, avaient œuvré ensemble dans un comité de citoyens et participé à des expériences d’éducation populaire au sein de la C.E.C.M., dix femmes sans pouvoir d’achat, ni crédit, qui n’avaient aucune expérience dans la tenue d’une entreprise, ont décidé de fonder une coop, afin d’épargner sur leurs dépenses d’épicerie.
Francine Paris, l’une d’elles, se souvient des démarches administratives pour obtenir une charte de coopérative sans but lucratif.
À l’époque, en 1971, il leur avait fallu trouver des hommes pour signer les demandes, les engagements féminins n’ayant pas de valeur !
Puis, un règlement interne fut établi : chaque famille membre devait souscrire à une part sociale de cent dollars par semaine et à tour de rôle s’occuper du « magasin » (au début, un hangar au-dessus d’un garage, puis une vraie boutique qu’il fallait essayer de tenir ouverte aux bonnes heures). Le « panier de la ménagère », rempli de produits de base, y coûtait de 15 à 20 % moins cher que dans les supermarchés et les épiceries du coin.
« Dans les meilleures années, nous avons regroupé plus de cent familles, puis le nombre a baissé. Dans un nouveau local, nous avons fait des efforts d’adaptation, créé par exemple un service de livraison pour les personnes âgées. Bientôt, il a fallu mettre la clé dans la porte, mais sans faillite. »
Le bilan d’un demi-échec
Les causes? La difficulté de se faire connaître dans la grande ville, la méfiance des usagers potentiels. Certains, à qui l’on demandait de verser un apport financier, croyaient à un racket, d’autres ne voyaient pas pourquoi il fallait travailler bénévolement comme commis. Il y avait également les habitudes bien ancrées des magasins à chaîne, si attrayants. Et aussi le silence des médias de masse face aux C.C.C.
« Nos membres les plus solidaires, dit Jean-Marc Gareau, ont été ceux qui, éveillés socialement, voyaient dans le comptoir un moyen de lutter contre un capitalisme aliénant et, à long terme, d’arriver à un autre projet de société. Mais la bonne volonté, la solidarité, n’ont pas suffi et il manquait de jeunes pour assurer la relève. » Ils ne se sont pas laissés accabler par l’échec. « Il nous engage dans la réflexion. Au moins, nous pouvons nous dire que, grâce à notre club, des compétences se sont manifestées, des gens qui n’étaient jamais sortis de chez eux sont devenus des organisateurs, des gestionnaires qui seront utiles à d’autres formes d’initiatives populaires. »
« Une nouvelle fédération de clubs se bâtit. La formule ne réussit pas bien à Montréal et à Québec, où Ton remarque partout une démobilisation de la militance. Mais elle marche très bien dans le reste de la province. Les C.C.C. font leur chemin, c’est une idée novatrice. »
Les missionnaires de la radio
Depuis le mois de janvier 1981, des entrepreneurs courageux parcourent quotidiennement de cent à deux cents kilomètres dans la très belle mais fort montagneuse région de Charlevoix, afin d’y implanter une station de radio communautaire.
« De vrais missionnaires », dit Richard Barrette. Il explique toutes les démarches nécessaires pour réaliser un tel projet : mesurer les besoins et les ressources d’un auditoire potentiel, mettre sur pied une infrastructure technique qui permette d’atteindre chaque agglomération de la côte, des pics, des vallées et des plateaux, créer des concertations entre toutes les communautés dispersées, susciter la réunion de comités locaux, former des réalisateurs et des gestionnaires bénévoles, constituer un cadre juridique et administratif, récolter des subventions et des commandites.
Tout cela pour proposer une « autre » radio, démocratique, de participation, faite et écoutée par ses plus fidèles auditeurs.
Richard Barrette est agent de développement à C.I.N.Q., Radio Centreville, qui diffuse depuis quatre ans sur l’indicatif 102,3 de votre bande FM. « Nous aussi, dit-il, nous avons eu du mal à nous implanter. »
Les radios de la militance
Vous connaissez la tour de Radio-Canada, boulevard Dorchester? Le siège de C.l.N.Q. – FM, ce n’est pas du tout ça : c’est une vieille et modeste bâtisse, coin Saint-Laurent et Fairmount. Au sommet d’un escalier raide, les bureaux.
Plus haut, la discothèque (près de 4 000 disques de jazz et de musique populaire ethnique), une salle de montage, deux studios improvisés dans des petites pièces — l’insonorisation a été réalisée à l’aide de contenants à ‘œufs cloués aux parois! Les annonceurs bénévoles posent leurs coudes sur des tables venues tout droit de chez le regrattier.
Ils sont nombreux à se relayer devant les micros, tous animés par un triple engagement, politique, social et culturel.
« Radio Centreville, explique Richard Barrette, une des 22 radios communautaires du Québec, diffuse en sept langues pour une population qui se recoupe également en groupes qui ont peu accès aux médias officiels : chômeurs, assistés sociaux, immigrants, familles monoparentales, personnes âgées, lesbiennes et gais .»
Ne devient pas qui veut membre de C.l.N.Q. – FM. En tant qu’individu ou que délégué d’un groupe, il faut vouloir donner de son temps à une tâche : participer par exemple à l’un des comités, s’occuper de promotion, d’encadrement auprès des commanditaires. Si l’on veut participer directement à la réalisation, à la production ou à la mise en ondes d’une émission, il est de plus nécessaire de suivre un cours de formation donné par la station.
Il faut surtout, dans tous les cas, souscrire à la déclaration de principes. Un de ses paragraphes souligne que le poste doit produire des émissions développant l’esprit critique plutôt que la conformité. Tous les discours sont permis, sauf ceux d’extrême droite. Un comité de membres décide démocratiquement qui doivent être les porte-parole des groupes sociaux ou des communautés linguistiques.
Les obstacles à vaincre
L’étape la plus difficile pour la création d’une radio communautaire ? « Les longues démarches auprès du C.R.T.C, le Conseil fédéral qui régit les communications, et du PAMEC, le programme d’aide aux médias communautaires rattaché au ministère québécois de la Culture, qui distribue des fonds et qui veille à ce que les radios soient et continuent d’être des organismes de communication de masse, légalement constitués sur une base régionale ou locale, dotés de structures de propriété, de gestion et de production ouvertes aux personnes et aux groupes du territoire desservi par le média. La période d’implantation peut durer plus de trois ans. »
Quel avenir Richard Barrette voit-il pour ce type de média alternatif, marginal, contestataire, qui veut démocratiser la communication, surtout la démystifier en la confiant aux citoyens ?
La radio caméléon
« Au fil du temps, nous avons créé une habitude d’écoute, développé des besoins. Les radios communautaires offrent un service que les autres ne fournissent pas. Elles ont surtout le don de s’adapter aux milieux qu’elles desservent et peuvent être changeantes, comme eux. C’est la radio caméléon qui ressemble beaucoup à ceux qui la font : le minimum d’argent pour vivre, l’esprit d’entreprise, un optimisme réaliste, et une grande dose de foi agissante. »

Vieux-Port de Montréal. Photographie : GrandQuebec.com.
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