La Brasserie Frontenac : Des francophones à l’assaut d’un marché contrôlé par les anglophones
En 1911, deux grandes joueurs occupent le marché de la bière au Québec. Il s’agit la Brasserie Molson et la National Breweries Limited. Ce dernier est un important consortium créé en 1909. Il regroupe alors une quinzaine de brasseries dont Dow et Dawes.
C’est dans ce contexte que des hommes d’affaires canadiens-français guidés par le maire d’Outremont José Beaubien, décident d’exploiter une brasserie dans le quartier Mille-End à Montréal. Ainsi naît la Brasserie Frontenac qui ouvre ses portes le 11 novembre 1913. Son slogan est « La bière des Géants ». En fait, cette devise s’attaque aux grandes brasseries Molson et National Breweries.
Notons en passant que le 23 octobre, soi quelques semaines plus tôt, des invités privilégiés ont eu droit à une visite guidée des lieux. Parmi les dignitaires, on voit Hubert Molson de la Molson Brewery, Hudson, gérant de la National Brewery Limited, Paul Hecht, maître-brasseur de la Union Brewery, Ménard, de la brasserie O’Keefe et d’autres personnages de renom dans le domaine.
Brasserie Frontenac : Exemple de modernité
Située dans le quadrilatère formé des rues Casgrain. De Gaspé, Marmier et Bellechasse, la nouvelle brasserie est un exemple de modernité sur tous les plans. Les journaux québécois vantent les conditions hygiéniques de la fabrication, la luminosité, l’utilisation de l’acier et du ciment au lieu du bois.
Quatre bouilloires Babcock & Wilcox sont alimentées automatiquement par des convoyeurs. Ces convoyeurs apportent le charbon, remplissent les soutes et distribuent le combustible. S’ajoutent des générateurs des 60 kilowatts reliés aux machines à vapeur à haute et basse pression du type marin de Bellis & Marcom. D’ailleurs, on peut souligner la présence des deux réfrigérateurs à ammoniaque.
Bref, les experts brasseurs qui connaissent à fond la fabrication de la bière, ont affirmé alors que l’entreprise répondait à tous les critères de perfection. De plus, la brasserie est située avantageusement sur la ligne du CPR. Ainsi, une voie dessert les bâtiments sur toute leur longueur. Elle aboutit à des plateformes de chargement. Cela facilite évidemment la réception et l’expédition des marchandises par voie ferrée.
L’eau, matière première de la bière provient d’un puits artésien profond de 180 mètres. On la pompe et on la déverse dans une citerne d’une capacité des 95000 litres. Pourtant, un conduit relie le bâtiment à l’aqueduc de Montréal.
Au centre du bâtiment principal on voit le moulin principal qui compte six étages. Un dôme le surmonte. Des convoyeurs partent de la plateforme qui reçoit le malte sur une balance enregistreuse automatique. De là, on l’entrepose dans trois énormes réservoirs.
Dans la salle de brassage, on trouve une colossale cuve. On y voit aussi deux immenses réservoirs d’eau, de 400 500 barils chacun, à l’étage inférieur. Là bas se dresse la superbe chaudière des brassages en cuivre de 38 000 litres.
Les produits à exporter
La brasserie Frontenac exporte une partie de sa production à l’extérieur du Québec. Parmi les bières produites on retrouve entre autres la Frontenac bleu, la Whitecap ale, la Old Bruce spécial, la réserve à l’ale, etc. En fait, la brasserie s’assure une grande visibilité en annonçant ses produits tant dans les médias francophones qu anglophones. L’entreprise organise aussi des nombreux concours auprès du grand public. Ces événements s’adressent à une partie de la population oubliée par les autres brasseries : les femmes.
Bonne pour les femmes
La Brasserie Frontenac vante également les qualités de ses bières auprès des femmes. En effet, une annonce adressée aux femmes et jeunes filles publiée dans Almanach du peuple Beauchemin en 1915, souvent le seul autre livre avec la Bible présente dans les maisons des Canadiens français affirme son ambages :
« Lorsque le médecin vous prescrit l’usage d’un tonique, il vous recommande de préférence une bière riche en houblon et en malt, qui ait acquis sa parfaite maturité, qui ne donne pas la bile ni des maux de tête. Cette bière parfaite c’est la Frontenac, une bière saine, savoureuse, d’un bouquet exquis. Elle emprunte au houblon ses propriétés toniques et au malt ses propriétés nutritives incomparables. Plus, elle vous met en appétit. Elle favorise la digestion. Aussi elle combat la maigreur et enrichie le sang. Elle fortifie l’organisme. En d’autres mots la bière Frontenac est excellente pour la santé féminine ».
Guerre des prix
Par la suite, la brosserie Frontenac amorce une guerre de prix avec ses concurrents. En 1921, sous les capsules de ces bouteilles de Frontenac India Pale Ale, les gens découvriront des prix ayant des 100$ à 300$. En effet, il s’agit d’une jolie somme pour l’époque. Ce concours est si populaire auprès des amateurs que les ventes triplent.
Riposte
Évidemment la National Brewery et Molson n’apprécient pas de du tout cette nouvelle façon de courtiser la clientèle. Ces brasseries menacent de recourir à une guerre des prix en réduisant de 20 cents la douzaine de pintes, 10 centes la douzaine des chopines et des 2$ le baril des bières en fût.
Le président de la brasserie Frontenac réagit alors avec vigueur à ce chantage.
Dans un message Joseph Beaubien affirme : « La Frontenac n’avait point d’ordres à recevoir de ses compétiteurs, et a continué et continuera à mettre des coupons dans ces capsules. Le public a jugé notre « Export » de qualité supérieure et nos ventes ont triplées. Voilà ce qui affole non compilateurs. Nous en sommes désolés, mais nous avons droit à une part raisonnable du marché. Nous entendons bien la prendre et la garder. C’est-à-dire sommes à l’école moderne qui veut qui ont améliore toujours. Notre plus grande ambition est de voir le nombre Frontenac synonyme de bière hors pair et perfection…
Nous sommes sûrs que nos compatriotes ce grouperont autour de nous pour encourager notre compagnie dans cette lutte sérieuse contre des compétiteurs puissants établis depuis des siècles.»
La lutte se transpose aussi devant les tribunaux.
La vente de la brasserie
En août 1926, n’arrivent plus à poursuivre la lutte face à ses compétiteurs aux ressources matérielles et économiques beaucoup plus grandes, la brasserie Frontenac passe aux mains du cartel de la National Breweries. Vingt-cinq ans plus tard, le 8 octobre 1951, on annonce dans les journaux que la Canadian Brweries a acheté la brasserie Frontenac à la National Breweries.
La brasserie de la rue Casgrain a alors une capacité de production quotidienne de 1000 barils et de 180 000 bouteilles.
En 1952, la même année où la National Breweries Limited passe aux mains de la Canadian Breweries Limited passe aux mains de la Canadian Breweries Limied, c’est le tour de Carling Brewerie d’acheter la Brasserie Frontenac. Puis la marque Frontenac disparaît.
Notons aussi qu’en avril 1996, la microbrasserie MacAuslan relance la marque Frontenac avec une bière blonde de luxe. Malgré sa popularité, elle disparaîtra du catalogue de McAuslan quelques années plus tard.
Bâtiment
Carling utilise les installations de la rue Casgrain jusqu’à 1961. Par la suite, il reste inoccupé . En octobre 1970, la Ville de Montréal achète le bâtiment abandonné et le terrain. La Ville veut ainsi profiter des travaux de construction de viaduc Rosemont – Van Horne pour aménager une cour de voirie dans ce quadrilatère adjacent. Laissez à l’abandon, l’ancienne brasserie moderne tombe sous le pic des démolisseurs au printemps 1972.
En septembre 2018, la Ville de Montréal vend le lot à la société de transport de Montréal. La STM y construira son nouveau Centre de transport Bellechasse.
Source : Québec insolite. Par Sylvain Daignault.


