Fusions, acquisitions, employés

Et les employés ? Fusions, acquisitions… On pense rentabilité, contrôle des marchés, développement des services. Mais les employés eux, comment réagissent-ils ?

Par Nathalie Gingras

De nombreuses entreprises décident chaque année de prendre de l’expansion par la voie des fusions et des acquisitions. Ces décisions de croissance créent de considérations stratégiques dictées par des exigences de rationalisation, de transformation technologique ou de réorientation. Les fusions sont donc, dans la plupart des cas, orchestrées par des spécialistes davantage préoccupés par les aspects financiers que par les aspects humains.

Pourtant, une fusion représente une importante source d’anxiété et d’inquiétude pour les individus qui doivent y faire face, qu’ils soient cadres ou employés, mis à pied ou confirmés dans leur poste.

Nous voulons attirer l’attention sur les considérations humaines dont il faut tenir compte pour faciliter la transition et, conséquemment, pour en assurer le succès. Nous verrons donc les réactions les plus fréquentes que nous avons pu observer chez les employés de différentes entreprises lors de fusions ou autres transformations majeures et leur impact sur le climat de travail et sur la productivité. Mais avant d’aller plus loin, voyons d’abord quels sont les éléments qui provoquent de telles réactions.

Les sources d’Inquiétude

Soulignons d’abord que le type de fusion peut influencer l’intensité des réactions des employés. Par exemple, dans un cas d’acquisition agressive et imposée, les dirigeants peuvent appréhender plus d’inquiétude et d’anxiété de la part des employés dont l’entreprise se voit achetée. Les réactions seront toutefois différentes si la fusion est ouvertement planifiée et souhaitée par tous les intervenants et que les avantages positifs à court et long terme peuvent être identifiés rapidement.

Les réactions des employés sont également conditionnées par le degré d’ambiguïté face au futur. Cette ambiguïté dépend de l’accessibilité, de la justesse et de la clarté de l’information sur les changements à venir.

Dans une situation de fusion, différentes interprétations d’un même message peuvent être véhiculées, certaines parfois contradictoires. Les employés sont constamment préoccupés par la fusion et toujours à l’affût d’une nouvelle information. Il existe toujours des employés qui véhiculent des rumeurs négatives d’une fusion vécue dans une autre entreprise. Inquiets, les individus accordent plus d’attention aux mauvaises nouvelles, ils décodent davantage les éléments négatifs de chaque message (perception sélective). L’ambiguïté laisse libre cours à la rumeur et augmente la difficulté de prévoir l’avenir. Le stress origine principalement de l’incertitude des employés face à l’impact de la fusion sur leur propre situation personnelle.

La quantité et l’ampleur des changements insécurisent également les employés : changements d’équipe, de direction, de supérieur immédiat, de valeurs, de méthodes de travail …

Ces nombreux changements prennent place en peu de temps, entraînent nécessairement une résistance au changement et représentent des sources additionnelles de stress.

Les réactions possibles des employés

De nombreuses études dans ce domaine ont permis d’identifier une série de manifestations individuelles associées au haut niveau de stress vécu lors d’une fusion. L’ensemble de ces réactions est qualifié par certains de « Merger Syndrome » et risque d’affecter le déroulement de la fusion et la performance des entreprises impliquées.

Les employés ont d’abord tendance à modifier la perception qu’ils ont de leur employeur. Ils perdent une certaine confiance en l’entreprise, ils peuvent se sentir victimes de trahison et d’abandon. Il en résulte une baisse du sentiment d’appartenance, du moins temporaire, face à l’employeur : l’employé ne sait plus à qui ou quoi s’identifier à travers cet amalgame d’éléments connus, nouveaux ou incertains.

Les employés de tous les niveaux hiérarchiques ont tendance à réagir davantage de façon égocentrique, à adopter une attitude plus individualiste et à se replier sur eux-mêmes. Cela devient pour eux un mécanisme de protection.

Soulignons aussi une augmentation des signes d’anxiété et de dépression, des comportements agressifs, des difficultés à dormir, des maladies psychosomatiques (maux de tête, ulcères d’estomac, pression artérielle plus élevée). Les employés expriment même parfois de la colère, ils affirment que la situation est injuste: « Pourquoi moi? »

Les contraintes des gestionnaires

La nouvelle direction transmet généralement des objectifs précis auxquels doivent répondre les gestionnaires malgré qu’ils vivent, eux aussi, une insécurité face à leur situation personnelle. Parmi leurs contraintes, ils « doivent affronter une augmentation considérable du volume de travail reliée à l’affluence d’informations en provenance des deux entreprises. En plus de remplir leurs tâches régulières, ils doivent intégrer, à l’intérieur d’un court délai, les deux systèmes et prendre rapidement des décisions malgré un manque de connaissance du nouveau partenaire.

À la suite d’une fusion, la nouvelle direction adopte généralement, de façon temporaire, un style de gestion plus centralisé. Les gestionnaires sont évincés de certaines responsabilités, perdent leur autonomie et craignent que cette situation perdure au-delà de la période d’intégration.

Les gestionnaires orientent alors davantage leurs efforts vers les résultats plutôt que vers les besoins humains : « On pense clients et actionnaires ». Alors que les employés ont particulièrement besoin d’être écoutés et considérés, les gestionnaires sont affairés à répondre aux exigences opérationnelles.

Les impacts et la rentabilité pour l’entreprise

La conséquence la plus évidente de l’insécurité des individus générée par la fusion est une baisse de productivité temporaire.

Une étude américaine a d’ailleurs démontré qu’environ deux heures par employé par jour sont alors perdues. Démotivés, les employés négligent ou interrompent leur travail pour exprimer leurs inquiétudes et pour discuter des dernières nouvelles ou rumeurs. De plus, une augmentation de l’absentéisme accompagne souvent cette baisse de productivité.

Trop souvent, un nombre significatif d’employés décide de quitter l’entreprise en période de fusion. Ils quittent en croyant qu’ils éviteront le pire, pour éluder l’anxiété et l’ambiguïté grandissantes, pour échapper à un futur devenu trop difficilement prévisible ou pour éviter de nouvelles normes contraignantes.

Malheureusement, parmi ceux qui quittent, il y a trop souvent des personnes-clé pour le succès de l’entreprise. Pour la nouvelle direction, c’est l’occasion de rationaliser les effectifs, de revoir les méthodes de travail et de s’assurer d’une meilleure productivité à long terme.

De plus, en déstabilisant les individus face à leur travail, la fusion oblige une remise en question personnelle pour chaque employé. Elle encourage les employés à s’interroger sur leurs valeurs professionnelles et à mettre à jour leurs connaissances.

Cette réflexion pourra devenir rentable pour l’entreprise à plus long terme en ayant des ressources humaines davantage préparées à relever de nouveaux défis.

Gérer la fusion

Réussir la transition représente un défi pour les dirigeants qui doivent voir à la réalisation des bénéfices anticipés. L’équipe de gestion doit choisir les ressources pour bâtir la nouvelle structure avec les meilleurs éléments.

La direction doit planifier les changements opérationnels tout en travaillant à créer un nouveau sentiment d’appartenance. Une des responsabilités importantes consistée identifier les valeurs qui formeront la nouvelle culture de l’entreprise. Le choix du modèle organisationnel doit être supporté par des activités de renforcement des nouvelles valeurs. Le gestionnaire a le privilège d’orienter l’avenir de son secteur mais, par contre, il se doit de faire des choix et d’être conséquent avec les nouvelles valeurs : par exemple, dans sa façon de prendre des décisions ou dans les nominations qu’il annonce.

La communication est un outil indispensable pour mieux gérer la fusion. Les employés réagissent généralement plus positivement face aux différentes étapes et conséquences de la fusion lorsqu’ils sont adéquatement informés, même si la situation comporte plusieurs aspects négatifs. Malgré l’impératif de la confidentialité, le fait de pouvoir informer les employés de la fusion, ne serait-ce que quelques instants avant l’annonce publique, peut faciliter la transition parle maintien d’une relation de confiance et de respect mutuel.

Certaines recherches suggèrent, notamment, que ce ne sont pas d’éventuelles mises à pied qui génèrent le plus d’insatisfaction mais plutôt quand et comment elles sont communiquées. Les nouvelles de changements de personnel ou de mises à pied doivent être communiquées le plus rapidement pour limiter l’impact des rumeurs négatives et afin de sécuriser les employés non touchés par ces coupures de poste.

De plus, la façon dont les mises à pied sont effectuées a un impact non seulement sur les individus concernés mais également sur les employés qui feront partie de la nouvelle organisation.

Le sentiment que ceux qui devront quitter ont été traités de façon équitable (indemnité de départ intéressante, programme de pré-retraite, support à la recherche d’emploi…) peut rehausser la motivation de ceux qui resteront dans l’entreprise.

Les cadres doivent avoir accès à une part de l’information privilégiée afin de pouvoir répondre aux questions des employés et agir comme personne-ressource. La direction doit encourager des rencontres formelles et informelles entre les gestionnaires des deux entreprises et stimuler les activités de groupe pour décourager l’individualisme et faciliter l’intégration.

Gérer sa carrière

Le phénomène de concentration des entreprises n’est pas nouveau et se poursuivra sûrement. De plus en plus d’individus réalisent, quelquefois de façon soudaine, que la sécurité d’emploi ne fait plus partie des attributs des organisations. Les entreprises ne peuvent plus faire de telles promesses car elles ne peuvent plus garantir ni prédire leur avenir. Pour faciliter les périodes d’intégration suite à des fusions ou acquisitions, les entreprises ont tout avantage à profiter de l’expérience de leurs prédécesseurs. Cette expérience démontre l’importance d’informer et de supporter les employés pendant le processus pour permettre de traverser cette période plus rapidement et plus harmonieusement.

Sur le plan individuel, personne n’est à l’abri d’un bouleversement dans son cheminement de carrière. Chacun a la responsabilité de gérer sa carrière, de prendre en main son développement professionnel et d’être prêt à réagir dans l’éventualité d’une fermeture d’entreprise, d’une abolition d’un secteur d’activités ou d’une augmentation des exigences d’un poste.

C’est à chacun de s’assurer que sa valeur professionnelle est toujours en demande dans les entreprises. Une telle réflexion peut, non pas éliminer mais peut-être diminuer les risques d’anxiété vécue lors d’une fusion d’entreprise. De plus, l’entreprise autant que l’individu sont gagnants du résultat d’une telle réflexion.

Nathalie Gingras (conseillère pour le Groupe Sobeco). Les Diplômés, N° 368, hiver 1990.

Voir aussi :

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Deux employés. Illustration: Megan Jorgensen.

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