La fraude des uns fait la misère des autres
Il est couramment question depuis plusieurs mois de « fraudes » commises par tics assistés sociaux au détriment du ministère de la Famille et du bien-être social.
Une telle situation risque de jeter un discrédit énorme sur l’ensemble des citoyens défavorisés qui reçoivent, honnêtement et en vertu d’un droit reconnu, une aide financière de l’État.
Ce document ne doit donc pas être perçu comme un réquisitoire contre l’une ou l’autre des parties concernées, mais comme un effort objectif de situer cette affaire sous un éclairage susceptible de fournir une explication.
Sans plus. (Note de la rédaction du quotidien Le Soleil, le 8 juillet 1970).
Face au scandale qui éclatait au grand jour, le ministère de la Famille et du Bien-être social se mit à la chasse des présumés fraudeurs.
Un comité formé de représentants des ministères de la Justice et du Bien-être fut mis sur pied. Il eût pour mandat de réviser les dossiers d’assistance sociale et de référer les cas douteux à la Sûreté provinciale pour enquête.
Le directeur du comité est Me Alphonse Desjardins, chef du Contentieux au ministère de la Famille et du Bien-être social; le représentant du ministère de la Justice est Me Raymond Montminy. Le secrétaire du comité est M. André Roy, responsable du contrôle des paiements au ministère de la Famille.
Une manchette embarrassante
« Le Soleil » titrait, le 10 juin 1970: « $30,000,000 engloutis —22,000 assistés sociaux sont des fraudeurs publics”.
Nous avons tenté, sans succès, de faire confirmer par les autorités compétentes l’exactitude de cette information. Me Montminy se contenta de nous diriger vers Me Desjardins et ce dernier demeura bouche cousue en présence d’un attaché de presse dépêché dans son bureau.
Ce dernier tenta de nous dissuader de vouloir en savoir davantage, nous faisant miroiter la possibilité d’obtenir, dans un avenir indéterminé, un document exclusif du ministère de la Famille et du Bien-être social.
L’attaché de presse laissa finalement entendre qu’une rapide recherche portait à croire que l’information lancée par le journaliste René Lagacé se situait bien au-delà de la réalité.
Un certain rapport
Un informateur gouvernemental qui, pour des raisons évidentes préfère garder l’anonymat, nous affirme par contre que, fin juillet ou début d’août 1969, M. André Roy, actuel secrétaire du comité Justice-Bien-être, dans un rapport verbal exposé devant le Comité de retour à la vie normale, mentionna le montant de $30,000,000 de fraude, de même que le nombre de 22,000 assistés sociaux qui auraient obtenu illégalement une assistance financière.
Le compte rendu de M. Roy aurait été consigné au procès-verbal de la réunion par M. Gérard Frigon, secrétaire du Comité de retour à la vie normale.
Auraient, entre autres fonctionnaires, assisté à cette réunion, le sous-ministre Edgar Guay, M. Robert Sauvé, M. Gilles-D. Bergeron, présentement suspendu de son poste de sous-ministre adjoint au Bien-être à la suite d’une accusation de trafic d’influence, et M. André Roy.
Nous avons tenté, en date du 22 juin, auprès du secrétaire de presse du ministre Claude Castonguay, de faire confirmer ou infirmer ce renseignement. Nous n’avons pas eu de nouvelles depuis.
Un médecin scandalisé ou l’hémorragie des cartes d’assistance médicale
Y a-t-il plus ou moins de cas de fraude à l’heure actuelle dans le secteur des allocations sociales? Personne, dans les milieux concernés, n’apparait en mesure de pouvoir répondre à cette question.
Toutefois, à partir des propos que nous tenait un médecin-spécialiste de la région de Québec, les cartes d’assistance médicale se distribueraient encore comme des petits pains chauds à des gens, qui selon ses propres observations et les renseignements consignés sur les fiches d’hospitalisation, seraient loin d’être dans un état d’indigence.
Il s’indigne du fait que des citoyens, selon toute apparence à l’aise, se fassent traiter au frais de l’État, alors que d’autres, quoique recevant une aide financière, n’ont pas de revenus suffisants pour les placer au-dessus du strict minimum vital ou encore leur permettre d’obtenir tous les remèdes que leur état de santé nécessite.
Les remarques de ce médecin, qui nous est apparu comme une personne pondérée et consciencieuse, sont d’autant plus judicieuses qu’avant de se spécialiser, il a pratiqué comme omnipraticien, en milieu rural, pendant plus de cinq ans.
Sa clientèle, aujourd’hui, se recrute chez environ 75 pour cent d’assistés sociaux. Car, n’obtient une carte d’assistance sociale que la personne assistée par la province.
S’il se reporte en particulier à ce patelin, où il y a à peine dix ans, un accouchement à domicile rapportait $25 et une visite $1.50, il s’aperçoit que les mêmes gens qu’il soignait en ce temps-là, sont aujourd’hui beaucoup plus dépendants de l’État.
Dans un village, sur deux cents familles, 104 vivraient en partie ou en totalité d’assistance sociale.
Dans une localité de la région de Québec, les autorités semblent avoir compris le droit de l’assisté social de participer aux prises de décision, puisque, nous rapporte-t-on, cinq conseillers municipaux sur six recevraient de l’assistance sociale.
Quelques cas
Et ce même médecin de nous citer quelques cas douteux, selon lui, d’un recours non justifié à l’aide financière de l’État.
CAS NO 1 — Couple récipiendaire de l’allocation de sécurité de vieillesse et détenteur d’une carte d’assistance médicale. De leur propre aveu « Nous n’avions pas besoin d’assistance sociale de la province; nous l’avons demandée et nous l’avons obtenue sans délai ».
CAS NO 2 — Un commerçant. « C’est tranquille l’hiver, j’ai demandé du bien-être et je l’ai eu ».
CAS NO 3 — Un chômeur chronique qui n’a pas travaillé depuis 14 ans. Selon le médecin, mis à part certains malaises fonctionnels légers — étourdissement, fatigabilité — il s agit d’un costaud, en excellente condition physique, qui a perdu l’habitude du travail.
CAS NO 4 — Un fermier prospère de 28ans. Le médecin lui réclame des honoraires de $35 et le patient s’empresse de présenter sa carte d’assistance médicale.
Cet « indigent » possède une auto, une camionnette, un tracteur et ses bâtiments de ferme sont des plus modernes.
CAS NO 5 — Un représentant de commerce, type « play boy », qu’il avait eu à traiter avant l’instauration de l’assistance médicale. Depuis l’application de ce régime, il présente régulièrement sa carte d’assistance médicale.
CAS NO 6 — Une dame de l' »élite ». Propriétaire d’un commerce et fille d’Isabelle, qui a pu se payer un voyage dans ‘les vieux pays ». Elle présente régulièrement sa carte d’assistance médicale.
